Alors que c’était un projet de campagne, la municipalité de Grenoble a décidé de lancer une monnaie locale complémentaire. L’initiative grenobloise est spécialement intéressante au regard de la démarche entreprise. En effet, loin d’être un projet totalement aux mains des élus municipaux, la municipalité souhaite que cette monnaie locale complémentaire (MLC) soit construite par la société civile elle-même. Après avoir exposé cette intéressante démarche, nous reviendrons sur les avantages que les MLC peuvent générer sur un territoire, et ainsi répondre aux questions que peuvent se poser les Grenoblois quant à l’intérêt de cette future monnaie.
De 2007 à 2012, Grenoble avait déjà une monnaie locale, le Sol Alpin. Sans revenir dessus[1], le Sol Alpin disparaissait en 2012 suite aux pertes de subventions. Alors pourquoi retenter aujourd’hui l’expérience d’une monnaie locale ? Le changement de majorité a permis de relancer le projet, mais d’une toute autre façon. Alors que le Sol Alpin était l’initiative du secteur associatif, cette nouvelle MLC est lancée par la municipalité de Grenoble, mais sa construction se fait par trois types d’acteurs :
- Les Citoyens : ils forment la base, sont impliqués par des réunions publiques et groupes de travail.
- Les Universitaires : un groupe de travail de chercheurs sur les innovations monétaires est coordonné par l’économiste grenoblois spécialisé dans les questions monétaires Jean François Ponsot.
- La Municipalité de Grenoble : apporte son soutien et moyens techniques.
Bien entendu, ces acteurs travaillent ensemble pour créer une véritable dynamique de réflexion sur quelle monnaie locale nous voulons à Grenoble, quels objectifs lui fixer, comment la faire fonctionner…
A ce jour, quatre réunions publiques ont été organisées, connaissant un véritable succès. Lors de la première réunion, le 19 mars, plus de 200 personnes étaient présentes, et fut animée entre autre par les spécialistes des questions monétaires Jean François Ponsot et Jérôme Blanc, mais également Éric Piolle, maire de Grenoble, qui à juste titre a souligné l’importance de ne pas faire porter directement le projet par une municipalité politiquement colorée afin d’assurer la pérennité de la MLC. En effet, l’un des risques serait que cette monnaie soit associée à un parti politique et qu’elle vienne à disparaître en cas d’alternance politique. Les MLC, comme l’euro, sont des monnaies dites fiduciaires, c’est-à-dire, qui reposent sur la confiance que leur portent ses utilisateurs. Comme disait Samuelson : « que ce soit paradoxal ou non, la monnaie est acceptée parce qu’elle est acceptée ! »[2]. Si cette monnaie disparaissait brutalement, après l’échec du Sol Alpin en 2012, la confiance des Grenoblois envers une MLC risquerait bien d’être très faible et par conséquent, cela empêcherait tout autre projet similaire dans le futur. Mais outre ce détail, faire reposer la création de la MLC grenobloise sur une base citoyenne (terme entre autre que je ne trouve pas très approprié, étant un peu réducteur) permet une réelle légitimation de la monnaie et lui enlève de fait toute couleur politique, cela ne devient donc plus qu’un simple projet municipal suite à une promesse électorale mais un projet social grenoblois, rassemblant bien au-delà de la simple majorité municipale.
Suite à ces réunions, des groupes de travail doivent se former pour formuler les objectifs et le fonctionnement de la MLC grenobloise, et bien évidemment, son nom. Une charte devra être rédigée, elle est le premier pas vers la création de la monnaie. Cette charte doit permettre de créer un consensus assez large pour permettre de rallier le plus de participants possibles. Alors, quels peuvent être les objectifs de la future monnaie locale grenobloise, et plus généralement, des MLC ? Quelle est son utilité pour le territoire grenoblois ? Il existe une multitude de monnaies locales complémentaires, nous ne rentrerons pas dans le détail ici, nous exposerons seulement les principaux objectifs de ces monnaies[3].
Nous pouvons distinguer deux principaux axes d’actions des monnaies locales complémentaires : un économique et un social.
Dans un premier plan, les MLC ont pour objectif une dynamisation de l’économie locale. Dans un monde de plus en plus globalisé, la MLC peut apparaitre comme un outil essentiel à une territorialisation des activités économiques, en favorisant les échanges locaux, les circuits courts, et de fait, plus le nombre de participants est important, utilisateurs consommateurs comme commerçants/producteurs, plus les effets positifs sont importants. Dans cet objectif, la municipalité de Grenoble envisage de lancer l’expérience avec une implication importante des acteurs économiques, de l’ordre de 300 à 500 commerçants/producteurs. Mais là n’est pas le seul intérêt des MLC, en effet, en instaurant un système de fonte monétaire, processus qui consiste à faire perdre la valeur de la monnaie dans le temps, on limite les phénomènes parasites de thésaurisation, ce que facilite et augmente la vitesse de circulation de la monnaie et donc accélère les échanges et le dynamisme économique local. Le localisme monétaire peut également être vu comme un moyen de protection envers les chocs asymétriques que peut connaitre un territoire[4] et tend à protéger et favoriser les emplois locaux, le principal souhait de la municipalité de Grenoble, qui souhaite d’ailleurs mettre en place un indicateur économique calculant le nombre d’emploi local créé grâce à la monnaie locale[5]. La dynamisation de l’économie locale peut également être renforcée par la création monétaire[6], mais celle-ci étant interdite par la loi sur l’Economie Sociale et Solidaire encadrant le fonctionnement des MLC, il est possible de la contourner avec la participation d’organismes bancaires.
En plus de ces avantages économiques, les MLC ont également de gros avantages au niveau social (toutes les MLC ne sont cependant pas des monnaies sociales, à l’exemple du WIR suisse). En effet, ces monnaies dites sociales ont pour objectif principal de recréer du lien social là où celui-ci a été détérioré par les dérives du capitalisme. Il y a un processus de réintégration sociale des personnes exclues du marché du travail. Le capitalisme a généralisé le travail comme un facteur important de lien social, or la forte montée du chômage entraine par conséquent une importante perte de lien social pour toute une partie de la population. L’avantage alors de ces monnaies est de se baser sur l’activité, et non plus le travail salarié, et alors de permettre une réintégration sociale, non plus en exerçant un emploi sinon une activité[7]. On est ici dans une démarche différente où le social compte d’avantage que l’économique. De tels systèmes ont rassemblé jusqu’à 6 millions de membres en Argentine au début des années 2000 suite à la grave crise économique et financière.
Cependant, au vu des souhaits de la municipalité quant à la future monnaie locale grenobloise, il semble qu’une grande partie sociale des MLC soit mise de côté ou au second rang, l’objectif économique semblant une priorité. Lors de sa dernière conférence à Grenoble, l’économiste et spécialiste des questions monétaire, Jean-Michel Servet précisait que pour juger l’expérience d’une monnaie locale, il ne fallait pas seulement se baser sur des critères économiques mais de se demander si la monnaie locale a permis de changer les modes de consommation. En effet, celle-ci peut avoir un effet positif non négligeable sur les modes de consommation en fonction des orientations qu’on lui donne : favoriser les producteurs locaux, les commerçants de quartier, l’intégration sociale, une consommation écoresponsable, etc. C’est aujourd’hui à la base citoyenne en charge d’établir les objectifs et la charte de la future monnaie complémentaire grenobloise de ne pas adopter une simple vision économique, mais voir bien au-delà.
Pour plus d’information sur l’initiative grenobloise, lire l’article « Une monnaie locale dans les tuyaux à Grenoble » et l’interview de Pascal Clouaire de Place Gre’Net[8] ou consulter la page facebook « Monnaie Citoyenne Grenobloise », où sont publiés les comptes-rendus des réunions et où vous pourrez également participer directement au processus[9].
[1] Voir pour cela l’article de Delphine Chappaz « Monnaie locale : retour sur l’expérience du Sol Alpin » http://www.placegrenet.fr/2015/06/26/monnaie-locale-retour-sur-lexperience-grenobloise-du-sol-alpin/59418
[2] P. Samuelson, L’Economique, Armand Colin, Paris, 1983
[3] Pour plus de détails voir : Blanc Jérôme, « Formes et rationalités du localisme monétaire », L’Actualité économique, vol. 78, n° 3, 2002, p. 347-369
[4] Blanc Jérôme, « Formes et rationalités du localisme monétaire », L’Actualité économique, vol. 78, n° 3, 2002, p. 347-369
[5] Voir l’interview de Pascal Clouaire réalisée par Place Gre’Net : http://www.placegrenet.fr/2015/06/17/pascal-clouaire-il-faut-simplifier-lutilisation-de-la-monnaie-locale/58449
[6] Blanc Jérôme, « A quoi servent les monnaies sociales ? » extrait de Blanc Jérôme (dir.), Exclusion et liens financiers : Monnaies sociales, Rapport 2005-2006, Economica, Paris, pp. 31-41, 2006
[7] Ferreira Nathalie, « La monnaie « sociale » : l’apport théorique de P.J. Proudhon [1809-1865] et l’expérience du réseau global de troc en Argentine », Innovations, 2006/2 n°24, pp.41-58.
[8] http://www.placegrenet.fr/2015/06/10/une-monnaie-locale-dans-les-tuyaux-a-grenoble/58680 et http://www.placegrenet.fr/2015/06/17/pascal-clouaire-il-faut-simplifier-lutilisation-de-la-monnaie-locale/58449
[9] https://www.facebook.com/monnaiecitoyennegrenobloise?fref=ts