par Olivier Doubre (Politis)
A Berlin, une académie de journalisme place son enseignement dans une démarche anti-capitaliste, pour essayer de déverrouiller un milieu tenu par la doxa néolibérale.
– Berlin, reportage
Un atelier pour apprendre à utiliser les réseaux sociaux. Un autre pour rédiger un reportage. Ou bien écrire sur le Web. Une réflexion sur l’analyse critique des mouvements sociaux. Ou une table ronde de journaux européens engagés à gauche, s’interrogeant sur leurs liens et leur indépendance avec les partis politiques.
Ce sont là quelques-uns des thèmes des deux-cents workshops [ateliers] et débats qui ont réuni plus de deux mille participants, en mars, dans les locaux d’un lycée de l’ex-Berlin-Est, lors de la 9e Linke Medienakademie (LiMA, Académie des médias de gauche).
Faire éclore des médias de gauche
L’idée est née en 2006 parmi des journalistes, dont beaucoup originaires de RDA [Allemagne de l’est, avant la réunification de 1989], certains travaillant pour le quotidien Neues Deutschland, longtemps le quotidien du SED, le parti unique.
Il est devenu depuis la chute du Mur un journal proche des communistes, engagé contre l’idéologie néolibérale et la spéculation immobilière venue de l’Ouest qui ronge la capitale allemande. Face à la force de frappe financière et idéologique de la grande presse, notamment ouest-allemande, il s’agit de donner une formation à des jeunes journalistes ou à des militants écrivant dans des revues. Pour se professionnaliser, sans pour autant renier leur engagement.
Aussi parce que les écoles de journalisme en Allemagne sont généralement privées, très onéreuses, et pétries d’idéologie néolibérale. « La tradition des formations et de la recherche en matière de médias est toujours bourgeoise, souligne Jörg Staude, journaliste et directeur de LiMA.
Depuis les années 1930, il n’y a pas en Allemagne de grands médias de gauche touchant un large public. Notre initiative veut donner à la fois une formation professionnelle à des journalistes engagés à gauche, mais tenter aussi de créer nos propres réseaux, en espérant à terme que naissent de nouveaux médias. »
La LiMA affiche en effet la couleur : elle est « antiraciste, humaniste et anticapitaliste ». Et la formation qu’elle dispense est tout ce qu’il y a de plus sérieux, par des professionnels aguerris ou des enseignants en journalisme. Elle est payante, mais très peu chère afin de toucher un large public, également issu des classes populaires.
Structure associative indépendante, la LiMA autofinance 35 % de ses activités, le reste provenant d’une large subvention de la Fondation Rosa-Luxemburg, influent club de réflexion créé en 1990 pour un « socialisme démocratique », selon sa propre définition.
En outre, le groupe parlementaire de Die Linke, le parti d’Oskar Lafontaine (sorti du SPD [Parti social-démocrate, équivalent du PS français] pour créer un parti plus à gauche avec les anciens communistes de l’Est), lui verse une petite subvention, tout comme le syndicat de la fonction publique, très à gauche aussi, Ver.di.
Autour des ateliers pratiques se tiennent des tables rondes, riches de débats, sur le mouvement social et la façon de « couvrir » ses événements. Enfin, la LiMA se décline en formations régionales plus courtes, sur un ou deux jours, tout au long de l’année dans chaque Land du pays.
En attendant la prochaine édition nationale annuelle, qui aura lieu à Berlin du 16 au 21 mars 2015. Une initiative qu’il serait sans aucun doute intéressant de développer en France aussi.
Source de l’article : Reporterre par Politis, paru dans son n° 1296.