Le train de Die, dans la Drôme, est surnommé la « ligne de vie ». Il est le train de tous les jours de ceux qui travaillent à Crest ou à Valence. Alors que résonnent des rumeurs de sa fermeture, c’est la question du transport ferroviaire et de son prix qu’il faut reposer plutôt que de multiplier les « cars Macron » sur les routes de campagne.
Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale Rhône-Alpes.
Le long de la vallée de la Drôme, les feuilles commencent à jaunir, virent à l’orangé et rougissent. Écarlates. C’est un vrai camaïeu d’automne qui s’étend sur les flancs du Vercors. En venant de Valence, à bord du train qui longe la rivière, on glisse le long des vignes, on croise un village, on traverse la rivière encore marron-limon de l’orage d’hier, on aperçoit le massif des Trois-Becs, et on se surprend à vouloir ouvrir une de ces fenêtres coulissantes à l’ancienne qui n’existent plus, pour humer l’air glacé, empreint de ce parfum persistant de feu de bois qui commence à envahir les rues du Diois.
Ce train, c’est celui de la ligne de Die, aussi appelée « ligne de vie ». C’est celui des stations de ski des Alpes, avec le train de nuit Paris-Briançon qui fonctionne à plein les fins de semaine en hiver. Mais c’est aussi le train de tous les jours pour celles et ceux qui travaillent à Crest ou à Valence. Qui montent le matin, qui avec son vélo, qui avec son tricot, en espérant qu’ils ne seront pas en retard au boulot. Et puis c’est aussi le train des internes, les lycéens qui retrouvent la gare joyeusement chaque vendredi pour rentrer chez eux. Et que je croise parfois dans la montée de la gare vers la ville le dimanche soir, encombrés de valises et, pour les options cirque, de quelques balles de jonglage ou même, une fois, d’un monocycle.
La gare de Die, c’est deux voies qu’on traverse à pied sur une planche qui, grâce à deux bandes de caoutchouc, n’est plus verglacée et glissante l’hiver. C’est ce moment précieux où on regarde les brumes du Vercors se lever en attendant son train tôt le matin. C’est aussi son antique balance ancrée à même le sol pour peser bagages et marchandises, qu’on a réussi à sauver lors des travaux de rénovation et qui ravit les gamins de passage – les adultes aussi. C’est mon train. Et c’est aussi celui des cheminots, conducteurs et agents en gare, qui m’engueulent gentiment à chaque fois que je viens retirer mes dossiers prépayés sur le site internet de la SNCF. Parce que ça ne rentre pas dans les statistiques de fréquentation. Et qui m’alertent en cette rentrée sur les rumeurs de fermeture du guichet, avec la suppression du personnel en gare. Une nouvelle bataille, on n’en finit jamais. J’ai vérifié si j’avais raté une info, en allant consulter le compte-rendu du comité de ligne, j’ai regardé si il y en avait un autre de prévu rapidement. Doublement négatif.
Alors, on a écrit à la SNCF :
Et j’ai ressorti une étude que j’avais soigneusement conservée, du conseil local de développement, en vue d’un guide des mobilités. Une enquête avait été réalisée auprès des personnes dites « empêchées », c’est-à-dire n’ayant pas de voiture et qui dépendent donc du train pour se déplacer : personnes âgées, jeunes, précaires… Elle mettait en évidence qu’aller au travail était le principal motif de déplacement dans la vallée, avec plus de 80 % des trajets en voiture. J’ajouterai qu’avec la disparition des services publics de proximité, il y a de plus en plus de besoins de se déplacer en zone rurale. Or, non seulement cela a un coût, mais si on prend le trajet de Saillans à Valence, y aller en voiture dégage 10,46 kilos de dioxyde de carbone (CO2). En train, les émissions tombent à 1,57 kilo.
Le refrain libéral reprend de plus belle
Certes. Seulement voilà : de plus en plus de trains sont remplacés par des cars, moins confortables et plus lents, quant aux trains, les retards s’accumulent, et au final les gens ne prennent plus ni car ni train. C’est un cercle vicieux. On voit le même à l’œuvre dans le cadre de l’éducation nationale, de la poste ou des hôpitaux publics : à force de compresser les salaires, les moyens de travail, le personnel, les investissements, fatalement à la fin ça ne marche plus aussi bien, les gens qui le peuvent se détournent du public, remaquillé en mastodonte inefficace et se tournent vers le privé. Idem pour la sécu ou pôle emploi. Et le petit refrain libéral reprend de plus belle, qui veut nous faire croire que l’inefficacité serait inhérente au secteur public, quand tout est orchestré pour déléguer le plus de choses possibles au privé, ce qui permet au gouvernement de faire apparaitre des économies de budget et de répondre aux injonctions d’austérité venues de Bruxelles, mais qui, en revanche, coûte cher au citoyen.
Le réseau ferroviaire français s’est énormément contracté depuis 80 ans
Alors franchement, plutôt que de mettre des « cars Macron » sur les routes le long des voies ferrées en disant que ça coûtera moins cher aux voyageurs que le train, est-ce qu’on peut deux secondes se poser la question de savoir pourquoi la SNCF a des tarifs aussi élevés ? Pour aller à Valence en car, sans abonnement c’est 13 euros l’aller simple, 7 euros d’essence pour s’y rendre en voiture. Pourquoi sur tant de trajets ça coûte moins cher de prendre la voiture, et même l’avion, que le train ? Pourquoi les coûts des routes sont-ils pris en charge par la collectivité et ceux d’entretien des rails par les usagers, répercutés sur le prix de leur billet ? Pourquoi les paquets européens de libéralisation du rail ont-ils fait de la SNCF une entreprise qui cherche la rentabilité comme n’importe quelle boîte privée ? Comment se fait-il que la SNCF, par son volet routier, soit aujourd’hui la concurrente directe de la SNCF, pour ses trains ? Comment en est-on arrivé à ce titre, bon sang : « La SNCF va vous faire préférer la voiture ! » Absurde. Il ne faut pas s’étonner après que les syndicats de cheminots prennent pour une grosse farce le « train-climat » lancé tout spécialement à quelques semaines de la COP21. Eux savent l’abandon du fret et du wagon isolé, le manque d’effectifs en gare, la baisse des investissements, la course à la compétitivité et les plateformes abandonnées.
Pour avoir dénoncé le déni de démocratie, les conflits d’intérêt, la ruine financière et environnementale que représente le pharaonique Lyon-Turin, alors que l’existant pourrait être amélioré à moindre frais et rapidement utilisé, l’écrivain Erri de Luca se retrouve aujourd’hui devant la justice. Absurde toujours : les coûts exorbitants de ces gares TGV plantées au milieu de nulle part. Ces gares, qui en a décidé ? Est-ce qu’on est vraiment obligés de continuer les mêmes hérésies avec le projet aberrant de gare TGV à Allan, en plein milieu de la Drôme, quand il y en a déjà deux, à Valence et à Montélimar ? Tout ça pour qui ?
Les trains du quotidien, voilà la priorité. Venez faire un tour dans nos vallées, vous verrez comment les habitants se débrouillent. On n’a pas de métro dans le Diois, mais du joli multimodal, comme on dit. Celui de Claire, par exemple, qui habite Die et travaille tous les jours à Crest : le matin elle arrive en voiture à la gare de Die, prend le train, et finit à pied pour rejoindre son bureau. Et en cas de retard du train, il y a covoiturage inopiné sur le parking de la gare. Mais ce n’est pas très satisfaisant, avouez…
Alors on a écrit. Et on n’a pas fini d’en parler. Rien que cette semaine, il y a eu le café-citoyen du Rassemblement pour les régionales, mardi 13 octobre, sur les transports, il y a le vote à la région sur la prochaine convention TER avec la SNCF ce jeudi 15 octobre. Et on vous réserve une jolie surprise dans le coin le 28 novembre… Surveillez les rails.
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Source et photos : Corinne Morel Darleux pour Reporterre
. Sauf réseau SNCF : CNRS