Il existe un proverbe brésilien qui dit quelque chose comme « si tu restes à côté de la bête, elle te mange. Et si tu t’éloignes, elle te rattrape »… et te mange. Voici qui s’applique à la pauvre Grèce aujourd’hui. « Grexit » non préparé de dernière minute ou poursuite de sa participation dans l’euro d’acier, la Grèce n’avait plus que des mauvaises solutions devant elle depuis ce week-end. Alexis Tsipras est resté fidèle à l’esprit de sa stratégie de toujours : rester dans l’euro – et rejeter l’austérité de son point de vue –. Jusqu’au bout, il a en réalité privilégié le fait de rester dans l’euro, quel qu’en soit le prix, quel que soit le niveau d’austérité à avaler pour cela. Cette fois-ci, ce prix est trop lourd pour pouvoir être acquitté sans conséquences. Cette stratégie – rester dans l’euro et rejeter l’austérité – , qui est en réalité la stratégie dominante au sein de toute la gauche non social-libérale européenne – au sein du Parti de la gauche européenne (PGE) notamment –, a échoué. Face à elle, l’intransigeance de l’Allemagne, de la France et des créanciers, qui ont compris qu’Alexis Tsipras ne voulait, in fine, rien qui puisse ressembler à une sortie de l’euro, a pu se doubler d’une gourmandise austéritaire accrue vis-à-vis d’Athènes. Désormais, le pays est à vendre et soumis à la loi du plus fort.
Alexis Tsipras a perdu dans le cadre d’une guerre inégale où la coalition des puissances, soudée autour de l’objectif d’anéantir devant l’éternité toute politique dérogeant au cadre austéritaire de l’Europe, n’a laissé aucune chance au dissident. Le miracle n’a pas eu lieu. Dans ces conditions, la lance de l’hoplite ne pouvait pas transpercer l’acier de la Grosse Bertha. Syriza en tant que projet de gauche en Europe est mort, hélas. Mercredi 15 juillet, les parlementaires du pays devront voter pour l’application du programme économique destructeur et humiliant que l’Allemagne et ses alliés ont décidé d’imposer à la Grèce récalcitrante. Le pays continuera donc de payer une dette impayable et de s’enfoncer dans une spirale récessionniste sans fin. A n’en pas douter, une crise politique et des changements d’alliances sont à prévoir sur place. Et rien ne saurait éviter dans ces conditions la montée de troubles sociaux et politiques dans le pays. Soyons sûrs que l’extrême-droite a toutes les chances d’en tirer les bénéfices. Les vainqueurs du jour seraient ravis de voir Alexis Tsipras tomber et d’obtenir un changement de régime. Ils n’ont pas abdiqué cet objectif. Que fera-t-il, lui ? Laissons lui le temps de nous le dire avant de le condamner comme le font avec délectation les médias dominants. Peut-il encore battre retraite pour se reconstituer et préparer un défaut sur la dette et une sortie de l’euro dans quelques mois ?
Le coup d’Etat en cours contre la Grèce, facilité par les dispositions du gouvernement grec à obtempérer, crée une nouvelle situation sur le Vieux Continent. Le Grèce est désormais placée sous protectorat Germano-européen. Et c’est la France qui jouera le rôle de gardien du territoire pour le compte de la puissance dominante dont elle partage le point de vue sur l’essentiel.
Il est clair que cette position acquise par l’Allemagne en Europe est d’abord le fait de l’alignement français. Berlin ne pourrait avoir un tel monopole en Europe si la France ne le souhaitait pas. En attendant, les choses sont claires : contrairement au 20e siècle, cette fois-ci, l’Allemagne a gagné, et par d’autres moyens que la guerre miliaire. Elle dirige l’Europe par l’économie et la finance. Et plus aucune puissance – pas même les Etats-Unis – ne lui impose quoi que ce soit.
Une nouvelle ère commence. La crise grecque n’a pas encore délivré tous ses enseignements et elle produira d’autres bouleversements politiques. Le combat de Tsipras et du peuple grec a révélé comme jamais la nature de « L »Europe » et le visage de sa « nomenkaltura austéritaire » (voir billet précédent : « Grèce : et maintenant ? »). La Grèce est le premier laboratoire d’une résistance concrète populaire et politique à la domination des marchés. Les défaites sont dures, mais elles doivent pourtant nourrir et éclairer le chemin de victoires futures. En attendant, il faut continuer de soutenir les forces populaires en Grèce dans la séquence qui va s’ouvrir. Il nous faut aussi abandonner l’idée que l’euro est réformable. L’euro n’est plus seulement une monnaie, c’est un projet de civilisation. Il est devenu une réalité matérielle qui agit sur les sociétés européennes. Mais s’il faut abandonner l’euro, nous devons l’imaginer dans le cadre d’une réflexion plus large sur l’Europe.
La crise actuelle nous instruit sur les propres faiblesses de la gauche en Europe. Ses forces ne sont pas en mesure d’offrir une alternative à la situation historique actuelle. Rien de ce qui constitue son corpus actuel n’adviendra : pas de « bon euro », pas d’autre Europe possible, sociale, écologique et démocratique.
Il y a beaucoup à remettre sur le métier. En attendant, continuons de nous appuyer sur l’un des acquis de cette séquence. L’unité « pays » est bien le talon d’Achille du système, sa « pétaudière » potentielle. Il constitue un champ de forces dont les dominants ne contrôlent pas, même s’ils en maîtrisent le terrain, l’ensemble des paramètres et des équations qui déterminent les énergies et leurs fluctuations.
L’incursion de la souveraineté politique dans le système des pouvoirs globalisés est notre seule arme. Si nous gouvernions en France, dont le poids économique et géopolitique est le seul à pouvoir freiner l’Allemagne, alors il faudrait assumer un programme et le proposer à tous les pays européens qui le souhaitent : un « euroxit » coopératif et une Europe politique des coopérations renforcées volontaires.