L’économie circulaire, tout le monde en parle. Et surtout ceux qui l’appliquent le moins. C’est ce que constate Delphine Lévi Alvarès, spécialiste des déchets. Elle alerte sur la réduction du concept à l’écologie industrielle et au recyclage. Et dénonce les grands groupes industriels qui récupèrent le langage de l’économie circulaire sans en opérer les changements.

Delphine Lévi Alvarès est responsable du plaidoyer et des relations institutionnelles à l’association Zero waste France.

L’économie circulaire. Dans le petit monde des déchets et des ressources, tout le monde en parle. Mais chacun avec ses mots, sa propre définition, ses intérêts, en poussant son propre agenda. Supposée être un nouveau modèle calqué sur le fonctionnement des écosystèmes, les débats qui ont lieux depuis quelques années sur l’économie circulaire ont dans les faits considérablement restreint sa définition à l’écologie industrielle et au recyclage.

Une affaire d’industrie et de technologie

Les questions d’efficacité et de sobriété dans l’utilisation des ressources au moment de la conception des produits, d’éco-conception dans une visée d’allongement de la durée de vie du produit ou encore de réemploi sont en quelque sorte les parents pauvres de ce débat.

Malgré la volonté affichée de certains acteurs d’en faire un sujet plus large que la simple gestion des déchets, il s’avère ainsi que la majorité des initiatives ou projets mis en avant concernent le recyclage ou l’écologie industrielle. La raison en est simple : dans la conception « mainstream »du concept, l’économie circulaire est une affaire d’industrie et de technologie, qui vise à boucler la boucle en faisant du déchet des uns les ressources des autres.

En cela, l’économie circulaire telle qu’elle est promue aujourd’hui diffère de la démarche Zero Waste [1], qui mise avant tout sur la réduction de l’utilisation des ressources via l’éco-conception et les changements dans les modes de consommation (vente en vrac, consigne, économie collaborative, allongement de la durée de vie).

Sa mise en œuvre trouve ainsi sa source dans les dynamiques humaines, à une échelle souvent bien inférieure aux politiques de recyclage ou aux grands projets d’écologie industrielle. Si l’économie circulaire est en théorie le modèle d’économie à atteindre, la démarche Zero Waste en est le carburant, mobilisant toutes les énergies humaines au service de ce changement de paradigme.

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Le scénario de l’association « Zero Waste » (Zéro déchet, Zéro gaspillage)

Récupération sémantique

Mais dans les faits, promouvoir des petites initiatives locales de réemploi ou la démarche de PME développant de nouveaux business modèles basés sur la frugalité (pour ne pas dire le gros mot de « décroissance ») entraînerait un détournement des profits des groupes industriels du déchet. On veut bien changer le système en parlant de ce nouveau et magique modèle de l’économie circulaire, mais pas trop quand même.

Pour noyer un peu le poisson, les multinationales du déchets changent leur message, mais les intentions commerciales restent les mêmes. S’est ainsi opéré un glissement sémantique intéressant de « déchet » vers « ressource », comme cela s’était produit au début des années 2000 lorsque les incinérateurs étaient subitement devenus des « unités de valorisation énergétique » et les décharges des « centres d’enfouissement technique ».

On en arrive parfois à des situations frôlant le ridicule, à l’image du « Ressource revolution tour »organisé il y a quelques mois par Suez environnement au moment de son changement de nom. Les trois conférences organisées successivement à New-York, Paris et Beijing ont vu défiler une succession d’intervenants de grande qualité sur l’économie du partage ou l’innovation frugale, centrant leur message sur la ressource infinie de l’être humain pour impulser un changement de paradigme.

Autant dire des messages complètement déconnectés des stratégies d’une multinationale comme Suez, qui cherche à massifier les flux de déchets traités pour rentabiliser son activité, qui privatise l’accès à l’eau dans les pays en développement ou même tout simplement fonde la pérennité de son activité sur le simple fait que l’on continue à produire des déchets, recyclables ou non. On est bien loin de l’open source et des dynamiques d’innovation sociale promue via le Ressource revolution tour…

Aller au bout de la démarche

Et la créativité des communicants des multinationales du déchet ne s’arrête pas là. Le flou persistant entourant les frontières de l’économie circulaire les encourage ainsi à promouvoir l’incinération avec récupération d’énergie (ou « valorisation énergétique ») comme une composante naturelle de cette circularité. Si l’on en revient aux fondements de l’économie circulaire, à savoir le fonctionnement des écosystèmes, la combustion n’a jamais été une stratégie de la nature pour créer de l’énergie…

Mais pour changer l’image de leurs activités sans changer leur fondement, toutes les« récupérations sémantiques » sont bonnes, y compris parler de « Zero waste to landfill » [2]. Cet objectif a priori louable, promeut en réalité le détournement des déchets de la mise en décharge vers le recyclage, certes, mais surtout vers l’incinération pour les flux de déchets qui seraient un peu difficiles ou pas très rentables à recycler.

Si l’on semble encore loin du changement de paradigme, la manipulation du concept d’économie circulaire et les débats auxquels elle donne lieu, participent à poser les bases du modèle économique de demain, en inscrivant à l’agenda du débat public la question de la préservation des ressources et du développement de modèles alternatifs de production et de consommation.

Là où certains s’accrochent encore désespérément aux business modèles d’hier, d’autres mettent déjà leurs ressources humaines et leur énergie créative au service de la société de demain. L’économie circulaire oui, mais allons jusqu’au bout de la démarche.


[1Zéro déchet, zéro gaspillage : plus d’informations sur www.zerowastefrance.org

[2Zéro déchet en décharge


Lire aussi : Mais c’est quoi, enfin, l’économie circulaire ?


Source : Courriel à Reporterre

• Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
• Titre, chapô et inters sont de la rédaction.

Images :
. Dessin : © Félix Blondel pour Reporterre
. Zero Waste : Capture d’écran du scénario proposé par Zero Waste

L’article original est accessible ici