Le projet d’éoliennes marines en Seine-Maritime suscite une forte hostilité des pêcheurs et des riverains. Qui l’ont exprimée mardi 28 juillet lors du débat public. Une solution alternative existe, mais il faut reprendre toute la procédure à zéro.
Mers-les-bains (Somme), reportage
« Certes, aujourd’hui, le prix de rachat annoncé est plus élevé que le prix du marché, mais il faut considérer cela dans un horizon à plus long-terme. » Au micro, le responsable de la maîtrise d’ouvrage – la société Eoliennes en mer Dieppe-Le Tréport – arrête là son argumentation, coupé par une voix s’élevant dans la salle : « On n’aura plus d’horizon avec vos m***** ! » Rires et applaudissements nourris du public.
C’est une assemblée très majoritairement hostile qui occupait, mardi soir 28 juillet, la salle des fêtes de Mers-les-bains pour la réunion de clôture du débat public sur le projet de parc éolien en mer projeté à 15 km du littoral nord de la Côte d’Albâtre, en Seine-Maritime. Un projet qui prévoit l’installation, d’ici 2021, de 62 éoliennes d’une puissance de 8 MW (mégawatts) par un consortium dirigé par Engie (ex-GDF Suez) pour un coût d’environ 2 milliards d’euros.
Près de 300 personnes se sont déplacées pour assister à une première synthèse des échanges organisés à ce sujet depuis le 27 avril, sous l’égide de la CNDP (Commission Nationale du Débat Public). Cet engouement témoigne aux yeux des responsables du débat d’une amélioration des méthodes de concertation d’un processus maintes fois décrié, notamment à propos du projet d’enfouissement des déchets nucléaires Cigéo. Le site internet du débat a également accueilli 11 000 visiteurs – « un chiffre relativement important » selon Etienne Ballan, le président de la commission particulière de ce débat public (CPDP).
Mais cet intérêt du public illustre surtout la réticence locale à ce projet et la capacité de mobilisation des opposants. Les nombreux responsables politiques et institutionnels qui avaient fait le déplacement mardi soir – du président de la région Haute-Normandie à celui de la Chambre de commerce et d’industrie de Dieppe en passant par les adjoints aux maires du Havre et de Dieppe, tous favorables – ont eu beaucoup de mal à s’exprimer face aux réactions véhémentes d’un auditoire largement composé de pêcheurs, de commerçants locaux et de retraités.
Le calme n’aura duré que quinze minutes, le temps de finir l’introduction. Alors qu’une membre de la CPDP relatait que la majorité des touristes interrogés avaient déclaré que « les éoliennes ne diminueraient pas leur intérêt pour la région », les premiers grondements se font entendre sur fond de mini-vuvuzelas, sifflets et exclamations ironiques.
Une salle quelque peu chauffée à blanc par le maire de Mers-les-bains, Emmanuel Maquet (Les Républicains), qui avait estimé dans son mot d’introduction que « quand on sollicite la voix du peuple, c’est pour la respecter. Il n’y aurait rien de pire que de lui demander son avis pour ne pas le suivre » – appelant si tel était le cas à « en déduire toutes les conséquences et ne rien exclure pour faire entendre la voix du peuple ».
Reprenant plus tard la parole , Emmanuel Maquet harangue la foule pendant plus de onze minutes – bafouant la règle des trois minutes pour chaque prise de parole – en prenant position contre le projet.
- Le discours du maire de Mers-les-Bains, Emmanuel Maquet, au micro
A l’issue du discours, un citoyen se lève en interpellant le président du Conseil Régional :« Heureusement qu’il y a notre maire pour nous défendre, et vous, prenez-les chez vous ces éoliennes si vous êtes pour, mais foutez-nous la paix ! » Le ton était donné.
Dans ce contexte, il est difficile de discuter sur le fond les choix politiques et les enjeux techniques, malgré un travail préparatoire conséquent. La CPDP avait identifié six problématiques issues des cent jours précédents de débat.
Télécharger le document préparatoire établi par la CPDP
Au terme de plus de quatre heures de prises de parole par tous les acteurs concernés, qu’en retenir ? Deux points de blocage sont principalement soulevés par la population. Le premier est la mise en cause de l’efficacité de l’énergie éolienne, souvent présentée comme une énergie« intermittente » plutôt que renouvelable : quid des possibles pannes de réseau ? Quid de l’utilisation de combustible fossile pour compenser la production en cas d’absence de vent ?
Une militante du collectif Stop THT 59 interroge les conséquences sur le réseau électrique :« Est-il vrai que ces projets d’éoliennes servent d’alibi à la construction de 7 000 nouveaux kilomètres de lignes THT ? » « Non », tente d’expliquer le responsable de RTE (Réseau de transport d’électricité), renvoyant au schéma décennal de développement du réseau. Mais, souvent chahutées et parfois trop techniques, les réponses des experts laissent de marbre les sceptiques. Chacun joue sa partition sans jamais écouter celle de l’autre : « Personne ne va convaincre personne, ce soir. Les positions sont trop tranchées », estime plus tard Nicolas Mayer-Rossignol, le président PS du Conseil Régional.
L’autre antienne, c’est l’argument de l’impact paysager. A l’image de cette Lyonnaise, en résidence secondaire dans la région une partie de l’année, qui regrette que ces aérogénérateurs« touchent profondément nos côtes ». Ou ce père de famille parisien, propriétaire « touristique », dont le gilet bien assorti à la chemise à carreaux ne laisse rien présager de l’emportement soudain : « Vous nous faites c**** avec ce projet, ça gâche le paysage, on voudrait bien partir en vacances et être tranquille ! »
Autour de ce projet s’opère une surprenante reconfiguration des alliances : d’un côté, un grand nombre d’écologistes défendant la transition énergétique se retrouve à prendre fait et cause pour le projet porté par des industries lourdes de l’énergie – telles qu’Engie ou Areva – tandis que de l’autre côté, des pêcheurs syndicalistes nouent un pacte de non-agression avec de grands propriétaires fonciers.
Un consensus se dessine toutefois sur la nécessité de travailler autour de la pierre d’achoppement : la zone d’implantation des éoliennes, principal motif de la colère des pêcheurs. En cause, le périmètre de près de 100 km2 désigné pour héberger le parc et réputé pour sa grande richesse halieutique : sole, turbot et coquille Saint-Jacques, une des spécialités de la région. « Si les pêcheurs vont dans certaines zones, c’est pas pour y danser », ironise Olivier Becquet, gérant de la coopérative des pêcheurs. D’aucuns craignent que l’installation de ces grands mâts de 200 mètres de haut, coulés dans le béton en sous-marin, perturbe durablement les écosystèmes vivants.
- Olivier Becquet, représentant des pêcheurs, prend la parole
Tout le monde en convient, tel Guillaume Blavette, représentant du collectif Stop EPR, ni Penly ni ailleurs et promoteur du projet au nom de la nécessaire sortie du nucléaire : « Il y aura un impact environnemental. » Avec en toile de fond, une épée de Damoclès sur l’emploi. « On nous promet que le projet créera 125 emplois, mais pour combien de détruits ? », interroge l’un. « Faudra ouvrir une deuxième agence Pôle Emploi ! » s’insurge l’autre.
Les organisations professionnelles de pêche (CRPMEM, Comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins) ont proposé une zone alternative, quelques kilomètres plus loin que celle pour l’heure identifiée officiellement. « Si la zone préconisée par les pêcheurs était finalement acceptée, dit Olivier Becquet, il n’y aurait plus de problème majeur pour nous. »
- Au Tréport
Problème, une nouvelle zone ne saurait être établie sans remette en cause le présent appel d’offres. Autrement dit, retour à la case départ, délai supplémentaire, et remise en jeu de la maîtrise d’ouvrage. Un facteur de blocage presque insoluble qui pose de sérieuses questions sur les conditions d’attribution de cette zone. Le président de la Région pointe directement, dans l’allocution finale, la responsabilité de l’Etat : « Plusieurs éléments soulevés sont sujets à caution (…). Il faudra que le gouvernement s’exprime sur le choix de cette zone. » S’engageant à demander une explication à Mme Royal, il s’est ainsi montré solidaire des pêcheurs qui ont dénoncé à plusieurs reprises l’absence de réponse de la ministre à leur demande d’entretien.« On a du mal à comprendre l’absence de concertation avec les professionnels de la pêche, dit Olivier Becquet. C’est vrai qu’on parle marin-pêcheur, il faudrait peut-être qu’on trouve un dictionnaire pour parler le même langage… »
Ils étaient nombreux à pointer l’absence quasi totale de l’Etat lors du processus de débat public. Et c’est un sentiment d’impuissance qui prédomine. « On est fatigués, depuis le temps qu’on nous parle de ce projet, on en a plein le c**… » soupire un pêcheur au fond de la salle.
La commission chargée du débat public rendra ses conclusions en septembre.
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Source : Barnabé Binctin, pour Reporterre
Photos : © Barnabé Binctin/Reporterre