Tous les États ne composent pas le Soudan du Sud, toute sa population ne souffre pas de la guerre. Mais la rivalité entre les deux grands hommes, représentant deux grandes tribus, et historiquement présents dans la lutte pour l’indépendance de la République Islamique du Soudan, est la raison pour laquelle le pays a été paralysé et plongé dans cette catastrophe.
Par la Rédaction de lolamora.net
Dans une interview accordée sur l’émission HardTalk de BBC World le 19 mai 2014, le Président de la République, Salva Kiir Mayardit, un Dinka, a nié toute responsabilité directe dans les violences de Juba lors du mois de décembre 2013. Il pointe même du doigt son opposant Riek Machar, ancien vice-premier ministre et Nuer. Salva Kiir a admis dans l’interview qu’il y aurait une famine si la guerre ne s’arrêtait pas et qu’il ne quittera pas le pouvoir avant que de nouvelles élections aient lieu. Les Nuer et les Dinka, les deux tribus les plus puissantes et les plus importantes en terme de population, sont entrés en décembre 2013 dans une spirale d’attaques et de contre-attaques où l’on venge des meurtres en perpétrant des actes tout aussi violents.
L’Union Africaine, la Commission Interne des Droits de l’Homme, Amnesty International et les Nations-Unies ont mené des enquêtes pour déterminer les responsabilités des violations des droits de l’homme et des crimes de guerre commis.
Crisis visible
Les chiffres, froids et abstraits, donnent à peine une idée de la tragédie que vit le plus jeune pays d’Afrique. Le fait est que depuis février 2014, au plus fort du conflit, la situation n’a fait qu’empirer. 3,5 millions de personnes dépendent de l’aide extérieure et un million de personnes ne vivent plus dans leur maison mais dehors, dans des camps installés pour un refuge temporaire ou dans les pays voisins.
Même si des milliers de vaccins ont été administrés entre février et avril, on n’a pas réussi à endiguer le choléra qui a déjà fait des victimes dans la capitale ; certaines écoles ont fermé. A l’extérieur de Juba, pour la survie des familles et des communautés, il est essentiel de disposer de semences et de pouvoir maintenir le bétail en vie. Alors que les hostilités cessent temporairement, le Programme Alimentaire Mondial (FAO) des Nations-Unies distribue des colis de produits de base. Selon le Bureau des Affaires Humanitaires des Nations-Unies (OCHA), à fin décembre 2014, un Sud-Soudanais sur deux aura été directement touché par la guerre.
Une conférence des pays donateurs s’est tenue en Norvège le 20 décembre dans le but de mettre fin à l’apathie et à la négligence. Ils ont promis 600 millions de dollars ; plus d’un milliard de dollars aurait été nécessaire, selon l’ONU.
Rhétorique sur lettre morte
Le 23 janvier 2014, l’accord de cessation des hostilités signé à Addis-Abeba promettait la fin du conflit au bout d’un mois. Il est finalement resté lettre morte : les deux parties l’ont ignoré. De fait, les semaines les plus sanglantes ont commencé après. Au moins trois grandes villes du Sud-Soudan ne sont plus que cendres et décombres : Bentiu, Malakal et Bor. Entre février et avril, les Nuer et les Dinka ont pillé, incendié, volé et tué. Des enfants ont été recrutés pour combattre, des fillettes et femmes ont été violées et des jeunes filles ont été enlevées comme cela se fait depuis des siècles entre les différents clans et tribus du pays.
Les accords progressifs conclus à la table des négociations à partir de janvier 2014 dans la capitale éthiopienne et parrainée par l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD en anglais), ont démontré qu’il n’y avait pas de solution militaire à cette crise et qu’une paix durable ne pouvait être obtenue que par le dialogue. Le fossé entre la rhétorique et l’action est énorme.
Les deux dirigeants ont maintenu une maigre trêve d’un mois, qui a été dépassée et qu’ils ont signée sans même se dire un mot. Cette cessation des hostilités ont permis l’acheminement de nourriture, de semences et d’autres produits essentiels.
L’affrontement Dinka-Nuer ne fut pas le seul : entre 2012 et 2013, dans le comté de Greater Pibor, dans l’État de Jonglei, les Murle, un autre groupe ethnique du pays, se sont rebellés contre le gouvernement central de Salva Kiir pour réclamer des services de base, des droits politiques et une plus grande autonomie administrative. Les affrontements ont fait beaucoup de morts et la population civile a subi une extrême violence. Ce conflit a été résolu avec la signature d’un accord de paix en 2014. Depuis 2011, date de la création du nouvel état africain, d’autres conflits intercommunautaires ont eu lieu, à plus ou moins grande échelle, mais presque toujours violents, entraînant des morts, des destructions et des blessures ouvertes qui seront un jour vengés.
Dans un article récent, l’anthropologue canadienne Carol Berger détaillait le contexte de la violence au Soudan du Sud. Selon elle, quiconque tente de répondre à la question de savoir s’il y a une responsabilité individuelle pour les crimes commis dans le pays doit savoir que « la responsabilité de la mort d’autrui est de nature communautaire (collective) et constitue une norme dans tout le pays ». Carol Berger, qui a vécu pendant des années dans la ville sud-soudanaise de Rumbek, explique qu’un acte commis par un individu est en fait considéré comme un acte commis par tous ceux qui sont en relation avec cet individu.
Selon M. Berger, dire que la guerre qui a éclaté en décembre 2014 en raison d’une lutte de pouvoir entre le président Salva Kiir et l’ancien vice-président Riek Machar revient à mal comprendre la nature du système politique militaire des deux groupes culturels dominants, les Dinka et les Nuer.
Les deux groupes reprendront les négociations politiques en juin 2014 à Addis-Abeba, en présence de la société civile, des églises et des alliés régionaux. L’un des principaux points d’accord sera l’installation d’un « gouvernement d’unité nationale de transition » menant à la tenue d’élections. Ni Machar ni Kiir ne semblent disposés à céder le pouvoir ; un gouvernement de transition sans eux est souhaitable mais impossible. La paix et la sécurité du pays seront à nouveau discutées autour d’une table diplomatique, mais ce sont Kiir et Machar – Dinka et Nuer – qui auront le dernier mot, car ce sont eux qui ont mis le reste du pays dans le précipice.
Traduction de l’espagnol, Frédérique Drouet