Par Caroline Escartefigues

De l’Inde au monde entier s’étend ce qui pourrait être une révolution : humaniser nos prisons. Et si certains enseignements universels, comme le yoga ou la méditation, pouvait aider à changer l’esprit des détenus ?
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La prison est par définition le lieu qui enferme. Ici ou ailleurs se pose la même énigme : que faire du quotidien passé derrière les barreaux ? De la prison mentale dans laquelle enferme les geôles ? Dans une équation où la punition nourrit l’esprit de revanche ; comment faire pour que cet espace ne devienne pas un lieu de fabrique du fanatisme ? Et si la prison pouvait être le lieu d’émergence du développement personnel ? Depuis 1975 la méditation a investi les prisons indiennes pour essaimer ses bienfaits de l’Angleterre aux quartiers de haute sécurité de prisons américaines. Une révolution en marche ?

La méditation peut-elle changer nos prisons ?

Depuis les années 70, on offre des programmes tels que la méditation et le yoga dans les prisons indiennes ; mais c’est en 1993, qu’à lieu l’expérience qui a lancé le grand mouvement évolutif pour les prisons. Kiran Bedi, une femme extraordinaire, inspectrice générale de la prison Tihar à New Delhi, cherchait une solution face à la violence quotidienne. La population de cette prison était de 10 000 hommes – dont 9 000 en attente de leur jugement. Par exemple, les prisonniers pouvaient faire six ans de prison avant de recevoir leur sentence qui pouvait être d’un an. Le niveau de stress était excessivement élevé et les bagarres explosaient à tout moment. Consciente de la tragédie qui se vivait dans ce lieu elle se mit à élargir sa vision en englobant la question de l’amour et des soins. « J’ai commencé à danser, à chanter avec eux, parce qu’après tout quand ils ressortent ils doivent retourner à une société normale… Mais ce n’était pas assez ». Par chance la réponse vient de la prison elle même : lors d’une tournée un jeune officier lui parle de la méthode très ancienne de la méditation Vipassana (littéralement : « voir la réalité telle qu’elle est »). Il lui parle de cette pratique enseignée il y a 2500 ans par le Bouddha qui permit en son temps à des tueurs et de cruels tyrans de devenir des hommes remarquables. Dans un premier temps les gardiens sont formés. « Ils n’étaient pas juste des sentinelles, leur mission était d’humaniser ». Par la suite l’expérience s’étend aux prisonniers, à la demande de l’enseignant S. N. Goenka on enlève les entraves et les chaînes des prisonniers dangereux.

Pendant dix jours, les prisonniers méditent en silence dix heures par jour dans un lieu dédié à l’enseignement. Dès la fin de cette retraite, on observe une meilleure coordination du personnel et des prisonniers, une évolution de la relation entre les prisonniers et les familles ainsi que le recul de l’esprit de vengeance. Cette expérience bouleversante documentée dans le film Doing Time Doing Meditation (1997) rapporte les propos d’un chef de gang emprisonné à perpétuité : « je ne pensai qu’à me venger, je croyais être une victime. Puis j’ai fait une croix sur la haine. J’ai contacté les familles des victimes, je ne sentais qu’amour et compassion pour eux ; je leur ai demandé pardon. Deux de leurs femmes sont venues en signe de paix, je suis devenu leur frère adoptif, aujourd’hui je veille sur leur famille comme si c’était la mienne. »

Rapidement de cinquante, l’expérience s’est étendue au travers de retraites pour 1000 prisonniers de toutes les religions et contextes sociaux. Au bout de dix jours, les prisonniers sortent en pleurant et demandent pardon à leurs geôliers en les étreignant. Dans un pays où les contacts physiques sont impensables, les barrières tombent.

Des exemples à travers le monde

Par la suite, de l’Italie à Taiwan en passant par les Etats-Unis, des expériences similaires sont menées ; comme celle de Bessemer, dans la prison la plus impitoyable d’Alabama. Au cœur de cette prison surpeuplée connue pour la violence qui y règne, des meurtriers, des voleurs et des violeurs se rassemblent dans une petite pièce. Les yeux fermés, ils sont seuls avec leur conscience et leurs pensées. Et puisqu’une fois n’est pas coutume, c’est aussi sur le continent américain que David Lynch contribue grâce à sa fondation à développer la méditation transcendantale en prison.

De l’autre côté de l’Océan, malgré sa réputation, le pénitencier William E. Donaldson – qui porte le nom d’un gardien tué en service, près de Birmingham, sert lui aussi de modèle pour un programme de méditation qui aide les détenus à acquérir le contrôle de soi et les aptitudes sociales qu’ils n’ont jamais su développer en société. Le directeur de l’établissement, Gary Hetzel, admet ne pas totalement saisir comment fonctionne le programme Vipassana, qui peut transformer des détenus violents en hommes calmes à l’aide de techniques contemplatives. Mais M. Hetzel sait une chose. « Ça marche. Nous voyons une nette différence dans les hommes et dans la prison. »

Levons un doute la pratique de ce type de méditation est simple : elle consiste en une attention constante et sans jugement aux sensations. Haine, désamour, vengeance sont compris au delà de leur côté abstrait. Comme le dit un prisonnier « Pourquoi la méditation ? Parce que ce qui est arrivé, est ce que j’ai fait à moi-même. L’observer, l’accepter et le transformer sans l’aide de concepts religieux… C’est ce dont j’ai le plus besoin ! »

En France, dix ans plus tard, si l’on se souvient encore du témoignage choc de Véronique Levasseur, Médecin chef à la prison de la santé, les témoignages dépeignent un milieu carcéral un peu plus au bord de l’asphyxie. La surpopulation est toujours galopante -120% – et le triste record de 63 % de récidives au bout de cinq ans plafonne. Sans oublier la propension des prisons à induire des profils psychiatriques – plus de 25% ! Selon les chiffres du ministère de la justice les agressions seraient en baisse, mais ce n’est pas le sentiment des acteurs de terrain. Selon Helene Erlingsen-Creste citoyenne assesseur de la prison d’Agen « ce que les détenus faisaient avant semble se poursuivre derrière les barreaux. Les drogués continuent de se droguer, les voleurs continuent à racketter les autres. Et les violents continuent à taper ». La question de l’humanisation reste donc cruellement d’actualité. De la Réunion à la métropole de courageuses initiatives sont prises de façon isolée. Ainsi à l’occasion de la journée de la non violence, Jaques Vigne est intervenu à La Réunion pour le centre pénitentiaire du Port en proposant pour des détenus volontaires un atelier basé sur la maîtrise de soi avec des techniques de relaxation qui permettent de contrôler les impulsions. Sur le continent, le centre Art de vivre intervient lui, dans deux centres pénitenciers très différents : l’un accueille des jeunes gens de 18 à 25 ans en attente de jugement et l’autre des détenus purgeant de lourdes peines. A chaque fois l’approche est identique, ce sont des séances de deux heures, en groupe de 7 à 10 individus, qui commencent par des exercices de yoga. Certains détenus n’ont pas d’autre choix que d’y aller, mais au fil de la pratique les effets sont bien réels. Soumis à des objectifs par l’administration, 60 % des détenus participant à ces sessions affirment que la méditation leur apporte un plus, certains la comparent même à « un bon pétard » ! Enfin, à la maison d’arrêt d’Arras depuis seize ans, après avoir suivi des ateliers de sophrologie les détenus proches de leur sortie peuvent oublier, trois jours durant, leur quotidien carcéral. Encadrés par quatre surveillants et intervenants de l’administration pénitentiaire, ces prisonniers quittent leur cellule exiguë pour gagner les grands espaces, ceux de la Côte d’Opale avant de retrouver leur liberté.

Face à l’extrémisme

De son côté, la notion de méditation a progressé et certaines formes comme la pleine conscience ont montré leur efficacité dans un cadre laïque, en particulier hospitalier, à travers de nombreuses études scientifiques. « Un manque de vision à long terme de l’administration pénitentiaire et de sa conception simpliste de la laïcité revient à dire qu’on ne peut pas proposer la méditation aux détenus en général, car cela ne correspond pas à leur religion d’origine. Mais pourquoi diable devraient-ils être piégés par leur religion d’origine comme par une maladie génétique ? La laïcité ne consiste-t-elle pas justement pas à offrir la liberté de choix à ce propos ? Sinon, quelle est la différence entre une administration apparemment laïque et les prêtres des différentes croyances qui évidemment, veulent garder leurs ouailles et les enfermer dans leur religion de naissance ? Heureusement, certains directeurs de prison ou du SPIP (le service pénitentiaire qui vise à la réintégration des prisonniers dans la société après leur sortie) sont ouverts maintenant à cet aspect, mais dans l’ensemble, le mouvement reste timide » confie Felix Savarel, auteur du livre Psychologie de l’islamisme. « Cet état de fait peut changer. Les prisonniers à l’évidence n’ont pas la possibilité de sortir pour exercer leur choix religieux ou de spiritualité laïque, c’est donc le rôle d’une laïcité bien comprise de leur offrir une liberté de choix équivalente à l’intérieur de la prison. Cela sera la meilleure prévention de la dérive intégriste, et c’est le rôle d’une laïcité qui ne se contente pas d’être passive ou curative après-coup, mais qui devient active et préventive. »

Là où les seules expériences pour amener un peu plus de conscience dans le cœur des prisonniers étaient autrefois celles des aumôneries ; à pas de velours la méditation fait son entrée dans les prisons… Et bien qu’isolées, ces initiatives nous montrent qu’en France comme ailleurs, avec un peu plus d’amour que d’ordinaire, jusque derrière les barreaux une révolution est possible.

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L’article original est accessible ici