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Le ballottage en Argentine nous met face à un grave dilemme, d’une importance capitale. Les partis et mouvements populaires de toute l’Amérique Latine et des Caraïbes ont manifesté leur profonde préoccupation face à la possibilité qu’avec la victoire du candidat de la coalition « Cambiemos » se termine l’ère des gouvernements progressistes et de gauche dans la région, mais également que cette victoire favorise la répression des mouvements sociaux dans des pays dominés par des gouvernements néolibéraux comme au Chili, au Pérou, en Colombie et au Mexique entre autres.
L’empire a besoin que Mauricio Macri gagne les élections
Les « fonds vautours » n’ont pas caché leur prédisposition à collaborer avec le « macrisme » en cas de triomphe de ce dernier lors du second tour. A peine quelques jours après le premier tour, un de ses porte-parole a déclaré à Paris qu’avec Macri à la Casa Rosada (siège de l’exécutif argentin), leur volonté serait de suivre les ordres du système financier international et de faciliter l’entrée massive de capitaux pour la « reconstruction » de l’Argentine. Macri compte aussi avec l’appui inconditionnel de l’oligarchie médiatique : les grands médias hégémoniques ont scandaleusement manipulé l’information afin de favoriser leur candidat.
M. Macri peut compter également sur l’appui des fractions hégémoniques de la classe dominante dont l’organisation principale est l’Association des Entreprises Argentine (AEA). Les secteurs les plus concentrés du capital étranger le soutiennent également, si bien que ces derniers, tout comme leurs prédécesseurs ont fait de très bonnes affaires durant les années Kirchner. La classe moyenne, ainsi que les propriétaires terriens soutiennent sa candidature ainsi que les secteurs les plus rétrogrades de l’Eglise Catholique.
La bureaucratie syndicale, corrompue et dont le prestige a disparu, le soutient également et aux-delà de nos frontières : il bénéficie du soutien politique, diplomatique et financier de deux personnes profondément sinistres comme l’ex-président colombien Alvaro Uribe et l’ex-président du gouvernement espagnol, héritier direct du franquisme, José Maria Aznar, deux personnalités qui ont baigné dans le sang et la corruption. Les partis et mouvements populaires de toute l’Amérique Latine et des Caraïbes ont manifesté leur profonde préoccupation face à la possibilité qu’avec la victoire du candidat de la coalition Cambiemos se termine l’ère des gouvernements progressistes et de gauche dans la région, mais également que cette victoire favorise la répression des mouvements sociaux dans des pays dominés par des gouvernements néolibéraux comme au Chili, au Pérou, en Colombie et au Mexique entre autres.
Face à ce scénario, comment faire pour arrêter le triomphe du candidat de l’empire ? Imaginons quelles pourraient être les alternatives. La première : une victoire électorale d’une grande coalition de gauche (type Front Large uruguayen). Probabilité égale à zéro car aucune force de gauche n’est arrivée au ballottage. Malheureusement, nous sommes dans un cas de figure où s’affrontent un « néolibéralisme dur » et un « kirchnérisme light ». Seconde alternative : une insurrection populaire réussie qui renverse le gouvernement de Madame Kirchner, détruit les appareils répressifs de l’Etat et met au pouvoir une coalition révolutionnaire et annonce comme première mesure l’annulation du second tour des élections du 22 novembre.
Probabilité également égale à zéro, impossible dans la conjoncture actuelle. Comme dirait Lénine, il n’y a ni condition objective ni subjective pour une insurrection. Ainsi, elle est écartée. Troisième alternative : coup d’État militaire nationaliste (type Pérou 1968) pour empêcher le triomphe de Macri mais il n’y a aucune possibilité qu’un tel événement advienne. Ce type de militaire n’existe pas en Argentine sauf marginalement et le système institutionnel et politique ne tolérerait pas son irruption. Quatrième alternative : l’anéantissement physique de certains candidats, lequel précipiterait une terrible crise politique et la suspension du deuxième tour. Heureusement, ceci ne risque pas d’arriver étant donné que ce serait moralement et politiquement inacceptable et que personne ne plaiderait pour une telle alternative.
Cinquième alternative : vaincre Macri avec le seul « instrument politique » disponible qui est aujourd’hui Daniel Scioli. Quand je dis « instrument politique », je me réfère précisément au caractère pleinement instrumental du vote pour le candidat du Front pour la Victoire (FPV). Ce n’est pas un chèque en blanc, ça ne signifie pas non plus croire que le gouverneur de la province de Buenos Aires se soit comme par magie transformé en Ernesto « Che » Guevara ; ce n’est pas non plus une promesse de soutien ou un engagement avec un projet encore plus éloigné de la gauche qu’avec le kirchnérisme mais qui en principe nous permettrait de nous libérer du plus grand mal.
C’est une option instrumentale imposée par les circonstances et par une corrélation de forces qui aujourd’hui, ne nous permet pas d’aller plus loin. Après cela, si nous parvenons à mettre fin au plan de maître de l’empire qui est de remplir l’Amérique Latine de leaders comme M.Macri ou de gens comme Alvaro Uribe (Colombie), Henrique Capriles et Leopoldo López (Venezuela), Aécio Neves (Brésil), Guillermo Lasso (Equateur), ou encore Samuel Doria Medina (Bolivie), nous nous occuperons de Scioli et de la direction que prendrait son éventuel gouvernement pour lequel il faudra réaliser un immense effort de mobilisation et d’organisation populaire, tâche dans laquelle le retard de l’Argentine est alarmant. Mais j’insiste, il faut tout d’abord stopper Macri.
Si quelqu’un possède une autre alternative concrète – non de vagues alternatives qui se désintéressent joyeusement des exigences de la conjoncture, des responsabilités de l’internationalisme socialiste, ou qui dénoncent, alors vive cette découverte ! Les limitations du « sciolisme », je remercierai qu’on me les fasse savoir car j’y souscrirai immédiatement. Mais, aujourd’hui, maintenant, voter blanc, c’est faciliter le projet de l’impérialisme pour toute l’Amérique Latine. C’est ce que veut Washington et l’alliance sociale qui soutient le « macrisme ».
Est-il si difficile de comprendre quelque chose de si simple ? Il ne suffit pas d’énumérer les soutiens de M. Macri à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Argentine, pour conclure que notre mission doit être que celui-ci n’accède pas à la Casa Rosada ? Ce qui est en jeu est énorme, pour l’Argentine et pour toute la région. Si seulement nous avions pu avoir une meilleure alternative mais dans la conjoncture actuelle, il n’y en a pas. Une alternative qui n’a été construite ni par le kirchnérisme en douze ans ni par la gauche, peu importe ses variantes. Nous devons la construire, mais si Macri l’emporte dans les urnes, la tâche sera beaucoup plus difficile car l’environnement international se durcira significativement et les forces réactionnaires gagneront en confiance pour poursuivre leur croisade restauratrice.
Une alliance ouvertement conservatrice comme la coalition Cambiemos contrôlant le gouvernement national, la province et la ville de Buenos Aires (plus la Banque Nationale) et comptant avec l’appui des principales provinces du pays (Cordoba, Santa Fe et Mendoza) et la solidarité du capitalisme international est un pouvoir formidable que très peu de fois la droite a eu dans l’histoire de l’Argentine. Daniel Scioli, avec les contradictions que représente son hétérogène force sociale ouvre une petite fenêtre d’opportunité pour les actions de la gauche. Avec M. Macri, cette fenêtre sera hermétiquement fermée.
Source originelle : Le Journal de Notre Amérique n°8
Source : http://www.investigaction.net/L-Argentine-face-a-son-destin.html