Par Stanislas Jourdan (*)
À la suite d’un regain d’intérêt pour l’idée du revenu de base aux Pays-Bas, la faisabilité d’expérimentations locales est en train d’être étudiée dans plus de 30 municipalités néerlandaises.
Article initialement publié sur basicincome.org. Traduction: Arthur Mignon
Utrecht, quatrième ville la plus peuplée des Pays-Bas, a récemment attiré sur elle les regards, y compris au niveau international, avec l’annonce récente du lancement d’un projet pilote dans le courant de l’année.
Bien qu’aucun programme détaillé n’a été approuvé et que ses spécificités ne sont pas aussi radicales qu’elles en ont l’air dans certains médias, la bonne nouvelle est qu’Utrecht pourrait n’être que la partie émergée de l’iceberg d’une vague massive d’expérimentations locales aux Pays-Bas.
Il y a actuellement 30 municipalités néerlandaises intéressées pour mener de tels projets pilotes. Parmi elles, les villes d’Utrecht, de Tilburg, Wageningen et Groningen sont les plus avancées.
De nombreuses personnes sont à l’origine de cet accomplissement, qui sont aussi l’aboutissement d’une prise de conscience sans précédent concernant le revenu de base aux Pays-Bas. Ceci fait notamment suite à la diffusion de deux documentaires néerlandais sur le sujet.
Sjir Hoeijmakers, un jeune économiste, aide les acteurs intéressés par des expérimentations de revenu de base à l’échelle locale. Il les conseille, et tente de créer des synergies entre les différentes villes. Hoeijmakers a financé son propre “revenu de base” il y a quelques mois par financement participatif, afin de pouvoir s’investir pleinement dans la coordination d’idées de projets pilotes aux Pays-Bas.
“La plupart des gens qui entament ces initiatives recherchent une alternative au système actuel de sécurité sociale, perçu comme basé essentiellement sur le contrôle et la défiance à l’égard des allocataires” explique Sjir Hoeijmakers. Selon lui, la plupart des initiatives en faveur d’expérimentations locales viennent de personnes travaillant dans les administrations municipales, mais quelques-unes viennent aussi d’universitaires ou sont des initiatives citoyennes. “Ce qui est le plus intéressant, et qui est aussi un très bon signe, est que les initiatives viennent de personnes de toutes couleurs politiques, et sont souvent dépolitisées.”
Mais en quoi consistent exactement ces expérimentations ? En dépit de l’enthousiasme des médias à propos d’Utrecht sur le point de devenir “la première ville sans pauvreté d’Europe”, la réalité est bien sûr légèrement moins utopique.
“Les expérimentations se focaliseront sur les personnes déjà allocataires”
Les expérimentations se focaliseront principalement sur les personnes qui sont déjà demandeurs d’allocations aux Pays-Bas, et particulièrement sur les bénéficiaires du système de revenu minimum national attribué sous condition de ressources (entre autres). Il ne sera pas versé sur base individuelle mais évalué selon la composition du foyer.
Ces expérimentations comportent deux différences majeures avec le système actuel : leur but est de rendre l’aide sociale moins conditionnelle vis à vis de l’emploi, et de supprimer la trappe à pauvreté en autorisant les gens à gagner de l’argent en plus de leurs allocations.
Cependant, les modèles considérés jusqu’à présent demeurent basés sur le foyer, conditionnés aux ressources, et donc, non universels. Ces modèles sont semblables à l’idée de l’impôt négatif qui, dans les années 1970, a servi de base aux expérimentations aux États-Unis.
“Ces expérimentations ne correspondent pas exactement au revenu de base, mais vont dans cette direction” insiste Sjir Hoeijmakers. Le Réseau néerlandais pour le Revenu de Base soutient et considère ces initiatives comme autant d’étapes importantes sur la route menant à un véritable revenu de base – donc inconditionnel.
Cette approche possède un avantage certain : à partir du moment où les groupes cibles reçoivent déjà des allocations de la sécurité sociale, il n’est pas besoin de prélever des sommes importantes dans le budget déjà existant pour mettre en œuvre ces expérimentions. Les choses auraient été différentes s’il avait fallu inclure tous les habitants de la ville.
“Utrecht voit grand, mais ils ne sont pas encore prêts”
Les médias internationaux tel The Independent et beaucoup d’autres ont largement rapporté le cas d’Utrecht, déclarant que l’expérimentation pourrait démarrer dès le mois de septembre. Sjir Hoeijmakers reconnaît être surpris par l’importance de la couverture médiatique de la ville d’Utrecht.
“La ville voit les choses en grand, en particulier grâce au conseiller municipal Victor Everhardt. Le programme, cependant, n’est qu’une initiative parmi de nombreuses autres, et dont la mise en œuvre doit encore être autorisée par le Secrétariat National de la Sécurité Sociale.” Toujours selon Hoeijmakers, le programme ne devrait pas démarrer avant janvier 2016 : “Pour être réaliste, la mise en place aura lieu sans doute bien plus tard, en fonction des jeux de pouvoirs politiques. »
En dépit de l’enthousiasme médiatique, le nombre des bénéficiaires et le montant des sommes qui seront distribuées ne sont pas encore arrêtés : il n’y a pour l’heure que des chiffres approximatifs et ne donnent pas nécessairement une idée précise de ce qui sera mis en place.
L’expérimentation d’Utrecht fonctionnera avec 5 groupes, dont un seulement recevra quelque chose proche d’un revenu de base (c’est-à-dire sans réduction si viennent s’y ajouter des revenus extérieurs, et sans conditions supplémentaires). Un sixième groupe demeurant sous le régime du système actuel de sécurité sociale servira de groupe de comparaison. Chaque groupe sera composé d’au moins 50 personnes, et les 900 et 1300 euros ne sont pas des chiffres exacts mais des estimations de ce qui pourrait être payé.
D’après Sjir Hoeijmakers, “La ville d’Utrecht utilise la rhétorique du revenu de base, ce qui a pu contribuer à ce qu’on lui accorde tant d’attention.” Dans d’autres cas, le terme expérience de confiance est utilisé, pour éviter qu’une confusion s’installe avec l’idée d’un vrai revenu de base inconditionnel.
Plusieurs partis politiques soutiennent ouvertement les expérimentations, y compris la gauche écologiste, les libéraux-démocrates et quelques-uns parmi les travaillistes et le parti socialiste.
En France, la région Aquitaine s’est récemment engagée à évaluer la faisabilité d’une expérimentation similaire, tandis qu’en Finlande, le nouveau gouvernement s’est engagé à lancer une expérimentation pendant son mandat.