Depuis janvier, Joseph Robert est le premier paysan installé sur une ferme longtemps abandonnée, située sur les terres d’un ancien site industriel, dans l’Orne. Les salariés de l’équipementier automobile Faurecia, ses voisins, seront bientôt ses premiers clients. D’autres paysans sont attendus à ses côtés, au cœur de celle que l’on surnomme la vallée de la mort, pour ses anciennes usines d’amiante.
Au début, il y a le Ciriam (Campus industriel de recherche et d’innovation appliquées aux matériaux), implanté à Caligny, au Nord-Ouest de l’Orne, sur une superficie de 61 hectares. Il est porté par un syndicat mixte composé du Conseil régional de Basse-Normandie, du Conseil général de l’Orne et de la communauté d’agglomération du Pays de Flers. La zone acquise se compose de trois tranches et accueille diverses entreprises, essentiellement industrielles, en particulier Faurecia, équipementier automobile.
Particularité : une ancienne exploitation laitière se trouve sur l’une des trois tranches. La nature du terrain, sa déclivité, la présence d’une rivière en contrebas – La Vère – et de zones humides ne permettent pas l’installation d’une activité industrielle (à lire sur Basta ! : notre reportage sur la Vallée de la mort). D’où la réflexion pour la re-création d’une activité agricole sur le site. L’activité devra prendre en compte les caractéristiques environnementales du lieu et pourra bénéficier du potentiel commercial que représentent les salariés des entreprises sur place, mais aussi de son implantation périurbaine : la ville de Flers se trouve à sept kilomètres.
Favoriser l’agriculture bio périurbaine
C’est ainsi que le Ciriam, en lien avec le Conseil régional de Basse-Normandie, lance un appel à projet le 1er mai 2014 intitulé : « Création d’une exploitation agricole périurbaine bio ». Le but : valoriser la ferme laissée à l’abandon depuis plusieurs années et créer une dynamique de territoire. La base du projet devra être la création d’une activité de maraîchage, et à plus long terme l’introduction d’autres petits ateliers complémentaires pour permettre la rémunération de deux personnes.
L’appel reçoit une vingtaine de réponses. Cinq dossiers sont étudiés. Celui retenu retient particulièrement l’attention. A 29 ans, Joseph Robert présente un projet de développement, technique et économique sur cinq ans. Installation en maraîchage dans un premier temps, comme demandé, avec la valorisation des pommiers à cidre des deux vergers existants sur le site. Puis d’autres productions à mettre en œuvre les années suivantes, tel un élevage de poulets de chair, idéalement avec des races de volailles locales. Le dossier de Joseph entre parfaitement dans la dynamique souhaitée sur le territoire, avec à moyen terme la création d’emplois supplémentaires sur la structure. La surface, les bâtiments existants, les trois maisons d’habitation sont un énorme potentiel : d’autres projets restent à penser et à construire.
Une production diversifiée et de proximité
Joseph arrive sur la ferme en janvier 2015 [1]. Depuis, l’activité de maraîchage se met doucement en place sur un hectare. Les premiers légumes sont semés, le tunnel de 1000 m2 se monte, ainsi qu’une pépinière de 200 m2 pour les plants. Les 16 hectares de la ferme sont déjà certifiés en bio. Les débouchés sont nombreux, diversifiés et de proximité : magasin Biocoop de Flers, mise en place d’un marché hebdomadaire à la ferme et partenariat à concrétiser avec le Ciriam sous forme de paniers hebdomadaires, en fonction de la demande des salariés du campus industriel.
Le deuxième atelier devrait être installé courant 2016, lorsque le maraîchage sera bien lancé. Un élevage de poulets de chairs, comme prévu, envisagé avec dix bâtiments mobiles de 13 m2 dans un des vergers. Ces poulaillers de petite taille permettront de les installer et de les faire circuler sous les pommiers. La production devrait permettre de vendre, à terme, 25 poulets par semaine. Joseph y voit beaucoup d’atouts : un revenu complémentaire au maraîchage, surtout en hiver lorsque celui-ci est en saison creuse, l’élargissement de la gamme de produits, mais aussi le déparasitage du verger.
Créer du lien social autour de la ferme
Est également envisagée la culture de petits fruits rouges en cueillette libre, dont le but premier est d’ouvrir la ferme au public, de la faire découvrir, de discuter des productions, du métier… Joseph attache beaucoup d’importance à créer du lien social, sur et autour de sa ferme. D’où une grande ouverture auprès des particuliers, mais aussi auprès d’associations, telles que le Syrphe, association d’apiculture qui a installé ses deux premières ruches sur le site. D’autres partenariats sont déjà en réflexion, par exemple avec Faune et Flore de l’Orne ou la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Un chantier participatif au printemps a permis la création d’une mare. Un travail va pouvoir maintenant être mené sur le cycle de l’eau, avec des associations ou des écoles.
Un projet qui pourrait se réaliser rapidement, c’est l’arrivée d’un couple d’amis souhaitant mettre en place un jardin-forêt en permaculture. Si ce projet aboutit, ils pourront habiter eux-aussi sur place, de l’autre côté de la ferme, là où se trouve une deuxième maison d’habitation, Joseph occupant la maison principale. Et si d’autres projets venaient à se mettre en place avec d’autres personnes, une troisième bâtisse pourrait être rénovée pour être habitée.
Une ferme en permaculture
En attendant, Joseph appréhende sereinement sa nouvelle aventure. Il s’est aussi formé en agriculture bio, sur la méthode Hérody pour l’analyse des sols, sur la gestion des parasites et des ravageurs. Il a également suivi une formation sur la ferme du Bec Hellouin, en Haute-Normandie, reconnue pour la permaculture (lire notre reportage).
Joseph travaille sur deux espaces bien distincts, de deux manières différentes. Une partie en maraîchage de plein champs, d’une façon plutôt classique, pour y cultiver pommes de terre, carottes, poireaux, navets. Et une deuxième à la manière de la ferme de la Grelinette au Québec, qui explore et développe une méthode de maraîchage sur petite surface. Le principe : une dizaine de « jardins » de 20 mètres sur 30, composés de planches de 70 centimètres sur 30 mètres. Un tel fonctionnement présente plusieurs avantages : travail permanent du même emplacement, apports de fumier toujours au même endroit, afin de diminuer le travail et les apports. Dix jardins permettent une belle rotation des légumes.
Créer des ponts entre la ferme et l’usine
Joseph souhaite faire du maraîchage sans travail du sol ; il ne possède ni tracteur, ni charrue, et vu la nature du sol, labourer ne ferait qu’en faire ressortir les cailloux. Il utilise uniquement le motoculteur, en espaçant au maximum les interventions. Cette démarche permet en plus d’augmenter la biodiversité, de limiter les pertes de carbone et de respecter au mieux la vie du sol. Elle permet aussi une simplification d’organisation, pour le calcul des productions et des apports à faire, des plans et graines à acheter, etc.
Joseph a déjà pensé des aménagements pour valoriser les bâtiments de l’ancienne ferme laitière, comme la transformation en chambre froide de la salle de traite, avec ses murs très épais, ou celle en pépinière du silo qui servait pour l’ensilage…
Ce projet global est intéressant à plus d’un titre. Il montre qu’on peut installer de nouveaux paysans en repérant et en saisissant nombres d’opportunités, parfois surprenantes, mais il est aussi l’apprentissage entre deux mondes à priori opposés. Même si les légumes ne sont pas encore arrivés début juin, Joseph a déjà ouvert les portes de sa ferme aux salariés de l’usine. Une cinquantaine sont déjà venus la découvrir. De nouvelles visites sont programmées et le marché hebdomadaire à l’usine Faurecia devrait être très bientôt mis en place. Du très local, donc.
texte et image : Florine Hamelin, paysanne en devenir
Photo : Joseph Robert, un nouveau paysan en Normandie, installé depuis janvier sur les terres du campus industriel de Flers, dans l’Orne.
Cet article est tiré du numéro de juillet de Campagnes Solidaires. Au sommaire : les mobilisations contre l’accaparement de terres en France et dans le monde, retour sur le procès des 1000 vaches, le projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, mais aussi un dossier sur les grands projets inutiles et imposés.
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