Pressenza publie l’étude complète de Guillermo Sullings sur la situation en Grèce. L’étude a aussi été publiée en 5 articles :
- Contexte de l’Union européenne
- Vérités et mensonges à l’égard de la dette
- La situation actuelle de la Grèce
- La sortie de l’euro est-elle la seule solution ?
- Quelles conséquences aurait le Grexit ?
- Contexte de l’UE
L’aspiration des Humanistes pour le futur est que tous les peuples du monde puissent être intégrés dans la Nation Humaine Universelle. C’est pourquoi nous différencions ce processus d’intégration que nous appelons mondialisation de celui qui se fait appeler globalisation. Quand le premier correspond à l’intégration des peuples dans leur diversité culturelle, le second correspond davantage à l’expansion et à la pénétration du pouvoir économique et financier global qui cherche à discipliner les pays sous sa logique de prédateurs.
Les Humanistes encouragent toutes les avancées qui se produisent dans les intégrations régionales, tant qu’elles signifient une avancée vers cette future Nation Humaine Universelle. Et bien sûr que l’intégration économique doit être un aspect important de cette intégration mais il ne devrait pas être le plus important. Dans tous les cas il devait être assujetti à l’intérêt supérieur d’une véritable intégration solidaire des populations, où les structures économiques seraient au service du développement humain sans frontières. Et si l’usage d’une monnaie commune dans une intégration régionale contribue à ce développement, il faudra l’encourager.
Mais quelque chose de très différent arrive dans certaines des intégrations régionales qui se produisent dans le monde. Elles ne semblent pas se constituer à partir des nécessités et des intérêts des populations mais plutôt depuis les intérêts des multinationales et du pouvoir financier global. C’est le cas de l’Union Européenne, de plus en plus au service des banques et des entreprises plutôt qu’au service des gens. C’est le cas de l’euro, qui renforce l’expansion des économies les plus fortes et finit par démanteler et endetter les économies les plus faibles. Pendant ce temps, les médias privés, toujours au service des mêmes pouvoirs économiques, manipulent l’opinion publique pour la convaincre que les pays sérieux sont ceux qui appliquent l’économie néolibérale et que si un pays va mal, c’est seulement parce que ses dirigeants sont corrompus et que son peuple est paresseux. Ainsi ils divisent les peuples, pour qu’ensuite la solidarité ne s’exprime pas quand l’un tombe en disgrâce, victime des politiques néolibérales, et qu’ainsi leurs dirigeants aient des arguments pour être cruels avec les peuples et généreux avec les banques.
Quand l’Union Européenne puis la zone euro se sont formées, il existait déjà des différences importantes entre les économies des pays membres, des différences au niveau de la productivité et du développement industriel. Historiquement, au niveau mondial, pour supporter ce type de différences, les pays avec une productivité moindre jouaient sur la valeur de leur monnaie et géraient leur commerce extérieur en cherchant un certain équilibre qui leur permettait de maintenir un faible niveau de chômage. De cette façon, chacun essayait de maintenir son équilibre pour se développer à partir de là et on considérait qu’en moyenne, le niveau de vie de la population correspondait à son niveau de développement. Mais quand on a progressé dans la zone de libre commerce et dans l’union monétaire en Europe, ses membres ont renoncé à ces instruments de politique économique, en considérant sûrement que la nouvelle organisation supranationale envisagerait la résolution des asymétries entre les pays. Mais l’Union européenne a organisé son économie sous les paradigmes du néolibéralisme, en supposant que le marché réglerait tout harmonieusement, en supposant que les capitaux productifs iraient implanter leurs usines là où seraient les chômeurs, ou bien que les chômeurs migreraient facilement vers les usines ; en supposant que les capitaux financiers se mobiliseraient pour couvrir les nécessités des investissements productifs. Mais la liberté de mouvement à l’intérieur de la zone euro a donné différents résultats pour chaque protagoniste, parce que si les capitaux financiers peuvent être mobilisés d’un lieu à un autre en quelques secondes, les capitaux productifs requièrent plus de temps et bien que les personnes puissent passer librement les frontières, en pratique l’enracinement et les barrières culturelles limitent les migrations. Par ailleurs, dans le reste du monde on a déjà vu que les politiques néolibérales ont donné lieu à la spéculation des capitaux financiers, à l’endettement systématique et au démantèlement de l’industrie dans de nombreux pays, ainsi qu’à la fuite des capitaux vers des paradis fiscaux et la fuite des usines vers des paradis du travail. Si le virus du néolibéralisme mondial a pu faire tout cela avec les nations qui maintiennent leur souveraineté et leur monnaie, les effets furent bien pires dans la zone euro où les pays avaient déjà de faibles moyens de défenses.
Alors si aujourd’hui l’Union européenne est en crise et la zone euro est dans le doute, ce n’est pas parce que le monde n’est pas préparé à l’intégration régionale. C’est parce qu’on a voulu le faire sous le signe du néolibéralisme.
- Vérités et mensonges à l’égard de la dette
La version que l’on a privilégiée dans une bonne partie de l’Europe et que les médias agitent pour accuser les Grecs de tout, attribue la responsabilité aux gouvernements corrompus, qui ont endetté le pays de façon irresponsable, qui ont dilapidé les ressources, qui ont surdimensionné le secteur public avec un déficit fiscal conséquent et qui ont, de plus, faussé leur comptabilité pour cacher le déficit et l’endettement. Cette responsabilité des gouvernements serait partagée par la population qui, en définitive, les a élus et a bénéficié des cadeaux, avec le système laxiste des retraites, avec les crédits à la consommation et avec la prospérité illusoire d’une bulle spéculative, en vivant au-dessus des moyens que son économie permettait. Certaines de ces versions sont illustrées avec des données réelles et se répandent pour exalter l’indignation des citoyens des autres pays, comme c’est le cas des Allemands, à qui on a dit que la pension de retraite maximale en Grèce est de 3 500 euros, tandis qu’en Allemagne elle est de 3 100 ou que l’âge auquel beaucoup de travailleurs grecs prennent leur retraite est inférieur à celui des autres pays pour une activité similaire. L’Institut d’Assurances Sociales (IKA), qui est déficitaire et consomme une partie importante du budget de l’Etat, paie au moins une forme de retraite à 5,5 millions de personnes (pratiquement la moitié de la population). Il existe plus de 600 professions pour lesquelles il est possible de partir en retraite plus tôt et d’avoir une pension anticipée car considérés comme catégorie à risque, comprenant les coiffeurs, les garçons de café, les speakers, les musiciens et d’autres secteurs d’activité pour lesquels dans n’importe quel pays, on prend la retraite à l’âge normal.
Du côté des recettes de l’État, il y a aussi beaucoup d’inefficacité, puisqu’une grande évasion existe, il y a beaucoup d’indépendants et d’entrepreneurs qui n’apportent pas au système, jusqu’aux exemptions de TVA dans les îles, où il y a des recettes importantes par le tourisme, mais qui n’engendrent pas de recette fiscale proportionnelle pour contribuer à réduire le déficit ; et même ainsi la Grèce a augmenté la dépense publique de 50 % entre 1999 et 2007 et cela a été financé par l’endettement.
Avec toutes ces informations présentes dans leurs documents de travail, les représentants des autres pays de l’Union européenne durcissent leur position avec la Grèce et ils exigent d’elle toujours plus d’austérité. Publier de façon biaisée ces données dans les médias vise à ce que les populations de ces pays se durcissent également et avalisent les gouvernements dans leurs exigences envers les Grecs. Certainement que beaucoup de cette information est vraie, au-delà du parti-pris et des préjugés qu’ajoutent les médias et les faucons de l’Union européenne. Mais il y a une autre information dont personne ne parle et il y a d’autres responsables dont personne ne parle non plus, que sont les banques, les multinationales et les dirigeants qui défendent leurs intérêts.
Quand quelqu’un s’endette, c’est parce qu’il y a quelqu’un qui lui prête. Si quelqu’un s’endette de façon irresponsable, c’est parce que quelqu’un lui prête de façon irresponsable. Comment peut-on croire que les banques qui ont prêté à la Grèce étaient philanthropes, ingénues, avaient confiance dans le pays et ensuite ont été flouées en toute bonne foi ?
Lors du déclenchement de la crise financière mondiale en 2008, le détonateur a été les prêts hypothécaires à risques ou subprimes, sur lesquelles a été monté tout un système frauduleux de constitution d’emprunts sur des emprunts, avec une assise très faible comme l’étaient les millions d’hypothèques constituées durant la bulle financière, pour lesquelles beaucoup de débiteurs étaient insolvables depuis le début et d’autres sont devenus insolvables quand la bulle a explosé et que les valeurs de leurs biens immobiliers ont chuté au quart de leur dette hypothécaire. Il ne viendrait à l’idée de personne de penser que les coupables de cette fraude gigantesque ont été les millions de personnes qui ont perdu leurs maisons et que les banques et les fonds de placement qui ont engendré la bulle et ont multiplié l’escroquerie étaient quelques prêteurs gentils et ingénus qui avaient confiance innocemment en leurs débiteurs et ont ensuite été trompés. Cependant, les centaines de milliards de dollars qui ont été destinés à pallier la crise n’ont pas été destinés à ceux qui ont perdu leurs maisons mais ils ont été destinés à sauver les banques. Et les responsables qui ont organisé cette arnaque ont ensuite été honteusement récompensés par des gains obscènes.
Il est utile de rappeler tout cela, parce que les banques ont fait de juteuses affaires en prêtant aux gouvernements corrompus qu’a eu la Grèce. Ils savaient non seulement que la Grèce était insolvable mais en réalité cela ne les préoccupait pas parce qu’ils savaient qu’en dernier recours, on allait eux aussi les repêcher. De fait il en a été ainsi, les banques françaises ont réduit leurs créances envers la Grèce de 79 milliards à 13 milliards, les banques allemandes de 45 milliards à 10 milliards et les banques italiennes de 12 milliards à 1 milliard. Maintenant la plus grande partie de la dette est passée aux mains des pays de l’Union européenne sous une forme directe ou à travers le Mécanisme Européen de Stabilité (145 milliards d’euros), ainsi qu’aux mains du FMI et de la BCE. C’est-à-dire qu’une nouvelle fois les gouvernements et les organismes internationaux ont décidé de sauver les banques qui ont prêté imprudemment. Maintenant ils disent à leurs citoyens qu’il faut récupérer ce que les Grecs doivent à leurs pays. Et de manière détournée, ils laissent entendre que les citoyens allemands, français, italiens ou espagnols ont payé des impôts pour acquitter la dette des Grecs irresponsables qui ont gaspillé l’argent. Il s’agit d’une farce médiatique pour monter les peuples les uns contre les autres, en dissimulant la soumission complice des gouvernements avec le pouvoir financier.
Les banques connaissent leur pouvoir. Non seulement elles contrôlent beaucoup de dirigeants qui sont actionnaires mais de plus, grâce à la toile complexe de la finance et à la façon dont est organisé le système bancaire dans l’économie néolibérale, elles font chanter toute la société, puisque quand une banque fait faillite, elle entraîne dans la rupture de la chaîne de paiements une partie importante de l’économie réelle, provoquant un effet domino qu’aucun gouvernement ne désire et cela engendre une situation de chantage dans laquelle les dirigeants, au-delà de leurs convictions, finissent par céder en faveur des banques. Comme si cela n’était pas suffisant pour comprendre la perversité du système, il faut aussi comprendre que quand une banque ou un fond d’investissement achète la dette d’un pays peu solvable, ceux qui prennent les décisions ne sont pas les propriétaires de cet argent. Les décideurs sont les administrateurs de ces fonds, qui savent qu’en dernier recours celui qui perd, c’est l’épargnant, après qu’ils aient retiré leurs énormes profits. C’est pour tout cela que la plus grande responsabilité dans le piège de la dette, doit être attribuée aux prêteurs et non aux emprunteurs peu solvables. Bien sûr que pour qu’un pays s’endette au-delà de ses possibilités, il a besoin de dirigeants irresponsables et corrompus. Mais c’est précisément l’un des problèmes de la démocratie formelle dans laquelle les gens, manipulés par les médias, ont à choisir entre de fausses solutions, qui laissent la table servie aux vautours de la finance ; et ceux-ci, après avoir commis leurs dégâts, laissent les pays en crise, s’évaporent et rendent responsables leurs marionnettes des gouvernements. Bien sûr quand se forment ces bulles de prospérité illusoire financée par la dette, beaucoup de gens sentent que leur niveau de vie s’améliore, qu’ils peuvent consommer davantage et qu’ils reçoivent des bénéfices qu’avec le temps ils considèrent comme des droits acquis. Ensuite ils se refusent à les perdre quand on leur explique que la fête est terminée. Mais on ne peut pas tenir les populations responsables de cela parce qu’elles n’ont pas de raisons de connaître les manœuvres financières douteuses qui existent derrière chaque bulle.
Le surendettement des pays a déjà plusieurs décennies. Dans les années quatre-vingts c’était la crise des dettes latino-américaines. Alors le Plan Brady est arrivé pour sauver les banques et pour changer les dettes de mains. Ensuite dans les années quatre-vingt-dix, le néolibéralisme a de nouveau développé l’endettement et les bulles, en engendrant quelques crises parmi lesquelles se distingue le défaut de paiement de l’Argentine, avec une situation très semblable à celle de la Grèce. Au début de ce nouveau siècle, de nouvelles bulles ont incubé, jusqu’à ce que la plus grosse éclate avec son épicentre aux États-Unis. Avec cet éclatement, la crise de la dette s’est produite dans plusieurs pays d’Europe. Les gouvernements changent, les pays changent mais il y a un acteur qui est dans toutes les crises à chaque fois : le pouvoir financier mondial, commettant des dégâts, créant la dette et mangeant la charogne de ce qui reste de ses victimes à travers les privatisations.
Il semble donc que les Grecs devront faire leur part, en améliorant leur système fiscal, en supprimant des privilèges insoutenables, en luttant contre la corruption. Ils devront probablement s’adapter pour vivre avec ce qu’ils génèrent réellement, alors qu’ils s’efforceront à obtenir de la croissance et à se développer. Mais ils ne doivent en aucun cas souffrir de la faim et de privations, privatiser tout leur patrimoine pour essayer, durant des décennies, d’annuler une dette impayable. Les autres peuples ne devraient pas non plus payer cette dette avec leurs impôts, les investisseurs de bonne foi ne devraient pas non plus perdre leur épargne. La dette devrait être payée par ceux qui manient le pouvoir financier dans le monde et pour qu’ils ne continuent pas à commettre des dégâts, il faudrait démanteler leur pouvoir. Alors que les dirigeants des puissances n’osent pas démanteler la puissance financière mondiale, ils auront à expliquer à leurs contribuables et à leurs épargnants, qu’ils doivent payer le prix de la complicité de leur gouvernement avec ce pouvoir.
Il y a un autre aspect de la dette également lié à la mécanique néolibérale, qui fait que ceci est soutenu en nourrissant la surconsommation. Dans un monde où la richesse est de plus en plus concentrée, où les profits des entreprises croissent chaque fois plus face aux revenus des salariés, et tandis que les bénéfices de la spéculation financière absorbent de plus en plus les ressources qui devraient aller à la production et au travail, dans ce monde où les salariés reçoivent une part chaque fois plus petite du gâteau, les niveaux de consommation peuvent se maintenir seulement par l’emprunt. Alors, comme un étau, la puissance financière se manifeste d’un côté en endettant les pays et les personnes pour qu’elles consomment et d’un autre côté, les multinationales arrivent en offrant les produits qui doivent être achetés par ces emprunts. Cela s’est passé ainsi dans le cas de la Grèce, avec des banques allemandes et françaises qui ont financé la consommation des Grecs alors que cette consommation correspond en grande partie à des produits allemands et français (incluant des armes).
- La situation actuelle de la Grèce
Aujourd’hui la Grèce a une dette de 340 milliards d’euros, équivalent à 175 % de son PIB. Après tous les ajustements réalisés ces dernières années par les exigences de la Troika, en échange du refinancement de la dette, le PIB a chuté de 25 % et le chômage a atteint 26 % en moyenne et 60 % pour les jeunes. Cela a conduit à l’appauvrissement d’une grande partie de la population, avec de nombreuses expulsions et le taux de suicides le plus élevé en Europe. Tout ce sacrifice inhumain a été consenti seulement pour approcher l’équilibre budgétaire et maintenant on devrait multiplier cette austérité et ces sacrifices pour arriver dans quelques années à 3 % d’excédent primaire qui permettrait d’amortir au compte-gouttes la dette qui, à ce rythme, mettra au mieux environ 50 ans pour s’amortir. Cette dette est impayable et tous le savent mais avant que l’inévitable défaut de paiement ne soit déclaré, ils essaient de laisser la dette dans le patrimoine grec, obligeant en échange à privatiser environ 50 milliards d’euros qui iront annuler directement une partie de la dette. Autrement dit, le chemin qui reste à accomplir, conformément aux exigences de la Troika, est de torturer le peuple avec plus d’austérité, de liquider tous les biens de l’État et ensuite, de toutes manières il y aura défaut de paiement et dans ce cas, une sortie inévitable de l’euro.
La Grèce a des échéances constantes à solder du fait des divers refinancements de l’énorme dette et comme elle ne peut pas les payer avec son budget, elle doit les refinancer de façon permanente avec des paquets d’aide de la Troika et cette aide se fait en échange de plus d’austérité et de coupes. Si la Grèce n’acceptait pas les ajustements, la Troika ne refinancerait pas la dette et à la première échéance non payée, elle tomberait en défaut de paiement. Si elle tombait en défaut de paiement, elle ne recevrait plus de fonds d’aucun type, auquel cas ses banques n’auraient plus de liquidité, puisque ce n’est pas la Grèce mais la BCE qui imprime les euros et face à cette possibilité il y aurait une course aux retraits bancaires et aux mesures économiques et très vite le gouvernement devrait commencer à payer les retraites et les salaires publics en émettant une sorte de bon, qui en pratique serait comme une nouvelle monnaie. C’est-à-dire que ce serait une sortie de l’euro de fait, bien qu’elle ne soit pas prévue dans l’Union européenne. Cette situation est celle qui est arrivée ces derniers jours, quand s’est installé les queues et les restrictions pour retirer des fonds des banques, de façon à ce que Tsipras a dû aller négocier le nouvel accord sous la menace et malgré le résultat du référendum a fini par capituler par crainte de conséquences pires. Tsipras a probablement cru qu’avec l’appui du référendum par lequel le peuple grec a voté non à l’austérité, il pourrait négocier avec plus de force face à la Troika et infléchir sa posture mais c’est le contraire qui s’est produit.
En réalité le gouvernement grec déclarait déjà avant le référendum que son intention n’était pas de sortir de l’euro mais d’infléchir les ajustements du nouvel accord. Mais la faiblesse de cette posture a consisté en ce que précisément, s’ils n’étaient pas disposés à sortir de l’euro, ils n’avaient pas de plan B au cas où la Troika ne modérerait pas ses exigences, parce que l’unique manière de rester dans l’euro est de le faire avec l’aide financière de la Troika qui pour cela a mis ses conditions.
Il est clair que la situation est très délicate et il n’existe pas de solution facile. N’importe quelle solution aura son coût, et il sera élevé. Beaucoup comparent la situation de la Grèce à celle qu’a subie l’Argentine entre fin 2001 et 2002 et effectivement il y a beaucoup de points communs. L’Argentine avait à cette époque et depuis déjà quelques années, un régime de convertibilité dans lequel un peso équivalait à un dollar. Cela avait provoqué une surévaluation du peso qui faisait énormément monter le prix des exportations et baisser le prix des importations, ce qui produisait une balance commerciale déficitaire, soutenue par l’endettement, ainsi que par le déficit budgétaire. Le moment est arrivé où la dette est devenue impayable, plus aucun financement n’a été obtenu pour refinancer la dette, cela a généré une course aux retraits bancaires et de changes qui a conduit à un gel global des avoirs connus comme le corralito. Le pays est alors tombé en défaut de paiement et ensuite il a fallu abroger la convertibilité et dévaluer la monnaie de 300 %. La crise sociale a été énorme, il y a eu un appauvrissement de grande ampleur de la population, le chômage a augmenté et il y a eu de nombreuses actions en justice quand les dépôts, les dettes et les crédits qui étaient définis en dollars ont été transformés en pesos. Mais au bout d’un an, l’Argentine a commencé à se relever. Grâce à cette dévaluation l’industrie a été reconstituée et s’est substituée aux importations. Le marché interne a été relancé et il y a eu une croissance des exportations qui ont apportées des devises. Ensuite en 2005, après s’être relevé et quand l’économie a connu des forts taux de croissance, le gouvernement a renégocié la dette qui était en défaut de paiement, avec une remise des presque deux tiers de la dette initiale.
Tsipras connaît certainement cet exemple que citent également les prix Nobel d’économie, Krugman et Stiglitz, alors qu’ils critiquent l’austérité à laquelle on soumet la Grèce et suggèrent, dans le cas de Krugman, que la sortie de l’euro serait une solution. Mais il faut aussi rappeler quelque chose pour comprendre les doutes de Tsipras : le président Kirchner, qui a été celui qui a gouverné pendant la période de la remontée de la croissance en Argentine dès 2003, a d’une certaine manière trouvé le chemin balisé par rapport aux décisions économiques drastiques, parce que précédemment à son arrivée, il y a eu un autre président qui s’est trouvé forcé d’imposer les restrictions aux dépôts bancaires, et a fini par démissionner au milieu du chaos social. Un second président a dû déclarer le défaut de paiement et a démissionné quelques jours après et le troisième président est celui qui a décidé la sortie de la convertibilité et bien qu’il a été au pouvoir seulement un an et demi jusqu’à le remettre à Kirchner, il a pris sa retraite avec une très mauvaise image publique. Autrement-dit la crise a dévoré trois présidents malgré le fait qu’ils n’ont pas eu le choix sur les mesures qu’ils ont prises parce que le pays n’avait plus de devises pour payer la dette et pour soutenir la convertibilité. Pour Tsipras il est difficile de discerner si en repoussant les exigences de la Troika et en sortant de l’euro, il finirait par être le dirigeant qui aura conduit la Grèce à son redressement ou si le chaos initial le dévorera et quand la Grèce verra la lumière à la fin du tunnel, lui sera déjà un cadavre politique et celui qui gouvernera sera peut-être du parti politique d’opposition.
Par ailleurs, nous pouvons dire que la situation économique de la Grèce, est encore pire que celle de l’Argentine de ces années-là. Non seulement parce que la dette est plus grande, tant nominalement que par rapport au PIB, mais surtout parce que la Grèce n’a pas le potentiel productif qu’avait l’Argentine, avec une industrie qui fonctionnait à 30 % de sa capacité, conséquence de l’essor des importations sous le régime de convertibilité et qui s’est retendu comme un ressort dès la sortie de ce régime ; de plus parce que l’Argentine a une grande capacité exportatrice de produits alimentaires.
Donc, économiquement parlant, la reprise en Grèce après une sortie hypothétique de l’euro serait sûrement un peu plus lente que celle de l’Argentine, mais impliquera toujours une amélioration substantielle par rapport à la situation actuelle, en particulier avec un avenir plein de possibles.
Par ailleurs, il faut également dire, en continuant avec les comparaisons, que la situation géopolitique de la Grèce, est plus avantageuse que celle de l’Argentine quand sa crise a éclaté. À ce moment-là, le pays sud-américain était extrêmement isolé, surtout de la part des grandes puissances ; il a pu disposer seulement de l’appui de quelques pays d’Amérique latine et fut obligé de subsister et de générer de la croissance en comptant exclusivement sur ses propres ressources. En revanche la Grèce pourrait avoir recours à d’autres stratégies de politique internationale pour obtenir une sortie de l’euro plus contrôlée. Bien que l’Union européenne a fini par approuver l’augmentation des exigences d’austérité, il y a des postures différentes entre ses membres et à même à l’intérieur de la Troika. Le FMI, lui-même argue qu’il faudrait réorganiser la dette qui est impayable. Outre la zone euro, la Russie a déjà manifesté son offre d’appui à la Grèce, et cela pourrait aussi se propager à la Chine. Les États-Unis sont extrêmement vigilants parce qu’ils considèrent aussi que les exigences en Grèce sont non viables et sont surtout préoccupés parce que ce pays occupe une position stratégique pour l’OTAN et ils ne verraient pas d’un bon œil son rapprochement avec la Russie. Nous entendons par là que la sortie de l’euro ne serait pas nécessairement si traumatique que s’il s’agissait d’un dénouement forcé dans un contexte de débandade financière. Dans le cas de l’Argentine, déjà en 1998 il y avait des indicateurs de ce qui pouvait se passer dans le futur et le Parti Humaniste a été le seul à proposer une sortie contrôlée du régime de convertibilité. S’il avait été réalisé de cette façon, peut-être que le chaos social de 2001 et 2002 aurait été évité. Cependant, on a insisté jusqu’au dernier moment avec ce régime non viable et la sortie a été forcée et compliquée. Nous considérons que la Grèce dispose des conditions pour élaborer une stratégie politique en cherchant des alliés qui l’appuient financièrement pour former un niveau de réserves dans des devises fortes qui lui permettent de revenir au drachme sans tomber dans une hyperinflation.
- La sortie de l’euro est-elle la seule solution ?
Comme nous l’avons dit, le problème de fond réside dans le fait que l’intégration européenne n’a pas été conçue à la mesure des peuples mais à la mesure du capital financier et des multinationales. Par conséquent il est très difficile que depuis l’Union européenne, d’autres types de solutions surgissent. Mais bien sûr que s’ils réfléchissaient et s’ils décidaient de reformuler les paradigmes de la région, il y a d’autres solutions possibles, non seulement pour la Grèce mais pour d’autres pays en crise. Il a déjà été proposé d’émettre des euro-obligations pour restructurer et refinancer les dettes des pays en situation d’urgence, mais cela a été rejeté. L’Allemagne et ses faucons alliés à l’intérieur de l’Union européenne refusent que la BCE engendre une expansion monétaire pour financer le rachat des dettes, en arguant que dans ce cas on n’atteindrait pas les objectifs de 2 % maximum d’inflation à laquelle ils prétendent pour la zone euro. Certains affirment que l’Allemagne craint le développement de l’inflation suite à l’expérience hyper-inflationniste traumatisante dont elle a souffert après la première guerre mondiale et qui a favorisé le surgissement du nazisme. Mais cet argument semble peu crédible parce qu’on parle de quelque chose qui est arrivé il y a presque un siècle, dans une conjoncture totalement différente. L’unique raison qui explique tant de réserves pour utiliser une politique monétaire plus expansionniste, qui pourrait encore temporairement faire augmenter l’inflation tout au plus de 2 ou 3 points dans la zone euro, est la protection qui veut être offerte aux secteurs ayant des actifs financiers importants, qui seraient dévalorisés.
On ne sort pas des récessions avec davantage d’ajustements et d’austérité, on en sort avec des politiques actives. La BCE doit accomplir son rôle, en absorbant une partie importante des dettes des pays et en finançant l’investissement et la consommation pour stimuler la reprise économique. Cela aurait pour coût une dévaluation de l’euro, pour laquelle les pertes seraient partagées entre des pays débiteurs et non débiteurs, parce que l’accent devrait être mis sur la solidarité entre les membres de l’Union européenne et non sur le calcul mesquin. Mais il semble que le paradigme de la solidarité ne soit pas le fleuron de cette conformation régionale, dans laquelle les pays ayant des problèmes doivent les résoudre par leurs propres moyens. Pour le moment c’est sous ce conditionnement que la Grèce doit choisir ses solutions, et elles ne sont pas autres que : ou l’agonie de l’austérité, pour finir de toute façon tôt ou tard par une sortie inévitable ou une sortie volontaire de la manière la plus contrôlée possible.
Paul Krugman (prix Nobel d’économie) qui doutait auparavant qu’il convienne que la Grèce sorte de l’euro, a récemment déclaré que c’était la solution et a dit qu’en tenant en compte des difficultés par lesquelles passent les Grecs, il vaut mieux sortir de l’euro pour au moins avoir les avantages d’une telle sortie, plutôt que l’enfer dans lequel ils sont déjà maintenant.
Mais en réalité il ne s’agit pas seulement du fait que face à l’impossibilité de payer la dette, la Grèce tombe en défaut de paiement et soit poussée vers la sortie de la zone euro puisqu’elle ne pourrait plus recevoir d’euros de la BCE. Il ne s’agit pas non plus uniquement que la Grèce renonce à payer sa dette à cause de la faim de son peuple et que cette décision l’oblige à abandonner la zone euro. Il s’agit plus précisément que l’un des facteurs principaux pour lesquels la Grèce s’est endettée, a été d’avoir une monnaie commune avec d’autres nations avec lesquelles elle ne peut pas concourir. La sortie de l’euro, indépendamment de la situation de la dette, permettra à la Grèce d’améliorer sa balance commerciale, d’augmenter ses exportations et de renforcer encore plus le tourisme, en engendrant de plus grandes recettes et plus d’emplois.
Nous pourrions aussi nous demander si pour améliorer la compétitivité, il n’y a pas d’autres solutions que la sortie de l’euro. Nous revenons à la même chose : si la zone euro était construite sur la base de la solidarité, le rôle de la BCE devrait être de mettre en avant des politiques expansionnistes, non seulement pour diminuer l’endettement de certains pays, mais aussi pour inciter le développement, et ce développement devrait être planifié dans l’enceinte de l’Union européenne en mettant la priorité à l’accélération des pays les moins développés. Cela devrait être dans ce cadre et dans cette dynamique que pourraient être faites les corrections budgétaires qui aideraient la Grèce à diminuer le poids de l’État sur son économie. Parce que dans une économie en développement, il est possible de diminuer l’emploi public et de le déplacer vers l’économie privée, sans affecter le niveau d’emploi. Alors, on attaquerait le problème par plusieurs flancs et on pourrait améliorer la compétitivité sans sortir de l’euro. Mais ce serait une aspiration qui ne correspond pas aux priorités actuelles de l’Union européenne.
En fin de compte, bien sûr qu’il serait possible de résoudre le sujet de l’endettement de la Grèce sans sortir de la zone euro. Bien sûr qu’on pourrait compenser les asymétries par le développement, pour que la monnaie commune ne déséquilibre pas la balance commerciale de certains pays. Mais cette possibilité est maintenant très loin des intentions de la plupart des membres de l’Union européenne, de sorte que la meilleure solution laissée à la Grèce est la sortie.
- Quelles conséquences aurait le Grexit ?
Bien sûr, rien ne sera facile, et n’importe quelle décision sera difficile et apportera des problèmes à résoudre. Mais avec la sortie de l’euro il y aura une lumière à la fin du tunnel alors que dans le chemin de l’austérité croissante, seul se visualise l’abîme.
L’un des premiers problèmes du grexit est la pression de la fuite de capitaux, vu que 42 milliards sont déjà partis durant les 9 derniers mois et on suppose que si la Grèce retourne à la drachme, il y aurait une débandade, puisque tout le monde irait dans les banques retirer ses euros. C’est certain mais pour cela, il existe les mécanismes de contrôle d’entrée et de sortie des devises qui, comme mesure d’exception, peuvent être mis en œuvre, comme cela s’est fait dans d’autres pays. Bien sûr qu’il existera de toute façon une fuite et bien sûr qu’il existera des plaintes et des protestations de milliers d’épargnants du fait des restrictions. Il y aura de fortes turbulences les premiers temps.
Un autre problème à résoudre est le thème logistique, puisqu’il ne s’agit pas seulement de la dévaluation d’une monnaie déjà existante, mais de frapper la nouvelle monnaie, de la faire parvenir partout, d’adapter les systèmes d’informations et les guichets automatiques ; une complexité logistique qui arrivera durant les premiers mois et obligera à une transition difficile.
Les dettes des Grecs entre eux et les dettes des Grecs avec l’extérieur représenteront un autre conflit. À l’intérieur ce sont les créanciers qui protesteront : ceux qui leur devaient des euros les paieront maintenant en drachmes et ainsi leurs crédits fondraient. Ceux qui ont des dettes à l’extérieur, soit auront beaucoup à économiser pour pouvoir les payer, puisque leurs recettes seront en drachmes et leurs dettes resteront en euros, soit ils entreront en cessation de paiement jusqu’à ce qu’on retrouve des prix relatifs.
La Grèce importe beaucoup de produits, en incluant les aliments et les médicaments, et sa balance commerciale est déficitaire, ainsi avec la sortie de l’euro il existera une hausse des produits importés et par conséquent une baisse du pouvoir d’achat de la population par rapport au reste de la zone euro. Bien sûr que cette paupérisation pourra être répartie dans les différents secteurs, suivant comment le gouvernement gèrera son budget en drachmes, en assistant les plus démunis. Contrairement à la situation actuelle, dans laquelle ceux qui restent sans emploi assument la partie la pire, la dévaluation redistribuera mieux les charges et cette paupérisation sera à assumer entre tous jusqu’à ce que l’économie commence à se redresser et à aller mieux et alors il sera possible de se refaire une situation.
Les conséquences positives de la sortie de l’euro seront importantes, bien que cela ne portera ses fruits que plus tard. La Grèce est un pays avec des coûts relativement faibles, de sorte que renforcer encore plus son tourisme et l’exportation de quelques produits, impliquera une entrée importante de devises qui aidera à équilibrer la balance commerciale et stabilisera le taux de change. Il y aura plus d’emplois dans les secteurs liés au tourisme et à l’exportation et il y aura des opportunités de substituer quelques importations.
Comme on prétend que si la Grèce sort de l’euro c’est aussi parce qu’elle est entrée en défaut de paiement, alors pendant une longue période on ne s’occupera pas non plus de sa dette extérieure, ce qui lui apportera des problèmes de financement extérieur et quelques conflits politiques mais au moins l’actuelle saignée se sera arrêtée. Ils devront vivre avec leurs propres ressources, mais ils n’auront pas à s’adapter encore plus pour rembourser des dettes impayables. De plus, la souveraineté monétaire et la propre gestion de sa politique économique, permettront au gouvernement de mettre en adéquation le budget public en fonction du développement. Pour cela ils auront inévitablement à améliorer le système fiscal et à assainir l’administration publique.
Nous pourrions résumer en disant qu’actuellement les Grecs se sont appauvris lentement et progressivement et si la tendance continue ainsi, cela ne fera qu’empirer et de toute façon ils ne réussiront pas à payer la dette, pour laquelle ils auront privatisé tout leur patrimoine, et quand ils n’auront plus rien ils tomberont en défaut de paiement et sortiront de l’euro de force mais dans un état bien pire que maintenant. Alors que s’ils sortent de l’euro maintenant, ils passeront par une période difficile mais peu à peu ils se redresseront et ensuite connaîtront à nouveau la croissance, en augmentant le nombre d’emplois et le niveau de vie ; peut-être pas le niveau de vie dont certains ont profité grâce à la dette mais un niveau meilleur que celui qu’ils ont maintenant avec l’austérité.