(Crédit image : Image : Datastat | Commons Wikimedia)

legende TAFTA

Le 8ème cycle de négociation de l’accord transatlantique s’est tenu à Bruxelles du 2 au 6 février dernier.

Or les derniers mois n’ont pas ménagé les leaders des négociations et l’opposition populaire est massive d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique. Les chefs d’État et de gouvernement des 28 peinent à réconcilier leurs visions et leurs intérêts. Le nouveau départ promis par la Commissaire Malmström, entrée en fonction en décembre dernier, s’est concrétisé par un revers massif pour la Commission lors de la publication des résultats de la consultation publique sur le volet Investissement de l’accord…

A Washington, le Président Obama a quant à lui perdu la majorité du Congrès et cherche à obtenir la facilité de négociation fédérale dite « Fast track Authority », qui lui permettrait de passer outre ses deux chambres pour négocier. Mais le débat fait rage sur le bien-fondé d’un accord de plus, alors que l’accord transpacifique (dit TPP) est nettement plus proche de sa conclusion, et que l’héritage pour le moins controversé de l’Accord de libre-change lancé en 1994 entre les États-Unis, le Canada et le Mexique (dit ALENA ou NAFTA en anglais) disqualifie pour beaucoup la perspective d’un, voire deux « méga-accords » de plus.

Mais au fait… entre frénésies et controverses, de quoi parle-t-on, et où en sont les négociations ?

Un accord de libre-échange, c’est beaucoup de sujets et beaucoup de technique, d’autant plus lorsque les ambitions atteignent celles du TAFTA. Dans le cas de l’accord transatlantique, il s’agit entre autres de :

  • l’abaissement des droits de douane restants,
  • l’harmonisation d’un maximum de normes et procédures liées au commerce,
  • l’ouverture des marchés publics aux entreprises de l’autre partie,
  • la libéralisation du commerce des services,
  • la mise en place d’instances de « dialogue » et de « coopération » réglementaires qui poursuivront le travail normatif au-delà de la signature,
  • la protection renforcée des investisseurs,
  • l’affermissement des droits de propriété intellectuelle, dont la protection des « indications géographiques »,
  • l’inclusion de « garanties » en matière de développement durable et de droits sociaux, • la libéralisation du commerce de l’énergie,
  • l’insertion de dispositions spécifiques pour les petites et moyennes entreprises…

Mais s’il est de rigueur pour les négociateurs, à l’issue de chaque session de négociations, de louer l’extraordinaire qualité du dialogue et du travail conjoint, la réalité des progrès qu’enregistrent les pourparlers est nettement moins spectaculaire.

La négociation des traités s’organise en cycles de négociations, à raison d’un cycle tous les trimestres environ. Ces cycles, qui se déroulent alternativement à Bruxelles et aux États-Unis (le plus souvent Washington), sont le moment où les délégations de négociateurs se rencontrent. Ces délégations sont composées de personnes non-élues, fonctionnaires et anciens lobbyistes.

Les négociations commencent par des discussions de principe, où les négociateurs échangent sur leurs différentes approches et sur la structure de l’accord. Puis, chaque partie dépose ses offres initiales. Les offres initiales de l’UE doivent suivre les directives de négociation données par les États membres, le fameux mandat de négociation. La réunion des offres des deux parties, âprement discutée, permet la réalisation de textes consolidés. Les points où les parties sont en désaccord sont alors indiqués par des crochets dans le texte. Ces textes consolidés sont ensuite discutés jusqu’à obtention d’une version commune.

Sur le fond, les accords de libre-échange s’organisent globalement en trois types de dispositions :

– celles relatives à l’accès au marché : il s’agit surtout de l’élimination des droits de douane, ainsi que de la libéralisation des services ou encore de l’ouverture des marchés publics. Cela inclut aussi la question des règles d’origine (i), indispensables pour permettre de dire quel produit peut bénéficier ou non des avantages conférés par l’accord.

– celles relatives aux normes et aux règlements techniques qui définissent les préférences collectives respectives des parties qui négocient. Dans ce pilier sont discutées toutes les règles qualitatives qui encadrent les échanges, en matière de sécurité alimentaire ou industrielle et en matière de procédures d’inspection et de contrôle.

– celles liées au fonctionnement et aux règles régissant l’accord et son interaction avec les autres instruments juridiques internationaux (par exemple les accords multilatéraux sur l’environnement, les conventions de l’Organisation internationale du travail, les traités internationaux relatifs aux droits humains…) et dont font partie les questions de propriété intellectuelle, très importantes, de même que les questions de facilitation du commerce via la simplification des procédures douanières ou administratives.

Accès aux marchés

La question des droits de douane, rapidement balayée par la plupart des observateurs comme très secondaire au regard des objectifs, est pourtant un premier point de blocage.

On sait que les tarifs sur les biens manufacturés sont presque entièrement nuls (sauf pics exceptionnels sur certains produits tels que les chaussures ou l’habillement de part et d’autre, les graines aux USA ou les produits industriels à base de viande en Europe).

C’est dans le domaine agricole que l’essentiel de l’effort devra être porté, et que les risques sont les plus importants (ii). Mais en réponse à l’offre européenne de mars 2014 (suppression de 99% de ses droits de douane), l’offre tarifaire globale formulée par les États-Unis en 2013 est apparue largement insuffisante à Bruxelles, qui l’a immédiatement renvoyée.

Depuis, les pourparlers dans ce dossier sont au point mort. On sait que l’UE – dont le Commissaire à l’agriculture a rappelé, lors d’un récent voyage à Washington, son attente d’une nouvelle proposition américaine – devra négocier des contingents à droits de douane nuls (iii) aussi bas que possibles pour les produits qu’elle considère comme sensibles -en raison d’une meilleure compétitivité américaine ou de subventions à la production. Un certain nombre d’États Membres l’UE ont également des intérêts « offensifs » ou « défensifs » spécifiques. On ne sait rien de la manière dont ils sont pris en compte et pondérés dans la négociation globale. Le Commissaire à l’agriculture P. Hogan promet d’ailleurs dans le même temps que tous les sujets seront abordés « sans lignes rouges a priori » (iv) et qu’aucune des normes existant dans le domaine de la sécurité alimentaire en Europe ne seront sacrifiées (v) …

Dans le pilier de l’accès au marché se discute aussi la question de la libéralisation des services (vi vii). Les services constituent près des trois-quarts de l’économie européenne, et le commerce extérieur de l’UE est largement excédentaire, si bien que Bruxelles est très offensif en la matière.

En la matière, les discussions ont surtout porté jusqu’à présent sur la question d’intégrer ou non les services bancaires et financiers ; les banques et fonds d’investissement pourraient plus facilement installer leurs succursales, prendre des participations aux établissement financiers privés de l’autre partie ou encore faire l’objet de moins de limitations des produits et prestations qu’ils pourront proposer, entre autres…

Les USA le souhaitent, l’Union européenne n’est prête à en discuter que si ces derniers acceptent d’intégrer la régulation financière dans les pourparlers relatifs aux normes et à la coopération réglementaire. En jeu : moins de restrictions à l’activité des banques et des fonds d’investissement américains en Europe, ce contre quoi l’UE exige que les normes prudentielles dans le domaine des banques et de la finance, renforcées par le gouvernement fédéral après la crise 2008, puissent s’assouplir. Dans les deux cas, les banques et institutions financières des deux côté de l’Atlantique seront gagnantes, et la stabilité financière mondiale perdante.

Bruxelles souhaite limiter la soumission des établissements financiers européens installés ou opérant aux USA aux règles américaines, notamment de la loi Dodd-Franck, arguant du fait que ses règles prudentielles sont au moins aussi bonnes que les lois fédérales américaines et que Washington pourrait fort bien les reconnaître.

On est donc loin d’un accord pour le moment.

D’autres aspects de libéralisation des services concernent le fret maritime (accès des flottes commerciales européennes au cabotage le long des côtes américaines) ou le transport aérien de passagers sur les lignes intérieures (les USA et l’UE étant aussi fermés l’un que l’autre en cette matière). Mais ce sont là des ambitions affirmées qui n’ont pour l’heure fait l’objet d’aucune discussion précise.

Enfin Bruxelles et ses États membres attendent beaucoup de TAFTA dans le domaine des marchés publics, réputés fermés à 70% outre-Atlantique. Les pouvoirs publics sont aussi des clients directs pour nombre d’entreprises petites ou grandes, de la plus petite échelle (locale, par exemple lorsqu’il s’agit de l’entretien de la toiture d’une mairie) aux contrats les plus colossaux (approvisionnement des administrations nationales en équipement ou en services de gestion, par exemple) et les politiques de commande publique sont des politiques économiques en tant que telles lorsqu’elles réservent des pans entiers des achats publics aux entreprises locales ou nationales. Or Washington dispose d’instruments politiques efficaces tels que le Buy American Act ou le Berry Amendment, qui réservent exclusivement une grande part des marchés publics fédéraux aux entreprises américaines. De nombreux États et villes ont également mis en place des politiques qui leur permettent de privilégier les opérateurs locaux, voire même certains d’entre eux (les minorités ethniques notamment), dans l’attribution de leurs contrats.

C’est pourquoi les entreprises européennes espèrent obtenir la remise en question de ces lois via TTIP. C’est notamment le cas des entreprises transnationales de service (dans les domaines de l’informatique, de la restauration collective..). L’UE se concentre surtout sur le niveau sub-fédéral (viii) alors que les négociateurs américains privilégient l’échelon fédéral. Mais nous n’avons connaissance d’aucune avancée concrète dans ce domaine, seulement des discussions préliminaires de méthode…

Les normes et réglementations

C’est dans le domaine normatif et réglementaire que les pourparlers progressent le moins lentement.

Il s’agit ici de toutes les normes et procédures qui conditionnent l’accès d’un produit, d’un service voire d’une personne aux marchés respectifs de Washington et Bruxelles. Un chantier titanesque : celles-ci sont innombrables et reflètent la disparité des approches prévalant de part et d’autre de l’Atlantique en matière de sécurité alimentaire ou sanitaire, de relations entre économie et écosystèmes, de recherche scientifique, de dialogue politique, et plus globalement de la façon dont une société définit ses règles et les met en oeuvre. La négociation s’organise en trois dimensions :

– verticale, ou thématique : chaque dossier (cosmétiques, produits chimiques, automobile, normes de sécurité textile…) étant traité séparément par une équipe spécifique,

– horizontale, ou transversale : c’est ici qu’intervient le projet d’un chapitre consacré à la coopération réglementaire. Ce dialogue sur les aspects transversaux des normes et règlements intervient toutefois également dans d’autres sphères thématiques : les biotechnologies, les services financiers (cf. supra)…

– le volet des « barrières techniques au commerce », qui traite des méthodes de vérification, de certification, de contrôle des produits à leur sortie du territoire d’une partie à l’accord puis à leur entrée dans celui de l’autre : dans certains domaines l’objectif est de les supprimer, dans d’autres de les alléger, dans d’autres encore il s’agit de reconnaître celle de la partie partenaire.

Les discussions ont permis jusqu’à présent d’aborder quelques uns des multiples chantiers.

C’est surtout dans le domaine des mesures sanitaires et phytosanitaires que les pourparlers donnent lieu à quelques avancées tangibles, puisque l’UE a pu présenter sa proposition rédigée de ce que pourrait être, selon elle, le chapitre (ix). On s’attend à la publication d’une première proposition d’un texte « consolidé » – un texte fusionnant les versions européenne et américaine – dans les semaines à venir. C’est dans le cadre de ces discussions que les questions de sûreté alimentaire et sanitaire (traitement chimique des viandes, produits OGM notamment) sont théoriquement traitées, mais nulle trace dans la proposition actuelle de l’UE.

Dans l’hypothèse où le chapitre dit « SPS » (pour Sanitary et PhytoSanitary measures) ne trancherait pas explicitement sur ces questions controversées, le volet horizontal des discussions pourra cependant les concerner, lorsqu’il sera question de définir les modalités longitudinales de coopération entre les instances de régulation respectives de Bruxelles et Washington. C’est là tout le danger du chapitre « Coopération réglementaire », qui remet les questions litigieuses à plus tard, après ratification du traité, en dehors de toute supervision démocratique.

Le 8ème cycle de négociations a également permis, selon les négociateurs, d’avancer dans des domaines tels que les cosmétiques, les produits chimiques, les appareils médicaux, les voitures… On connaît les positions de négociation initiales de l’Union européenne, du moins dans des versions très primitives, mais rien de plus précis n’a filtré jusqu’à présent. Cela dit il suffit de passer ces documents au crible pour saisir l’ampleur des enjeux et des risques. L’organisation CIEL a ainsi réalisé l’analyse de la proposition européenne dans le domaine des produits chimiques et en démontre les dangers (x).

Enfin le point névralgique du pilier réglementaire réside dans le chapitre « Coopération réglementaire ». Celui-ci concerne le projet d’organiser à long terme le dialogue transatlantique sur les normes et les procédures au sein d’un Conseil de coopération réglementaire dont la composition, le mandat, la saisine ou encore le contrôle sont autant d’inconnues inquiétantes. En la matière, les ambitions de Washington, explicitées dans un document interne, avaient fuité il y a un an environ ; la position de l’UE a circulé fin décembre dernier, et a été analysée par Monique Goyens, du BEUC, qui en explique excellemment les risques (xi). La DG Commerce a donc choisi a posteriori de rendre son document public, à l’issue de la récente semaine de négociation. Les négociateurs en chef I.G. Bercero et D. Mullaney se sont montrés plein de l’espoir – sic – d’arriver à une proposition textuelle consolidée (donc commune) lors du prochain cycle (9eme cycle, aux États-Unis en avril).

Fonctionnement, règles et procédures

Tout le reste des questions discutées relève du pilier « Fonctionnement, règles et procédures » : facilitation du commerce (harmonisation de certaines procédures douanières et administratives), propriété intellectuelle dont indications géographiques, protection des investissements, règlement des différends, traitement des subventions, monopoles d’États, articulation avec les autres accords internationaux, mécanismes de suivi de l’accord, mais également traitement des matières premières et de l’énergie ou la place des petites et moyennes entreprises, pour les principales. Or nombre de ces dossiers sont particulièrement intéressants pour les associations et les organisations de la société civile.

L’Union européenne a fait part de quelques-uns de ses objectifs généraux (très globaux, non chiffrés, non opérationnels) concernant le chapitre Développement durable, la facilitation du commerce, l’énergie et les matières premières, les PME, l’ISDS, la concurrence et le règlement des différends État-État.

L’on sait que les négociations sur le volet Investissement du traité (qui couvre non seulement le mécanisme ISDS mais plus largement la définition des objectifs et des formes de protection des investisseurs) sont formellement gelées à ce jour, faute pour la DG Commerce d’être parvenue à éteindre la colère citoyenne sur le sujet. Des informations très récentes indiquent que les USA auraient mis l’ouverture de leurs marchés publics en jeu pour convaincre les Européens : pas de concession de leur part sans garantie de l’UE sur le mécanisme de règlement des différends Investisseur-État. La France (d’ailleurs très offensive dans le domaine des marchés publics) prétend en outre porter des propositions alternatives fortes auprès de ses partenaires du Conseil, et avance notamment l’idée d’une Cour permanente d’arbitrage, dont le statut et les prérogatives exactes ne sont pas définies. Mais de nombreux aspects substantiels et procéduraux organisant la protection des investissements devront évoluer avant que cette proposition ne réponde aux attentes de la société civile et des mouvements citoyens, qui souhaitent en transformer la philosophie intrinsèque.

Rien de concret non plus dans le volet Énergie des discussions, qui comporte pourtant des aspects tout à fait alarmants : la libéralisation du commerce transatlantique de l’énergie, ardemment souhaitée par l’UE, en dépit des risques environnementaux multiples (xii), le danger pour le service public de l’énergie et pour les subventions d’État au secteur, par exemple, ou encore l’inconnu quant à la portée des règles de protection de l’investissement dans ce domaine.

Le texte « Développement durable » est un bréviaire de bonnes intentions sans aucune piste d’instrument pour en assurer la mise en œuvre effective. Rien n’indique que les engagements œ internationaux ou nationaux en matière de lutte contre le changement climatique et en faveur de la protection de l’environnement primeront sur les obligations commerciales des parties au traité.

Quant au texte initial présentant les propositions de l’UE afin que TTIP bénéficie particulièrement aux PME, il se borne à promettre la création de mécanismes de coopération et d’échanges d’informations en vue de faciliter l’accroissement des opportunités de chaque côté de l’océan. Probablement conscients de l’indigence de leur argumentaire, les négociateurs Mullaney et Bercero ont d’ailleurs promis lors de la Conférence de presse clôturant la dernière semaine de négociation que le prochain cycle, à Washington fin avril, serait le théâtre d’une session extraordinaire sur les « meilleures pratiques » transatlantiques pour favoriser l’engagement des PME sur le marché UE-USA. Et la DG Commerce a tout récemment mis en ligne une nouvelle infographie (xiii) censée démontrer l’ampleur des attentes des patrons de PME européens à l’égard des négociations. Aucune ne montre pourtant que le TTIP apporterait de réels avantages pour les petites et moyennes entreprises.

Le volet « Propriété intellectuelle » de l’accord concerne, enfin, deux grands dossiers sensibles. Il s’agit tout d’abord, pour les Américains, de s’accorder avec l’Union européenne sur une approche plus exigeante des droits de propriété intellectuelle. Dit autrement, une approche qui donnera aux entreprises un contrôle allongé et renforcé sur leurs produits protégés par des brevets ou par copyright.

Dans certains domaines, en particulier l’informatique, l’audiovisuel et la recherche pharmaceutique, les multinationales des deux côtés de l’Atlantique espèrent des résultats. On se souvient ainsi que les entreprises pharmaceutiques européennes sont parvenues à extorquer au Canada, via l’accord CETA, de retarder de deux ans l’entrée de médicaments génériques sur le marché pour prolonger les royalties des compagnies européennes du médicament sur certaines molécules (xiv). Selon certaines sources, le Premier Ministre canadien S. Harper avait convaincu les provinces canadiennes, qui ont la compétence de mise en œuvre de l’assurance santé, que les surcoûts liés œ à l’extension des brevets serait pris en charge par le gouvernement fédéral dans les premières années.

C’est donc un enjeu de premier plan, y compris pour la société civile, bien consciente que tous les accords de libre-échange sans exception ont eu des effets néfastes pour les populations, l’environnement ou la connaissance : le renforcement des règles de propriété intellectuelle limitera l’accès aux matériaux éducatifs et scientifiques, la libre expression et la libre-création de même que l’accès à des médicaments moins chers pour des malades et les systèmes publics de santé, aujourd’hui contraints à des coûts exorbitants s’ils veulent se soigner (xv). Dans un autre domaine, l’assouplissement des règles de propriété intellectuelle sur les biens et techniques respectueux du climat (« climate-friendly ») est indispensable à la lutte contre le changement climatique, et particulièrement dans les pays les moins dotés en ressources pour accéder aux sources d’énergie et d’atténuation existantes aujourd’hui sur le marché. Le rehaussement des standards transatlantiques en la matière conduira avec certitude les entreprises européennes et nord-américaines à renforcer leurs exigences dans les instances multilatérales de négociation commerciale, mais également climatique (c’est un sujet de discorde dans le cadre de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique).

Le dossier des « indications géographiques » agricoles est également un point de discorde majeur entre Bruxelles et Washington. Les « IG » sont les noms déposés d’une multitude de productions -principalement agricoles (xvi)- qui lient le produit à un terroir (un lieu, un climat, un procédé de fabrication). Par exemple, pour porter l’appellation de « Comté », un fromage doit être fabriqué dans le Jura, selon un procédé de conservation et d’affinage bien précis, avec du lait de vaches montbéliardes ou de la race Simmental française.

L’Europe protège une multitude d’IG, dans le domaine des vins et spiritueux de la production fromagère, fruitière, des pâtisseries, des produits issus de la viande (foie gras, confit…), en particulier la France, l’Italie, la Grèce, l’Espagne, mais également l’Allemagne ou encore les Pays Bas. L’IG donne à un produit sa réputation et démultiplie sa valeur commerciale. Ce sont des donc des sujets de grande importance pour les producteurs agricoles et agroalimentaires européens et leurs fédérations.

L’enjeu des négociations : les Américains souhaitent assouplir les règles d’utilisation de toute une liste d’IG de façon à pouvoir les utiliser pour des produits fabriqués outre-Atlantique, comme le champagne en Californie, la feta, la mozzarella (xvii)… Concession inacceptable pour les Européens sur le papier. Qui, d’après nos informations, empêche toute discussion concrète pour l’heure.

Récemment, lors d’un débat entre le Secrétaire d’État américain à l’agriculture T. Visack et le Commissaire européen P. Hogan, ce dernier a clairement réaffirmé la détermination de Bruxelles à gagner un niveau de protection maximale de ces IG en Europe. A quoi T. Visack répondit : « Tant que vous ne saurez pas me montrer Feta sur une carte, nous ne vous accorderons pas le monopole de l’usage de cette appellation ».

En somme bien plus de blocages et d’impasses que d’avancées largement dus à l’obstination de chaque protagoniste à arracher les engagements maximum en faveur de leurs entreprises. Loin d’écarter le danger donc, ces difficultés font figure de contretemps. La gestion du dossier « ISDS » le montre bien : loin de reculer face à l’obstacle, les négociateurs diffèrent, temporisent, contournent et reformulent, mais restent rivés à leur objectif.

A ceci près que le compteur tourne. L’approche des élections présidentielles américaines (novembre 2016) rend fort improbable l’hypothèse de progrès tangibles au-delà de la fin 2015. Et il faudra ensuite attendre l’installation d’une nouvelle équipe à la Maison Blanche pour que les négociations retrouvent un rythme « normal », soit la mi-2017 environ. Avec le risque du recul sur un certain nombre de dossiers… Prochain cycle : la semaine du 20 avril à Washington.

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Notes

(i) Les « bénéfices » des accords dépendant de l’origine des biens ; dans le cadre du TAFTA, ce sont les biens américains et seulement ceux-ci qui devront pouvoir bénéficier des avantages : absence de droits de douane par exemple. Comment déterminer l’origine d’un bien dans une économie mondialisée où les biens sont constitués d’une multitude de composants réalisés aux quatre coins du monde, et assemblés dans un pays souvent différent de celui où l’entreprise qui le commercialise est basée ?

(ii) Bénéficiant de coûts de production moins élevés outre-Atlantique, les viandes de bœuf et de porc – dont l’exportation des USA vers l’Europe est actuellement freinée par des droits de douane relativement dissuasifs – risquent de déferler sur les marchés communautaires et de laminer les petites et moyennes productions de viande bovine et porcine.

(iii) Dans l’accord UE-Canada par exemple, Bruxelles a finalement accordé à Ottawa l’importation d’un quota de 50000 tonnes de viande de bœuf (sans hormones) à droits de douane nuls. Cela signifie que les droits de douane pratiqués jusqu’à présent à l’entrée des viandes de bœuf canadiennes (5 fois plus élevés dans l’UE qu’au Canada) sur le marché européen seront amenés à zéro pour les 50000 premières tonnes importées. Ce qui favorisera l’essor de l’entrée de viandes bovines canadiennes dans l’UE, actuellement relativement faible. Sur cette base, les États-Unis réclament 300000 tonnes annuelles.

(iv) http://www.vieuws.eu/eutradeinsights/eu-awaits-updated-tariff-offer-from-us-agri-chief-says/

(v) https://www.agriland.ie/farming-news/agricultural-standards-wont-be-sacrificed-on-the-altar-of-any-trade-dealhogan-promises/

(vi) Dans la réglementation commerciale, l’approche de l’OMC concernant ce que recouvre l’acception de « service » est très large. Il s’agit de toutes les formes de mise à disposition d’une capacité technique ou intellectuelle qui n’implique pas une transformation de matière. Il s’agit donc potentiellement de tous les secteurs, sans distinction de leur caractère initialement marchand ou non-marchand, qu’ils soient publics ou privés. Ces services peuvent à la fois être fournis « transfrontière » (une prestation bancaire, la réalisation d’une étude…), dans le pays de fourniture du service (le consommateur va dans le pays d’achat, dans le cas du tourisme par exemple), par une présence commerciale directe (lorsqu’une entreprise du pays A a investi pour s’installer dans le pays B et opérer directement) ou encore par le déplacement du prestataire du service dans le pays de consommation.

(vii) L’OMC fournit ici une liste détaillée des services discutés dans le cadre des négociations commerciales, et leur définition : https://www.wto.org/french/tratop_F/serv_f/serv_f.htm

(viii) Les règles commerciales endossées par Washington n’engagent pas les États et les autorités locales de la même manière aux États-Unis qu’en Europe, et ceux-ci conservent beaucoup plus de flexibilité. Ainsi, si les USA ont signé l’Accord de l’OMC sur les marchés publics (entré en vigueur en 2014 dans sa dernière version) qui s’applique aux marchés fédéraux, seuls 37 États de la fédération ont pris des engagements (à des degrés divers) dans le cadre de celui-ci.

(ix) Les Amis de la Terre Europe et leurs alliés en donnent ici une analyse très critique : http://www.foeeurope.org/howTTIP-undermines-food-safety-animal-welfare-040215 de même que l’IATP ici : http://www.iatp.org/documents/analysis-of-the-european-commission-proposal-for-the-sanitary-and-phytosanitarymeasures-s

(x) http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2014/may/tradoc_152468.pdf

(xi) http://www.beuc.eu/blog/regulatory-cooperation-perhaps-boring-but-the-ttip-storm-on-the-horizon/

(xii) Voir http://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?article1416

(xiii)  http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/about-ttip/helping-smaller-firms/

(xiv) http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/09/28/le-libre-echange-pourrait-faire-grimper-le-prix-desmedicaments_n_5896626.html

(xv) https://www.laquadrature.net/fr/pas-de-propriete-intellectuelle-dans-laccord-commercial-ue-us

(xvi) On peut tout savoir des Indications géographiques sur le site de l’Organisation mondiale sur la propriété intellectuelle http://www.wipo.int/geo_indications/fr/about.html

(xvii)  Pour un certain nombre d’appellations, la proposition américaine consiste très exactement à reconnaître à l’Union européenne l’usage de l’IG accolée au lieu exact (pays ou région), mais de conserver le droit d’utiliser l’appellation générique. Par exemple, seule la Grèce pourrait commercialiser de la feta « de Grèce » ou de la mozzarella « d’Italie », mais n’aurait pas le monopole du nom « feta » ; des fromagers américains pourraient ainsi en fabriquer et en commercialiser sans aucune autre précision.

Source : http://aitec.reseau-ipam.org/IMG/pdf/etat_post_8emeround_ac.pdf

L’article original est accessible ici