Le système pénal chinois s’appuie encore fortement sur les « aveux » arrachés sous la torture et par le biais d’autres formes de mauvais traitements, tandis que les avocats qui persistent à dénoncer les abus sont souvent menacés, harcelés, voire incarcérés et torturés eux-mêmes, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 12 novembre.

Ce rapport, intitulé No End in Sight, explique que des réformes pénales présentées par le gouvernement chinois comme des avancées pour les droits humains ont en réalité peu fait pour changer la pratique tenace consistant à extorquer des « aveux » par la force. Les tentatives d’avocats de la défense de dénoncer des cas de torture ou d’enquêter sur ceux-ci continuent à être systématiquement contrecarrées par la police, le parquet et les tribunaux.

« Dans un système où même les avocats peuvent finir par subir la torture aux mains de la police, que peuvent espérer les accusés ordinaires ? », a déclaré Patrick Poon, spécialiste de la Chine à Amnesty International.

Dans un système où même les avocats peuvent finir par subir la torture aux mains de la police, que peuvent espérer les accusés ordinaires ?
Patrick Poon, spécialiste de la Chine à Amnesty International

« Essayer de dissimuler le fait qu’un système de justice n’est pas indépendant, que la police reste toute-puissante et qu’il n’existe aucun recours lorsque les droits des accusés sont bafoués ne fera pas grand chose pour lutter contre la torture et les mauvais traitements en Chine. Si le gouvernement souhaite réellement améliorer la situation des droits humains, il doit commencer par demander des comptes aux organes chargés de l’application des lois lorsque ceux-ci commettent des abus. »

Des avocats de toute la Chine ont parlé à Amnesty International des représailles dont ils ont été victimes lorsqu’ils ont défié les autorités chargées de l’application des lois. Certains ont pointé du doigt les failles du système de justice permettant à des policiers, des procureurs et d’autres représentants de l’État de contourner les nouvelles garanties censées prévenir les « aveux » forcés et ainsi éviter les erreurs judiciaires. Des juristes chinois estiment que moins de 20 % des prévenus bénéficient d’une assistance juridique dans les affaires pénales.

« Le gouvernement semble plus préoccupé par l’embarras que pourraient lui causer des erreurs judiciaires que par la lutte contre la torture en détention », a déclaré Patrick Poon.« Pour la police, obtenir des aveux reste la manière la plus simple d’obtenir une condamnation. Tant que les avocats ne pourront faire leur travail sans craindre de représailles, la torture restera monnaie courante en Chine. »

Pour la police, obtenir des aveux reste la manière la plus simple d’obtenir une condamnation. Tant que les avocats ne pourront faire leur travail sans craindre de représailles, la torture restera monnaie courante en Chine.
Patrick Poon
Le rapportfait état de cas de torture et de mauvais traitements en détention provisoire, notamment de passages à tabac par des policiers ou par d’autres détenus, au vu et su d’officiers ou sur leurs ordres. Figurent parmi les méthodes de torture décrites : les chaises d’immobilisation en fer, les bancs du tigre – où les jambes du détenu sont ligotées à un banc, et des briques sont ajoutées petit à petit sous les pieds de la victime, forçant les jambes à se plier vers l’arrière -, ainsi que de longues périodes de privation de sommeil et des restrictions d’eau et de nourriture.Alors que le bilan de la Chine en terme de torture doit être passé au crible par le comité d’experts anti-torture des Nations unies, à Genève la semaine prochaine, le gouvernement affirme que les autorités ont « toujours encouragé et soutenu les avocats dans le cadre de leurs fonctions » et ont réfuté que des « représailles » aient eu lieu.Tang Jitian, un ancien procureur et avocat de Pékin, a déclaré à Amnesty International qu’il avait été torturé par des membres des forces de sécurité en mars 2014, après que lui-même et trois autres avocats ont enquêté sur des cas présumés de torture dans un lieu de détention secret – ou « prison noire » – à Jiansanjiang, dans le nord-est de la Chine.« Ligoté à une chaise en fer, j’ai été giflé, roué de coups de pied dans les jambes et frappé à la tête à l’aide d’une bouteille en plastique remplie d’eau, avec une force telle que j’en ai perdu connaissance », a-t-il dit.Il a ensuite été menotté dans le dos et suspendu par les poignets alors qu’il était cagoulé, et des policiers l’ont frappé.Yu Wensheng, un avocat de Pékin, a été arrêté le 13 octobre 2014 et maintenu en détention pendant 99 jours par la police. Il a déclaré à Amnesty International qu’il avait subi environ 200 interrogatoires ; 10 membres des forces de sécurité se relayaient à raison de trois roulements par jour pour l’interroger. Il avait les poignets attachés derrière le dos à l’aide de menottes délibérément trop serrées.« Mes mains étaient gonflées et j’avais tellement mal que je ne voulais plus vivre. Les policiers tiraient de manière répétée sur les menottes et je hurlais », a-t-il expliqué.CHINE. LES CAS DE TORTURE ET D’«AVEUX» FORCÉS SONT MONNAIE COURANTE, ET LES DROITS DES AVOCATS SYSTÉMATIQUEMENT BAFOUÉSIllustration d’artiste représentant un « banc du tigre », une technique de torture utilisée en Chine où les jambes du détenu sont ligotées à un banc, et des briques sont ajoutées petit à petit sous les pieds de la victime, forçant les jambes à se plier vers l’arrière. © Baodiucao

Détention secrète et torture

Des juristes ont expliqué à Amnesty International que l’obtention d’« aveux » au moyen d’actes de torture reste une pratique courante en détention provisoire, en particulier dans les affaires ayant une dimension politique, telles que celles impliquant des dissidents, des membres de minorités ethniques ou des personnes prenant part à des activités religieuses.

Le rapport montre que ces deux dernières années, les autorités ont de plus en plus souvent utilisé une nouvelle forme de détention au secret appelée « surveillance résidentielle dans un lieu désigné », consacrée par le droit en 2013 quand des modifications ajoutées au Code chinois de procédure sont entrées en vigueur.

Dans le cadre de cette surveillance, les personnes soupçonnées de terrorisme, de corruption massive ou d’atteintes à la sécurité de l’État peuvent être privées de liberté pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois dans un lieu secret hors du système carcéral officiel, ce qui expose le détenu en question à un risque élevé de torture et d’autres formes de mauvais traitements.

Douze avocats et militants visés par les mesures de répression actuelles contre les militants spécialistes du droit et notamment des droits humains sont actuellement maintenus en « résidence surveillée dans un lieu désigné » pour atteintes présumées à la sécurité de l’État. Amnesty International considère qu’ils risquent tous d’être victimes de torture et d’autres formes de mauvais traitements, et a demandé au gouvernement chinois de les remettre en liberté et d’abandonner toutes les charges retenues contre eux.

Résistance à la réforme

Malgré la série de réformes introduites depuis 2010, la définition de la torture dans le droit chinois reste inadéquate, ainsi que contraire au droit international. Le droit chinois continue à n’interdire que certains actes de torture, tels que le « recours à la violence pour obtenir un témoignage », s’ils sont en outre attribués à certains responsables de l’application des lois, les autres auteurs pouvant uniquement être poursuivis comme complices. La torture psychologique n’est pas interdite par le droit chinois ainsi que l’exige le droit international.

La majorité des avocats ayant parlé avec Amnesty International dans le cadre de ce rapport ont affirmé que l’absence d’indépendance de la justice et les pouvoirs très étendus des organes chargés de l’application des lois figurent parmi les principaux obstacles à l’accès à la justice dans les cas de torture présumés. Les commissions politiques et juridiques locales, composées de responsables du Parti communiste, pèsent de manière considérable sur l’issue des procès sensibles sur le plan politique. Quand une commission veut une condamnation, les éventuelles accusations de torture ne sont pas prises en considération par le tribunal, et les tortionnaires présumés sont rarement amenés à rendre des comptes.

Des avocats ayant parlé à Amnesty International ont déploré l’impossibilité de signaler les allégations de torture devant le tribunal, d’obtenir que de véritables enquêtes soient menées par le parquet – sans parler d’organes indépendants- ou de faire rayer les « aveux » forcés des éléments de preuve admissibles lors des procès.

« Les dirigeants et policiers locaux continuent à tirer les ficelles du système pénal chinois. Malgré les efforts de certains avocats de la défense, de nombreuses allégations de torture sont passées sous silence pour des raisons de commodité politique », a déclaré Patrick Poon.

« La police détient des pouvoirs quasi illimités, et les mesures visant à mettre un frein à la torture n’ont pas les effets requis. »

CHINE. LES CAS DE TORTURE ET D’«AVEUX» FORCÉS SONT MONNAIE COURANTE, ET LES DROITS DES AVOCATS SYSTÉMATIQUEMENT BAFOUÉS

Illustration d’artiste représentant une technique de torture utilisée en Chine. © Baodiucao

Torture et éléments de preuve « illicites »

Afin d’analyser la manière dont les tribunaux chinois réagissent aux allégations selon lesquelles des « aveux » ont été arrachés sous la torture, depuis l’introduction de réformes visant à exclure les éléments de preuve obtenus par ce biais, Amnesty International a passé en revue des centaines de documents juridiques rendus publics sur la base de données en ligne de la Cour populaire suprême.

Sur un échantillon de 590 cas dans lesquels des allégations de torture ont été formulées, des « aveux » forcés ont été exclus des éléments de preuve dans seulement 16 affaires, dont une a débouché sur un acquittement et le reste a mené à des condamnations sur la base d’autres éléments. Le faible nombre de cas où des éléments de preuve obtenus sous la torture ont été déclarés irrecevables semble confirmer les déclarations d’avocats selon lesquelles : des « aveux » forcés continuent à être présentés à titre de preuve devant les tribunaux ; et des éléments obtenus illégalement ne sont pas écartés par les juges.

Aux termes du droit international et du droit chinois, il appartient au parquet de montrer que les éléments de preuve ont été obtenus légalement. En pratique cependant, les tribunaux rejettent systématiquement les allégations de torture si l’accusé ne peut prouver ses dires.

Le rapport présente une série de recommandations détaillées. En particulier, afin d’éradiquer le recours à la torture et aux autres formes de mauvais traitements dans le cadre du système pénal chinois, Amnesty International exhorte le gouvernement chinois à :

  • Garantir que les avocats et les militants spécialistes du droit puissent mener leur travail sans subir de harcèlement, de manœuvres d’intimidation, de restrictions arbitraires, ni craindre d’être incarcérés, torturés ou autrement maltraités, ou encore poursuivis en justice.
  • Veiller à ce que les déclarations obtenues sous la torture ou au moyen d’autres mauvais traitements ne soient utilisées dans aucune procédure judiciaire.
  • Mettre la législation, les politiques et les pratiques chinoises en conformité avec l’interdiction absolue de la torture et des autres formes de mauvais traitements, qui est inscrite dans le droit international.

 

L’article original est accessible ici