Ce lundi 24 août a soufflé un vent de panique sur l’économie mondiale. Shanghai a ouvert le bal en dévissant de 8,5%, entraînant les autres bourses avec elle. Pour l’économiste Marc Touati, la zone euro pourrait payer au prix fort ce «black monday».
RT France : Comment expliquer ce krach boursier ?
Marc Touati (M.T.) : Cette crise ne relève pas tant de l’économie ou de la finance que de la science physique. Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, c’est aussi simple que cela. J’ai été l’un des premiers à la prévoir en observant simplement que l’augmentation des marchés boursiers depuis 6 mois était trop importante par rapport à la réalité économique mondiale. Or, la bourse doit refléter cette réalité économique. Si la bourse augmente trop par rapport à celle-ci et par rapport à la croissance mondiale, il se crée alors une bulle. Toute bulle appelle à un dégonflement. C’est ce qui est en train de se produire aujourd’hui. C’est un dégonflement logique après un excès qu’on a pu voir en fin d’année 2014 et dans la première partie de l’année 2015. Cette crise est donc une correction logique des marchés et une remise à plat.
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RT France : Pourquoi ce ralentissement de l’économie chinoise ?
M.T. : Il est également logique. Cette économie chinoise croît à un rythme soutenu depuis plus de 20 ans. Ce ralentissement correspond à une sorte de maturité de la croissance chinoise. Le problème est que le pays, pour éviter que ce ralentissement soit trop fort, est entré dans ce qu’on appelle une guerre des monnaies. Il a ainsi dévalué sa devise. Dès lors, les Américains ont fait de même. Mais les dindons de la farce sont les Européens qui ne l’ont pas fait, ce qui explique la remontée récente de l’euro. Cela est très dangereux parce que notre croissance est déjà très fragile. Si l’euro repart à la hausse, cela va casser évidemment le peu de croissance de la zone euro. Cette zone sera donc l’une des grandes perdantes de cette crise. De même, les Chinois ont de quoi réagir et amortir les conséquences de cette crise : ils peuvent dévaluer, baisser les taux d’intérêt, faire de la relance budgétaire. Ils ont en outre plus de 4 000 milliards de réserves de change, ce qui est tout simplement énorme. Or, dans la zone euro, nous ne disposons pas de toutes ces armes. En cas de nouvelle crise, l’Europe connaîtra alors un vrai drame, pas seulement financier, mais économique et social. C’est là qu’est tout le problème.
En cas de nouvelle crise, l’Europe connaîtra alors un vrai drame, pas seulement financier, mais économique et social.
RT France : Pourquoi l’Europe ne dispose-t-elle pas de ces mêmes armes ?
M.T. : Disons que si elle en dispose, elle ne sait pas les utiliser ou elle les utilise mal. Par exemple, on a déjà baissé les taux d’intérêt qui sont à 0% mais cela n’a pas eu beaucoup d’effet sur l’économie. On a fait une relance budgétaire très forte qui n’a pas eu d’effet non plus, à part en Allemagne. Tout le problème, c’est que malheureusement les structures de la zone euro, et particulièrement de la France, ne sont pas suffisamment solides pour pouvoir affronter les crises. Ce n’est donc pas seulement un problème conjoncturel mais c’est surtout un problème structurel. C’est là le drame. J’avais annoncé cette crise car j’avais identifié un cycle de sept ans. Depuis 1973, tous les sept ans, il y a une crise économique. Logiquement, dans ce laps de temps, on a le temps de retrouver le chemin de la croissance et de retrouver du champ dans ses manoeuvres budgétaires. Mais là, on n’a pas eu le temps de le faire. Cela signifie qu’on est plus en danger qu’en 2008, car on avait alors des marges de manoeuvre, on a pu faire des relances budgétaires. Tout cela, on ne l’a pas aujourd’hui et on est donc un peu bloqué. De plus, on n’arrive pas à manoeuvrer l’euro, ce qui fait peser un danger sur l’activité dans la zone de la monnaie. La France, qui est une des lanternes rouges de la zone euro, est encore plus sensible à cela.
RT France : Que doivent faire la zone euro, et la France en particulier, pour éviter d’être aussi sensibles à ces crises mondiales ?
M.T. : Ce n’est pas compliqué, elles doivent faire des réformes. La France en particulier doit moderniser son économie. On peut critiquer l’Allemagne mais aujourd’hui la seule économie qui a les moyens de résister à cette crise est précisément l’économie allemande. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’Allemagne a su constituer un excédent public. Elle peut donc procéder à une relance budgétaire. Alors que la France est en déficit budgétaire à hauteur de 4,5% de son PIB, donc sans marge de manoeuvre budgétaire. C’est là le drame ; d’autres pays de la zone euro souffrent mais ils tentent de réagir. Mais comme la France a une économie trop rigide, trop archaïque, qui ne s’est pas modernisée, nous sommes évidemment plus fragiles par rapport à ces tempêtes mondiales.
RT France : Est-ce que cette crise ne marque pas une simple normalisation de l’économie chinoise, une fin du miracle chinois ?
M.T. : Tout à fait. Depuis 1980, le PIB chinois a augmenté de plus de 2500%, hors inflation. C’est énorme. Aucun pays dans le monde n’a connu cela. Une telle croissance, de façon logique, appelle un apaisement. On revient à la normale, même si la Chine aura toujours 6% de croissance. Pour eux, ce n’est pas dramatique. Mais ça l’est pour les autres économies qui s’étaient habituées à une croissance chinoise très forte.
RT France : Donc, pour résumer cette crise, l’économie chinoise, locomotive de la croissance mondiale ralentit, ce qui a des conséquences pour tout le monde ?
M.T. : Exactement. Depuis dix ans environ, chaque année, la croissance chinoise génère entre un tiers et la moitié de la croissance mondiale. L’an passé, sur une croissance mondiale de 3,3%, il y avait 1,1 point qui venait de la Chine seule. L’Empire du Milieu est la première locomotive de la croissance mondiale et elle est tout simplement en train de ralentir. Si cette locomotive ralentit, le monde entier ralentit. Cela signifie moins de profits pour les entreprises côtées en bourse, d’où la baisse de ces marchés.
La Chine est la locomotive première de la croissance mondiale et elle est tout simplement en train de ralentir. Si cette locomotive ralentit, le monde entier ralentit.
RT France : Mais la baisse du prix du pétrole et des matières premières ne peut pas aider à résorber ou à atténuer les effets de cette crise ?
M.T. : Effectivement, cela a déjà beaucoup aidé. S’il n’y avait pas eu cela, on aurait eu une croissance beaucoup plus faible . Le seul problème, c’est que c’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Cet effet de la baisse du prix des matières premières peut être atténué par une augmentation trop forte de l’euro, surtout avec une croissance mondiale qui ralentit. Déjà, quand on avait au plan mondial une croissance de plus de 3,5% depuis une dizaine d’années, la France avait seulement 0,5% de croissance. Evidemment si la croissance mondiale ralentit, la croissance française va aussi ralentir. Nous ne sommes donc pas armés pour affronter cette crise. Quant à la baisse du prix du baril, cela ne sera pas suffisant.
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