L’économie a dominé la dernière journée de la conférence scientifique sur le climat que Reporterre a suivie cette semaine. Un prix du carbone est plébiscité comme la solution, mais ne parait pas réalisable à l’échelle mondiale. Autant commencer par des groupes de pays. Mais il faudrait surtout que la sphère financière opère une mue culturelle.

La crise financière ? « Certains pensent que c’est le pire moment pour régler la question du changement climatique, je leur réponds que c’est le bon ». Joseph Stiglitz, économiste non orthodoxe et prix « Nobel » d’économie, a ouvert ainsi la dernière journée de la conférence Common Future under Climate Change. Le problème, selon l’ex-rapporteur de la Commission sur les nouveaux indicateurs économiques, « est que la finance fonctionne mal. Les marchés ont raté l’opportunité de réarranger l’économie pour l’adapter au défi du changement climatique ce qui aurait stimulé la croissance. » Or, sans réorientation massive des 300 000 milliards de dollars des marchés financiers, jamais l’industrie et la société qui la contient ne pourront faire face au changement climatique.

En finir avec les « grandes solutions imposées »

Au premier rang des solutions envisagées, le prix du carbone a fait grand débat durant la journée auprès des économistes. « Le problème d’un prix du carbone imposé par le haut à toutes les économies du monde est qu’il crée des situations absurdes du fait des différences de niveau de prix. A 50 euros la tonne de CO2, vous doublez le prix du béton venu d’Inde : pensez-vous que le contribuable français acceptera de payer la différence ? », nous interroge Jean-Charles Hourcade, le directeur de recherche au CNRS.

Toute la question est de savoir s’il est possible d’imposer au niveau mondial un prix du carbone. Pour la plupart des intervenants, la réponse est non. Revenir au système du protocole de Kyoto, signé en 1997, qui fixait des plafonds d’émissions aux pays riches ? Selon Stiglitz, le système mis en place avec Kyoto se basait qui sur des calculs peu réalistes : « Si la Chine avait accepté la limite fixée en 2000 sur une prédiction de 1,5 milliards de tonnes de CO2 par an, elle aurait dû verser en 2010 100 milliards de dollars pour les 7 milliards de tonnes qu’elle a atteint dans la réalité ! »

Faute d’accord sur le prix du carbone à l’échelle mondiale, Jean-Charles Hourcade voit une piste dans des « clubs » qui pourraient se former pour agir à des échelles plus petites : « Il peut être utile pour avancer que des pays qui s’accordent sur des initiatives se regroupent à une échelle où ils peuvent agir, que ce soit sur le plan des technologies, des villes ou de la finance, résume le chercheur. Et c’est un des ressorts essentiels de la Cop21 que de permettre à ces coalitions d’exister. »

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Salle comble pour écouter Joseph Stiglitz

Stiglitz envisage une autre solution : une coalition à laquelle chaque pays pourrait se rallier volontairement en établissant son propre prix pour le carbone. Elle instaurerait un système fiscal prélevant 20 % dans les pays riches pour alimenter un autre circuit essentiel pour aider les pays pauvres contre le changement climatique : le Fonds vert pour le climat (ou Green climate fund).

- Lire les diapos (en anglais) résumant l’exposé de Joseph Stiglitz

Une question d’échelle

Rattaché à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le Fonds vert pour le climat n’est actuellement doté que de 10 milliards de dollars. « Cela peut paraître une grosse somme, mettait en garde le codirecteur du conseil, Dipak Dasgupta, mais c’est sans aucune mesure avec les besoins. » Lancé lors de la conférence de Copenhague, cet organe a pour vocation de financer des projets d’adaptation au changement climatique : réduction des émissions, lutte contre la déforestation, adaptation des pays exposés aux aléas climatiques, etc.

Or, pour Dipak Dasgupta, ancien ministre indien des Finances, la réussite de la transition vers un système à basses émissions carbone nécessite le même soutien que les grandes révolutions technologiques du passé : « Même si une technologie, comme l’électricité, est supérieure à celle qui la précède et est adoptée par la population, aucune rupture ne peut avoir lieu sans une bascule considérable du secteur financier en sa faveur ! Quand le chemin de fer est apparu, l’Etat a donné des terrains autour des lignes de chemin de fer et les banques ont financé l’installation de réservoirs de carburant le long des voies… Certaines lignes ont périclité, d’autres ont réussi, mais, au final, le réseau s’est construit. Nous avons aujourd’hui besoin du même soutien des Etats et des institutions financières. Pourquoi les banques centrales refinancent-elles aujourd’hui des secteurs de l’économie dont nous n’avons pas besoin ? » Et de critiquer la frilosité occidentale : « Les pays les plus avancés sont ceux qui ont le moins de vision pour faire de grandes choses ! »

Des exemples émergents

Dans le discours de M. Dasgupta comme dans ceux des autres intervenants de la conférence, les louanges et les plus grands espoirs ne fleurissent plus en Europe ou en Amérique du Nord.

Si les accords de Bâle III, censés protéger la finance contre les risques systémiques après la crise, n’ont tenu aucun compte des questions environnementales, cela n’a pas empêché le Brésil d’intégrer de nouveaux critères dans ses mécanismes financiers. « La Banque centrale brésilienne a été la première en 2014 à obliger les banques à lier l’évaluation du risque financier aux risques sociaux et environnementaux », souligne Nick Robins, co-directeur du programmeInquiry du programme des Nations Unies pour l’environnement.

Autre « bon élève », la Chine qui, aux côtés des « stress test » censés évaluer la résistance des sociétés financières aux aléas du marché, opère désormais des « stress test environnementaux » pour estimer leur résistance à des critères de réduction des émissions de gaz à effet de serre plus stricts.

« Les banques centrales raisonnent à un horizon d’un an et demi à deux ans, or c’est au delà que se situent les véritables défis du changement climatique : nous faisons face à une ’tragédie des horizons’ et il faut que les institutions financières se fassent une culture sur le climat pour être efficace », concluait M. Robins.

Pour l’ancien ministre Pascal Canfin, désormais conseiller au World Resource Institute, de nombreux nouveaux acteurs disposent d’une position à même de faciliter les investissements, notamment les banques de développement. « Nous avons besoin d’articuler finance climatique et finance du développement : dans certains cas, comme pour les systèmes d’irrigation, c’est une évidence, admet-il. Nous avons besoin de transformer les banques de développement en banques de développement décarbonées. »

Au croisement de toutes ces perspectives de conversion de la finance se trouve néanmoins une condition : un signal de confiance qui permettra de faire converger finances publiques, investisseurs privés et épargnes vers ces nouveaux projets. « Si j’avais des économies, je mettrais tout dans les énergies renouvelables mais je n’en ai pas !, a lancé en forme de boutage Laurence Tubiana, directrice de l’Iddri et représentante spéciale pour la Cop21. Nous avons besoin d’envoyer le signal que l’économie à basse émission constitue notre futur, en faire une prophétie autoréalisatrice, un acte de foi afin que nous formions des coalitions autour du prix du carbone et des technologies. »

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Une semaine d’effervescence intellectuelle s’achève

Amorcé par la science, la plus grande conférence scientifique du monde sur le climat s’est achevée vendredi soir. Dans l’espoir incertain que les informations et prescriptions énoncées ici seraient entendues par les Etats… et par les financiers.


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Source et photos : Sylvain Lapoix pour Reporterre

Dessin : : tOad pour Reporterre