Nous sommes allés à la rencontre de Randa Massot, habitante du 19 ème arrondissement de Paris et membre du réseau RESF.
Nous lui avons posé des questions simples. Pour revenir aux fondamentaux.
Pour remettre à leur juste place les peurs et les fausses croyances.
Et pour rendre à l’être humain la place qui lui revient, la place centrale, celle de toutes les attentions.
Pressenza – Pouvez-vous vous présenter ?
Randa Massot – Je suis Randa Massot, franco-américaine. J’habite le 19 ème arrondissement de Paris depuis 8 ans. Depuis un an, je milite dans ce quartier pour les mineurs étrangers isolés qui sont en voie d’intégration dans le système scolaire français. Par le biais du Réseau Education Sans Frontières, je les accompagne dans ce parcours pour qu’ils puissent intégrer l’école et plus largement se construire une vie correcte. Depuis le 2 juin dernier, je suis impliquée dans le nord-est parisien pour aider les 451 réfugiés qui ont été évacués d’un campement sous le pont du métro à la Chapelle[1] à Paris.
Quelles sont les grandes causes d’immigration actuelle ?
On a eu en France différentes vagues d‘immigration, venant d’Afrique, d’Afghanistan et d’Europe de l’Est. La situation des morts en méditerranée, qui a tellement choqué l’opinion publique, est plus récente.
Les raisons qui poussent les populations à émigrer sont nombreuses et concernent beaucoup de pays. Il y a les guerres civiles, les régimes répressifs, les changements climatiques comme l’assèchement des terres qui provoquent des famines, les guerres de religion, les guerres économiques qui concernent tous les pays dont l’économie a été captée par le colonialisme.
Je voudrais insister sur un point : en aucun cas les gens ne quittent leur pays et leur maison de gaîté de coeur. Si elles le pouvaient, ces personnes resteraient chez elles. Si elles partent, c’est parce qu’elles n’ont pas le choix.
Elles sont les boucs émissaires de la guerre économique dans laquelle nous sommes. Nous sommes en train de faire tomber tous les principes de l’Union européenne. Cette indivision qu’on laisse régner vient creuser les fossés entre les pays et encourage les nationalismes. Le règlement et les fondements de l’Europe étaient des principes de libre circulation qui sont aujourd’hui bafoués tout comme l’est la convention de Genève de 1951[2]. Cela touche tous les principes de progrès social et donc aussi celui de l’accueil des réfugiés.
Qui sont les réfugiés ?
Ils appartiennent à toutes les couches sociales de la population. Il faut comprendre que c’est toute la société qui se déplace. La question qu’il faut donc se poser est : “pourquoi toute la société se déplace-t-elle ?”.
On parle souvent des hommes et on a souvent vu des images d’hommes. Mais il faut bien se rendre compte qu’il y a aussi des femmes, des enfants et des personnes âgées, ce sont des familles complètes et parmi lesquelles il y a des personnes fragiles.
Cet été, à La Chapelle et à la Halle Pajol[3] la population était majoritairement soudanaise et érythréenne. Ce sont des personnes qui ont fui des conflits politiques et qui risqueraient leur vie si elles devaient retourner dans leur pays parce que les régimes politiques ou les guerres qui y sévissent font qu’ils y seraient en danger. C’est important de comprendre cela, car le discours comme “on va faire le tri, on va renvoyer des gens, ou créer des camps à coté des pays qui sont en guerre” est inadapté.
La France a prévu d’accueillir 24000 réfugiés en deux ans. C’est très peu si, par exemple, on compare avec l’Allemagne. Pourquoi tant de différence ?
Cette année en France le nombre de demandes d’asile est en baisse. Avant cette décision d’accueillir 24000 réfugiés, la France était le 17ème pays – par rapport au nombre d’habitants – à valider des demandes d’asile.
Les pays qui ont une économie plus forte et un vieillissement de la population important vont augmenter leur accueil car ils ont besoin de main-d’oeuvre. En général, en Europe le moment est très conservateur. L’Union européenne ne fonctionne pas de façon cohérente, nous rencontrons les mêmes individualismes au niveau des pays que ceux que nous rencontrons à un niveau individuel. Nous sommes dans des égoïsmes nationaux et une désolidarisation qui va à l’encontre du principe d’une Europe fédérée. Nous sommes loin des principes établis à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
À partir du moment où il arrive en France quel est le parcours d’un réfugié pour pouvoir être régularisé ?
Les personnes déposent une demande d’asile, laquelle est éventuellement attribuée après étude du dossier. Dans ce cas, les personnes reçoivent une carte de réfugiés politiques pour une période qui varie entre 1 à 10 ans.
Avoir une carte de demandeur d’asile permet de s’intégrer, notamment de travailler et de pouvoir reconstruire sa vie.
Une nouvelle loi datant de cet été a pour objectif de fluidifier – pour rendre plus simple et plus rapide – l’analyse des dossiers des demandeurs d’asile en ramenant le délai actuel de 18 mois à 3 ans à 3 mois. Est-ce que les droits ne seront pas bafoués dans cette compression de temps ? Cela reste une interrogation. De plus, avec la nouvelle loi, la carte de séjour peut être remise en cause à tout moment.
Il y aussi des projets de renvois de demandeurs d’asile vers leur pays ou vers des camps situés dans les pays limitrophes qui risquent de devenir des zones de non droit. Les associations de la société civile militent pour le retrait du traité de Dublin qui a mis en place la prise d’empreintes dans le premier pays d’arrivée. L’Allemagne vient d’émettre un avis contre ce traité et il faut espérer que la France et toute l’Europe suivra. Pour en savoir plus, il ne faut pas hésiter à se rapprocher des associations telles que le Gisti ou la Cimade.
Beaucoup d’associations dénoncent les conditions d’accueil déplorables ? Quels sont votre expérience et votre constat ?
Les réfugiés sont souvent dans des campements insalubres : pas d’eau potable, pas de toilettes, pas de douches, et évidemment rien pour se faire à manger. Ils n’ont pas non plus de bonnes conditions d’informations même si les associations et des bénévoles jouent un rôle essentiel à ce sujet.
Concernant le cas de Pajol, des maisons de quartiers s’occupent de la santé.
Pour le moment il n’y a pas de lieu d’accueil des réfugiés et de fait, les personnes s’attroupent dans des camps. Il y a seulement quelques lieux d’hébergements temporaires. La réalité c’est aussi que les organismes qui accueillent n’ont pas les moyens humains ni les dotations financières pour faire un suivi correct.
Quelles sont les propositions pour les accueillir dignement ?
Nous devons nous interroger sur notre prédisposition à accueillir et sur la façon dont nous définissons l’accueil. Nous devons aussi nous interroger sur l’histoire et les craintes qui sous-tendent notre façon d’aborder l’accueil en France. Pour moi, il est nécessaire de réfléchir à tout cela car nous avons tendance à aborder la question par le biais de notre histoire néocoloniale. Aujourd’hui, nous créons les conditions de l’esclavage moderne.
Ce qui compte, c’est le respect de la personne. Par exemple, il pourrait y avoir un lieu d’accueil où les gens peuvent venir s’informer dans toutes les langues et où ils trouveraient une permanence juridique, un centre de santé, un lieu d’instruction civique, des cours de français, des informations sur les lieux d’hébergement.
Il pourrait y avoir une plateforme en ligne où les informations seraient disponibles et mises à jour pour que ceux qui accompagnent les migrants puissent avoir accès à l’information. Tout cela suppose que nous ayons vraiment envie d’intégrer ces personnes et cela questionne sur notre envie d’égalité.
Plus largement, je crois que nous devons avoir une politique de bientraitance de tous les démunis.
Que répondez-vous à ceux qui disent que l’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ou que l’on doit s’occuper d’abord de ceux qui sont dans le besoin ici ?
La France est la 6 ème puissance économique mondiale avec 64 millions d’habitants. L’Europe est la première puissance économique du monde.
Le préambule de la constitution de 1946 prévoyait que tout le monde puisse avoir un toit, l’accès à l’école et un travail. Le non-accueil va à l’encontre du préambule de notre constitution après la guerre.
Quant à la question des fonds et des raisons de la crise économique que nous traversons, on devrait se préoccuper de ceux qui partent avec leurs impôts dans les paradis fiscaux. Quand les impôts sont dans les paradis fiscaux cela veut dire que l’on finance moins les services publics ici. Quand le président annonce qu’il y a deux milliards en moins de recettes d’impôts cela a un impact plus important sur le financement de notre service public que les 24000 réfugiés.
Les immigrés, quant à eux, plus qu’ils ne coûtent, contribuent à l’essor de la société en payant leurs impôts.
Au-delà de l’économie, ils contribuent aussi à la richesse culturelle de notre société et cela ouvre des perspectives multiples. Il n’est, de toute façon, pas intéressant de limiter un être humain à ce qu’il coûte parce que toute vie est égale.
Pourquoi est-ce un devoir de les accueillir ?
Nous sommes signataires, tout comme d’autres pays, de la convention de Genève de 1951. Lorsqu’on refuse ces droits, ce sont 65 ans d’histoire que l’on raye. Ces signatures ont un sens et dans ce cas on assiste les personnes qui sont en danger.
C’est aussi un devoir moral d’être là pour son prochain.
Que pensez-vous de l’élan de solidarité qui émerge ?
Enfin ! Il est temps ! Mais il faut une prise en charge construite et nous ne devons pas perdre de vue que notre gouvernement doit prendre ses responsabilités en allant jusqu’au bout de ses engagements et en finançant les organismes qui aident ces personnes réfugiées.
Comment l’intégration de ces immigrés peut-elle modifier le paysage social européen ?
Nous sommes déjà dans un paysage multiculturel. L’Europe est constitué de 28 pays. Dans mon quartier, par exemple, il y a 100 nationalités. Un quart de la population française est issu de l’immigration. C’est une richesse d’avoir toutes ces cultures et cela fait partie de nos racines.
[1] Le pont du métro à la Chapelle se situe à la frontière des 18ème, 19ème et 10ème arrondissements de Paris.
[2] La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés constitue le document-clé dans la définition du réfugié, ses droits et les obligations légales des états.
[3] La halle Pajol est un ancien entrepôt désaffecté de la SNCF qui abrite aujourd’hui des commerces et de nombreux équipements publics ainsi qu’un jardin. Elle est située dans le quartier de la Chapelle dans le 18ème arrondissement de Paris.