Par Pierre Charasse

La crise ukrainienne accélère la recomposition du monde

La crise ukrainienne n’a pas changé radicalement la donne internationale, mais elle a précipité des évolutions en cours. La propagande occidentale, qui n’a jamais été aussi forte, cache surtout la réalité du déclin occidental aux populations de l’Otan, mais n’a plus d’effet sur la réalité politique. Inexorablement, la Russie et la Chine, assistés des autres BRICS, occupent la place qui leur revient dans les relations internationales.

La crise ukrainienne a mis en évidence la magnitude de la manipulation des opinions publiques occidentales par les grands media, les chaines de TV comme CNN, Foxnews, Euronews et tant d’autres ainsi que par l’ensemble de la presse écrite alimentée par les agences de presse occidentales. La manière dont le public occidental est désinformé est impressionnante, et pourtant il est facile d’avoir accès à une masse d’informations de tous bords. Il est très préoccupant de voir comment de très nombreux citoyens du monde se laissent entraîner dans une russophobie jamais vue même aux pires moments de la Guerre froide. L’image que nous donne le puissant appareil médiatique occidental et qui pénètre dans l’inconscient collectif, est que les Russes sont des « barbares attardés » face au monde occidental « civilisé ». Le discours très important que Vladimir Poutine a prononcé le 18 mars au lendemain du référendum en Crimée a été littéralement boycotté par les médias occidentaux [voir plus bas], alors qu’ils consacrent une large place aux réactions occidentales, toutes négatives naturellement. Pourtant, dans son intervention Poutine a expliqué que la crise en Ukraine n’avait pas été déclenchée par la Russie et présenté avec beaucoup de rationalité la position russe et les intérêts stratégiques légitimes de son pays dans l’ère post-conflit idéologique.

Humiliée par le traitement que lui a réservé l’Occident depuis 1989, la Russie s’est réveillée avec Poutine et a commencé à renouer avec une politique de grande puissance en cherchant à reconstruire les lignes de force historiques traditionnelles de la Russie tsariste puis de l’Union soviétique. La géographie commande souvent la stratégie. Après avoir perdu une grande partie de ses « territoires historiques », selon la formule de Poutine, et de sa population russe et non russe, la Russie s’est donné comme grand projet national et patriotique la récupération de son statut de superpuissance, d’acteur « global », en assurant en premier lieu la sécurité de ses frontières terrestres et maritimes. C’est précisément ce que veut lui interdire l’Occident dans sa vision unipolaire du monde. Mais en bon joueur d’échecs, Poutine a plusieurs coups d’avance grâce à une connaissance profonde de l’histoire, de la réalité du monde, des aspirations d’une grande partie des populations des territoires antérieurement contrôlés par l’Union soviétique. Il connaît à la perfection l’Union européenne, ses divisions et ses faiblesses, la capacité militaire réelle de l’Otan et l’état des opinions publiques occidentales peu enclines à voir augmenter les budgets militaires en période de récession économique. À la différence de la Commission européenne dont le projet coïncide avec celui des États-Unis pour consolider un bloc politico-economico-militaire euro-atlantique, les citoyens européens dans leur majorité ne veulent plus d’élargissement à l’Est de l’UE, ni avec l’Ukraine, ni avec la Géorgie, ni avec aucun autre pays de l’ex-Union soviétique.

Avec ses gesticulations et ses menaces de sanctions, l’UE, servilement alignée sur Washington, montre en fait qu’elle est impuissante pour « punir » sérieusement la Russie. Son poids réel n’est pas à la hauteur de ses ambitions toujours proclamées de façonner le monde à son image. Le gouvernement russe, très réactif et malicieux, applique des « ripostes graduelles », tournant en dérision les mesures punitives occidentales. Poutine, hautain, se paye même le luxe d’annoncer qu’il va ouvrir un compte à la Rossyia Bank de New-York pour y déposer son salaire ! Il n’a pas encore fait mention de limitation dans la fourniture de gaz à l’Ukraine et l’Europe de l’Ouest, mais tout le monde sait qu’il a cette carte dans la manche, ce qui contraint déjà les Européens à penser à une réorganisation complète de leur approvisionnement en énergie, ce qui mettra des années à se concrétiser.

Les erreurs et les divisions des occidentaux mettent la Russie en position de force. Poutine jouit d’une popularité exceptionnelle dans son pays et auprès des communautés russes des pays voisins, et on peut être sûr que ses services de renseignement ont pénétré en profondeur les pays auparavant contrôlés par l’URSS et lui donnent des informations de première main sur les rapports de force internes. Son appareil diplomatique lui donne de solides arguments pour retirer à l’« Occident » le monopole de l’interprétation du droit international, en particulier sur l’épineuse question de l’autodétermination des peuples. Comme on pouvait s’y attendre, Poutine ne se prive pas de citer le précédent du Kosovo pour vilipender le double langage de l’Occident, ses incohérences, et le rôle déstabilisateur qu’il a joué dans les Balkans.

Alors que la propagande médiatique occidentale battait son plein après le référendum du 16 mars en Crimée, les vociférations occidentales ont subitement baissé d’un ton et le G7 lors de son sommet à la Haye en marge de la conférence sur la sécurité nucléaire n’a plus menacé d’exclure la Russie du G8 comme il l’avait claironné quelques jours plus tôt mais simplement a annoncé « qu’il ne participerait pas au sommet de Sotchi ». Ceci lui laisse la possibilité de réactiver à tout moment ce forum privilégié de dialogue avec la Russie, crée en 1994 à sa demande expresse. Première reculade du G7. Obama de son côté s’est empressé d’annoncer qu’il n’y aurait aucune intervention militaire de l’Otan pour aider l’Ukraine, mais seulement une promesse de coopération pour reconstruire le potentiel militaire de l’Ukraine, composé en grande partie de matériel soviétique obsolète. Seconde reculade. Il faudra des années pour mettre sur pieds une armée ukrainienne digne de ce nom et on se demande bien qui va payer compte tenu de la situation catastrophique des finances du pays. De plus, on ne sait plus exactement quel est l’état des forces armées ukrainiennes après que Moscou ait invité, avec un certain succès semble-t-il, les militaires ukrainiens héritiers de l’Armée rouge, à rejoindre l’armée russe en respectant leurs grades. La flotte ukrainienne est déjà entièrement passée sous contrôle russe. Enfin, autre marche arrière spectaculaire des États-Unis : il y aurait des conversations secrètes très avancées entre Moscou et Washington pour faire adopter une nouvelle constitution à l’Ukraine, installer à Kiev à l’occasion des élections du 25 mai un gouvernement de coalition dont les extrémistes néo-nazi seraient exclus, et surtout pour imposer un statut de neutralité à l’Ukraine, sa « finlandisation » (recommandée par Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinsky), ce qui interdirait son entrée dans l’Otan, mais permettrait des accords économiques tant avec l’UE qu’avec l’Union douanière eurasiatique (Russie, Biélorussie, Kazakhstan). Si un tel accord est conclu, l’UE sera mise devant le fait accompli et devra se résigner à payer la facture du tête-à-tête russo-US. Avec de telles garanties Moscou pourra considérer comme satisfaites ses exigences de sécurité, aura repris pied dans son ancienne zone d’influence avec l’accord de Washington et pourra s’abstenir de fomenter le séparatisme d’autres provinces ukrainiennes ou de la Transnistrie (province de Moldavie peuplée de russes) en réaffirmant très fort son respect des frontières européennes. Le Kremlin offrira par la même occasion une porte de sortie honorable à Obama. Un coup de maître pour Poutine.

Conséquences géopolitiques de la crise ukrainienne

Le G7 n’a pas calculé qu’en prenant des mesures pour isoler la Russie, outre le fait qu’il s’appliquait à lui-même une « punition sado-masochiste » selon la formule d’Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères français, il précipitait malgré lui un processus déjà bien engagé de profonde recomposition du monde au bénéfice d’un groupe non occidental dirigé par la Chine et la Russie réunies au sein des BRICS. En réaction au communiqué du G7 du 24 mars, les ministres des Affaires étrangères des BRICS ont fait connaître immédiatement leur rejet de toute mesures visant à isoler la Russie et ils en ont profité pour dénoncer les pratiques d’espionnage états-unien tournées contre leurs dirigeants et pour faire bonne mesure ils ont exigé des États-Unis qu’ils ratifient la nouvelle répartition des droits de vote au FMI et à la Banque Mondiale, comme premier pas vers un « ordre mondial plus équitable ». Le G7 ne s’attendait pas à une réplique aussi virulente et rapide des BRICS. Cet épisode peut donner à penser que le G20, dont le G7 et les BRICS sont les deux principaux piliers, pourrait traverser une crise sérieuse avant son prochain sommet à Brisbane (Australie) les 15 et 16 novembre, surtout si le G7 persiste à vouloir marginaliser et sanctionner la Russie. Il est à peu près sûr qu’il y aura une majorité au sein du G20 pour condamner les sanctions à la Russie, ce qui de fait reviendra à isoler le G7. Dans leur communiqué les ministres des BRICS ont estimé que décider qui est membre du groupe et quelle est sa vocation revient à placer tous ses membres « sur un pied d’égalité » et qu’aucun de ses membres « ne peut unilatéralement déterminer sa nature et son caractère ». Les ministres appellent à résoudre la crise actuelle dans le cadre des Nations unies « avec calme, hauteur de vue, en renonçant à un langage hostile, aux sanctions et contre-sanctions ». Un camouflet pour le G7 et l’UE ! Le G7, qui s’est mis tout seul dans une impasse, est prévenu qu’il devra faire d’importantes concessions s’il veut continuer à exercer une certaine influence au sein du G20.

En outre, deux événements importants s’annoncent dans les prochaines semaines.

D’une part Vladimir Poutine se rendra en visite officielle en Chine en mai. Les deux géants sont sur le point de signer un accord énergétique d’envergure qui affectera sensiblement le marché mondial de l’énergie, tant sur le plan stratégique que financier. Les transactions ne se feraient plus en dollars, mais dans les monnaies nationales des deux pays. En se tournant vers la Chine, la Russie n’aura aucun problème pour écouler sa production gazière au cas où l’Europe de l’Ouest déciderait de changer de fournisseur. Et dans le même mouvement de rapprochement la Chine et la Russie pourraient signer un accord de partenariat industriel pour la fabrication du chasseur Sukhoï 25, fait hautement symbolique.

D’autre part lors du sommet des BRICS au Brésil en juillet prochain, la Banque de Développement de ce groupe, dont la création a été annoncée en 2012, pourrait prendre forme et offrir une alternative aux financements du FMI et de la Banque Mondiale, toujours réticents à modifier leurs règles de fonctionnement, pour donner plus de poids aux pays émergents et à leurs monnaies à côté du dollar.

Enfin il y a un aspect important de la relation entre la Russie et l’Otan peu commenté dans les média mais très révélateur de la situation de dépendance dans laquelle se trouve l’« Occident » au moment où il procède au retrait de ses troupes d’Afghanistan. Depuis 2002, la Russie a accepté de coopérer avec les pays occidentaux pour faciliter la logistique des troupes sur le théâtre afghan. À la demande de l’Otan, Moscou a autorisé le transit de matériel non létal destiné à l’ISAF (International Security Assistance Force) par voir aérienne ou terrestre, entre Douchambé (Tadjikistan), l’Ouzbekistan et l’Estonie, via une plateforme multimodale à Oulianovk en Sibérie. Il s’agit rien de moins que d’acheminer toute l’intendance pour des milliers d’hommes opérant en Afghanistan, entre autre des tonnes de bière, de vin, de camemberts, de hamburgers, de laitues fraîches, le tout transporté par des avions civils russes, puisque les forces occidentales ne disposent pas de moyens aériens suffisants pour soutenir un déploiement militaire de cette envergure. L’accord Russie-Otan d’octobre 2012 élargit cette coopération à l’installation d’une base aérienne russe en Afghanistan dotée de 40 hélicoptères où les personnels afghans sont formés à la lutte anti-drogue à laquelle les occidentaux ont renoncé. La Russie s’est toujours refusé à autoriser le transit sur son territoire de matériel lourd, ce qui pose un sérieux problème à l’Otan à l’heure du retrait de ses troupes. En effet celles-ci ne peuvent emprunter la voie terrestre Kaboul-Karachi en raison des attaques dont les convois sont l’objet de la part des talibans. La voie du Nord (la Russie) étant impossible, les matériels lourds sont transportés par avion de Kaboul aux Émirats Arabes Unis, puis embarqués vers les ports européens, ce qui multiplie par quatre le coût du repli. Pour le gouvernement russe l’intervention de l’Otan en Afghanistan a été un échec, mais son retrait « précipité » avant la fin de 2014 va accroître le chaos et affecter la sécurité de la Russie et risque de provoquer un regain de terrorisme.

La Russie a aussi d’importants accords avec l’Occident dans le domaine de l’armement. Le plus important est sans doute celui signé avec la France pour la fabrication dans les arsenaux français de deux porte-hélicoptères pour un montant de 1,3 milliards d’euros [5]. Si le contrat est annulé dans le cadre des sanctions, la France devra rembourser les montants déjà payés plus les pénalités contractuelles et devra supprimer plusieurs milliers d’emplois. Le plus grave sera sans doute la perte de confiance du marché de l’armement dans l’industrie française comme l’a souligné le ministre russe de la Défense.

Il ne faut pas oublier non plus que sans l’intervention de la Russie, les pays occidentaux n’auraient jamais pu aboutir à un accord avec l’Iran sur la non prolifération nucléaire, ni avec la Syrie sur le désarmement chimique. Ce sont des faits que les médias occidentaux passent sous silence. La réalité est qu’en raison de son arrogance, de sa méconnaissance de l’histoire, de ses maladresses, le bloc occidental précipite la déconstruction systémique de l’ordre mondial unipolaire et offre sur un plateau à la Russie et à la Chine, appuyée par l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et bien d’autres pays, une « fenêtre d’opportunité » unique pour renforcer l’unité d’un bloc alternatif. L’évolution était en marche, mais lentement et graduellement (personne ne veut donner un coup de pied dans la fourmilière et déstabiliser brusquement le système mondial), mais d’un seul coup tout s’accélère et l’interdépendance change les règles du jeu.

En ce qui concerne le G20 de Brisbane il sera intéressant de voir comment se positionne le Mexique, après les sommets du G7 à Bruxelles en juin et des BRICS au Brésil en juillet. La situation est très fluide et va évoluer rapidement, ce qui va demander une grande souplesse diplomatique. Si le G7 persiste dans son intention de marginaliser ou exclure la Russie, le G20 pourrait se désintégrer. Le Mexique, pris dans les filets du TLCAN et du futur TPP devra choisir entre sombrer avec le Titanic occidental ou adopter une ligne autonome plus conforme à ses intérêts de puissance régionale à vocation mondiale en se rapprochant des BRICS.

Pierre Charasse * pour La Jornada.

La Jornada. Mexique, 29 avril 2014.

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Discours du président Poutine aux parlementaires russes à l’occasion de l’adhésion de la Crimée à la Fédération de RussieMembres du Conseil de la Fédération, députés de la Douma, je vous souhaite le bonjour. Les représentants de la République de Crimée et de la municipalité de Sébastopol sont ici parmi nous. Citoyens de Russie, habitants de Crimée et de Sébastopol ! (Standing ovation)Chers amis,Nous sommes réunis ici aujourd’hui au sujet d’une question qui est d’une importance vitale, d’une portée historique pour nous tous. Un référendum a été organisé en Crimée le 16 mars, dans le plein respect des procédures et des normes démocratiques internationales en vigueur. 
Plus de 82% de l’électorat a pris part au vote. Plus de 96% d’entre eux se sont prononcés en faveur de la réunification avec la Russie. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. (Applaudissements) 
 Pour comprendre la raison d’un tel choix, il suffit de connaître l’histoire de la Crimée et ce que la Russie et la Crimée ont toujours signifié l’une pour l’autre. 
Tout en Crimée évoque notre histoire et notre fierté communes. C’est l’emplacement de l’ancienne Chersonèse Taurique, où le Grand-prince Vladimir Ier a été baptisé. Son exploit spirituel, à savoir l’adoption du christianisme orthodoxe, a prédéterminé la base globale de la culture, de la civilisation et des valeurs humaines qui unissent les peuples de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie. Les tombes des soldats russes dont la bravoure a permis l’intégration de la Crimée à l’Empire russe se trouvent également en Crimée. C’est aussi Sébastopol – une ville légendaire ayant une histoire exceptionnelle, une forteresse qui constitue le lieu de naissance de la Flotte russe de la mer Noire. (Applaudissements). La Crimée est Balaklava et Kertch, Malakhov Kurgan et le mont Sapoun. Chacun de ces lieux est cher à nos cœurs, symbolisant la gloire de l’armée russe et sa bravoure exceptionnelle.La Crimée est un mélange unique de cultures et de traditions de différents peuples. Elle est en cela similaire à la Russie dans son ensemble, où pas un seul groupe ethnique n’a été perdu au cours des siècles. Russes et Ukrainiens, Tatars de Crimée et personnes d’autres groupes ethniques ont vécu côte à côte en Crimée, en conservant leurs propres identités, leurs traditions, leurs langues et leurs confessions.
Il faut noter que la population totale de la péninsule de Crimée est aujourd’hui de 2,2 millions de personnes, dont près de 1,5 million sont Russes, 350 000 sont des Ukrainiens qui considèrent majoritairement le russe comme leur langue maternelle, et environ 290 000 – 300 000 sont des Tatars de Crimée, qui, comme le référendum l’a montré, sont eux aussi favorables à un rapprochement avec la Russie.Certes, il fut un temps où les Tatars de Crimée étaient traités injustement, tout comme un certain nombre d’autres peuples de l’URSS. Il n’y a qu’une seule chose que je puis dire ici : des millions de personnes de différentes ethnies ont souffert durant ces répressions, et principalement des Russes.

Les Tatars de Crimée retournèrent dans leur patrie. J’estime qu’il est de notre devoir de prendre toutes les décisions politiques et législatives nécessaires afin de finaliser la réhabilitation des Tatars de Crimée, de les restaurer dans leurs droits et de rétablir pleinement leur renom. (Applaudissements)

Nous avons énormément de respect pour les membres de tous les groupes ethniques vivant en Crimée. C’est leur foyer commun, leur patrie, et il serait juste – je sais que la population locale y est favorable – que la Crimée ait trois langues nationales sur un même pied d’égalité : le russe, l’ukrainien et le tatar. (Applaudissements)

Chers collègues,

Dans les cœurs et les esprits des gens, la Crimée a toujours été une partie inséparable de la Russie. Cette conviction profonde est fondée sur la vérité et la justice et a été transmise de génération en génération, au fil du temps, en toutes circonstances, malgré tous les changements dramatiques que notre pays a connus tout au long du XXème siècle.

Après la révolution, les bolcheviks, pour diverses raisons – que Dieu les juge – ont ajouté de grandes sections du Sud historique de la Russie à la République d’Ukraine. Cela a été fait sans tenir compte de la composition ethnique de la population, et aujourd’hui, ces zones forment le Sud-Est de l’Ukraine. Puis, en 1954, il a été décidé que la région de Crimée serait transférée à l’Ukraine, ainsi que Sébastopol, en dépit du fait qu’il s’agissait d’une ville fédérale. Ce fut là l’initiative personnelle du chef du Parti communiste Nikita Khrouchtchev. Déterminer ce qui a motivé sa décision – un désir de gagner le soutien de l’establishment politique ukrainien ou d’expier les répressions de masse des années 1930 en Ukraine – est la tâche des historiens.

Ce qui importe maintenant, c’est que cette décision avait été prise en violation flagrante des normes constitutionnelles qui étaient en vigueur à l’époque même. La décision avait été prise dans les coulisses. Naturellement, puisque cela se passait dans un Etat totalitaire, personne n’avait pris la peine de demander l’avis des citoyens de Crimée et de Sébastopol. Ils ont été mis devant le fait accompli. Les gens, bien sûr, se sont demandé pourquoi tout d’un coup la Crimée devenait une partie de l’Ukraine. Mais dans l’ensemble – et nous devons le dire clairement, car nous le savons tous – cette décision a été considérée comme une simple formalité parce que le territoire de Crimée était transféré à l’intérieur des limites d’un seul et même État [l’URSS]. À l’époque, il était impossible d’imaginer que l’Ukraine et la Russie pouvaient se séparer et devenir deux États distincts. Cependant, c’est ce qui s’est produit.

Malheureusement, ce qui semblait impossible est devenu une réalité. L’URSS s’est effondrée. Les choses ont évolué si rapidement que peu de gens ont réalisé à quel point ces événements et leurs conséquences allaient prendre des proportions véritablement dramatiques. Beaucoup de gens en Russie et en Ukraine, ainsi que dans d’autres républiques, espéraient que la Communauté des États indépendants qui a été créée à ce moment deviendrait la nouvelle forme commune de l’État. On leur a dit qu’il y aurait une monnaie unique, un espace économique unique, des forces armées conjointes ; mais tout cela n’a pas dépassé le stade des promesses vides, alors que le grand pays avait disparu. Ce n’est que lorsque la Crimée a fini en tant que partie d’un autre pays que la Russie s’est rendue compte qu’elle n’était pas simplement spoliée, mais bel et bien pillée.

Dans le même temps, nous devons reconnaître qu’en lançant le mouvement des souverainetés, la Russie elle-même a contribué à l’effondrement de l’Union soviétique. Et lorsque cet effondrement a été légalisé, tout le monde a oublié la Crimée et Sébastopol – la base principale de la Flotte de la Mer Noire. Des millions de personnes se sont couchées dans un pays et se sont réveillées dans d’autres, devenant du jour au lendemain des minorités ethniques dans les anciennes républiques de l’Union, tandis que la nation russe est devenue l’un des plus grands, sinon le plus grand groupe ethnique au monde à être divisé par des frontières.

Maintenant, des années plus tard, j’ai entendu des résidents de Crimée dire qu’en 1991, ils ont été abandonnés comme un sac de pommes de terre. Il est difficile d’être en désaccord avec cette affirmation. Qu’a fait l’État russe ? Qu’a fait la Russie ? Elle a accepté humblement la situation. Ce pays traversait alors des temps si difficiles qu’il était alors absolument incapable de protéger ses intérêts. Cependant, les gens ne pouvaient pas se résigner à cette injustice historique scandaleuse. Durant toutes ces années, des citoyens et de nombreuses personnalités sont revenus sur cette question, affirmant que la Crimée est une terre historiquement russe et que Sébastopol est une ville russe. Oui, nous le savions tous dans nos cœurs et dans nos esprits, mais nous devions agir selon la réalité existante et construire nos relations de bon voisinage avec l’Ukraine indépendante sur une nouvelle base. Durant toutes ces années, nos relations avec l’Ukraine, avec le peuple ukrainien frère ont toujours été et resteront de toute première importance pour nous. (Applaudissements) 
 Aujourd’hui, nous pouvons en parler ouvertement, et je voudrais partager avec vous quelques détails concernant les négociations qui ont eu lieu au début des années 2000. Le Président de l’Ukraine d’alors, M. Koutchma, m’a demandé d’accélérer le processus de délimitation de la frontière russo-ukrainienne. À ce moment, le processus était pratiquement à l’arrêt. La Russie semblait avoir reconnu la Crimée comme une partie de l’Ukraine, mais il n’y avait pas de négociations sur la délimitation des frontières. Malgré la complexité de la situation, j’ai immédiatement donné des instructions aux organismes gouvernementaux russes afin d’accélérer leur travail pour documenter les frontières, de sorte que tout le monde ait une compréhension claire du fait qu’en acceptant de délimiter la frontière, nous admettions de facto et de jure que la Crimée était un territoire ukrainien, mettant ainsi un terme à cette question.

Nous avons donné satisfaction à l’Ukraine non seulement en ce qui concerne la Crimée, mais aussi sur une question aussi complexe que les frontières maritimes dans la mer d’Azov et le détroit de Kertch. Les considérations qui motivaient alors nos actions étaient qu’avoir de bonnes relations avec l’Ukraine était primordial pour nous et que cela ne devait pas être compromis par une impasse dans des conflits territoriaux. Toutefois, nous nous attendions à ce que l’Ukraine reste notre bon voisin, et nous espérions que les citoyens russes et russophones d’Ukraine, en particulier le Sud-Est et la Crimée, vivraient dans un Etat ami, démocratique et civilisé qui protégerait leurs droits, conformément aux normes du droit international. 
 Cependant, ce n’est pas de cette manière que les choses ont évolué. Maintes et maintes fois, des tentatives ont été faites pour priver les Russes de leur mémoire historique et même de leur langue, et pour les soumettre à une assimilation forcée. En outre, les Russes, tout comme d’autres citoyens de l’Ukraine, souffrent de la crise politique et institutionnelle constante qui a secoué le pays depuis plus de 20 ans.

Je comprends pourquoi le peuple ukrainien voulait un changement. Il en a eu assez des autorités au pouvoir durant les années de l’indépendance de l’Ukraine. (Applaudissements)

Les Présidents, les Premiers ministres et les parlementaires changeaient, mais leur attitude à l’égard du pays et de ses habitants restait la même. Ils ont dépouillé le pays, se sont battus entre eux pour obtenir du pouvoir, des actifs et des liquidités et ne se sont guère souciés des gens du quotidien. Ils ne se sont pas demandé pourquoi des millions de citoyens ukrainiens ne voyaient aucune opportunité chez eux et partaient dans d’autres pays pour travailler comme journaliers. Je tiens à souligner cela : ils n’ont pas fui en direction d’une quelconque Silicon Valley, mais pour devenir journaliers. L’an dernier seulement, près de 3 millions de personnes ont trouvé de tels emplois en Russie. Selon diverses sources, en 2013, leurs revenus en Russie ont totalisé plus de 20 milliards de dollars, ce qui représente environ 12% du PIB de l’Ukraine. 
 Je tiens à répéter que je comprends ceux qui sont venus sur la place Maïdan avec des slogans pacifiques contre la corruption, la mauvaise gestion de l’Etat et la pauvreté. Le droit à la manifestation pacifique, à des procédures démocratiques et à des élections pacifiques existe dans le seul but de remplacer les autorités qui ne donnent pas satisfaction au peuple par d’autres. Cependant, ceux qui étaient derrière les derniers événements en Ukraine avaient un ordre du jour différent : ils préparaient un nouveau renversement du gouvernement ; ils voulaient s’emparer du pouvoir et ne reculaient devant rien. Ils ont eu recours à la terreur, à l’assassinat et aux pogroms. Des nationalistes, des néo-nazis, des russophobes et des antisémites ont exécuté ce coup d’Etat. Ils continuent à donner le ton en Ukraine jusqu’à ce jour. 
 Les nouvelles soi-disant autorités ont commencé par l’introduction d’un projet de loi de révision de la politique linguistique, qui était une violation directe des droits des minorités ethniques. Cependant, ils ont été immédiatement « rappelés à l’ordre » par les bailleurs de fonds étrangers de ces soi-disant politiciens. Il faut admettre que les mentors de ces autorités actuelles sont intelligents et savent bien à quoi ces tentatives de construire un Etat purement ukrainien peuvent conduire. Le projet de loi a été mis de côté, mais clairement gardé en réserve pour l’avenir. Aujourd’hui, pratiquement plus aucune mention n’est faite de cette tentative, probablement sur la présomption que les gens ont la mémoire courte. Néanmoins, nous pouvons tous clairement percevoir les intentions de ces héritiers idéologiques de Bandera, le complice d’Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale. 
 Il est également évident qu’il n’y a pas d’autorité exécutive légitime en Ukraine à présent, il n’y a personne à qui parler. De nombreux organismes gouvernementaux ont été saisis par les imposteurs, mais ils n’ont aucun contrôle sur le pays, alors qu’eux-mêmes – et je tiens à le souligner – sont souvent contrôlés par des radicaux. Dans certains cas, vous avez besoin d’un permis spécial des militants de la place Maïdan pour rencontrer certains ministres de l’actuel gouvernement. Ce n’est pas une plaisanterie : c’est la réalité. 
 Ceux qui se sont opposés au coup d’Etat ont été immédiatement menacés de répression. Bien entendu, la première ligne a été la Crimée, la Crimée russophone. Face à ces événements, les habitants de Crimée et de Sébastopol se sont tournés vers la Russie pour qu’elle les aide à défendre leurs droits et leurs vies et à empêcher la propagation des événements qui se déroulaient et sont toujours en cours à Kiev, Donetsk, Kharkov et dans d’autres villes ukrainiennes.

Naturellement, nous ne pouvions pas laisser cet appel sans réponse ; nous ne pouvions pas abandonner la Crimée et ses habitants en détresse. Cela aurait été une trahison de notre part. (Applaudissements)

Tout d’abord, nous avons dû les aider à créer des conditions telles que les habitants de la Crimée puissent, pour la première fois dans l’histoire, exprimer pacifiquement leur libre arbitre quant à leur propre avenir. Cependant, qu’est-ce que nous entendons de la part de nos collègues en Europe occidentale et en Amérique du Nord ? Ils disent que nous violons les normes du droit international. Tout d’abord, c’est une bonne chose qu’ils se souviennent enfin, au moins, qu’il existe une telle chose, à savoir le droit international – mieux vaut tard que jamais. (Applaudissements)

Deuxièmement, et plus important encore – qu’est-ce que nous violons exactement ? Certes, le président de la Fédération de Russie a reçu l’autorisation de la Chambre haute du Parlement d’utiliser les forces armées en Ukraine. Cependant, à proprement parler, personne n’a encore donné suite à cette autorisation. Les forces armées russes ne sont jamais entrées en Crimée ; elles étaient déjà là, conformément à un accord international. Certes, nous avons rehaussé nos forces en présence, mais – c’est quelque chose que je voudrais que tout le monde entende et sache – nous n’avons pas dépassé la limite en personnel pour nos forces armées en Crimée, qui est fixée à 25 000 hommes, parce qu’il n’y avait pas besoin de le faire. 
 Point suivant. Lorsqu’il a déclaré son indépendance et a décidé d’organiser un référendum, le Conseil suprême de Crimée s’est référé à la Charte des Nations Unies, qui parle du droit des nations à l’autodétermination. A ce propos, je tiens à vous rappeler que lorsque l’Ukraine a fait sécession de l’URSS, elle a fait exactement la même chose, presque mot pour mot. L’Ukraine a utilisé ce droit, mais les habitants de la Crimée se le voient dénié. Pourquoi donc ?

En outre, les autorités de Crimée se sont référées au précédent bien connu du Kosovo – un précédent que nos collègues occidentaux ont créé de leurs propres mains dans une situation très semblable, quand ils ont convenu que la séparation unilatérale du Kosovo d’avec la Serbie, exactement ce que la Crimée est en train de faire en ce moment, était légitime et n’avait pas besoin d’une quelconque autorisation des autorités centrales du pays. Conformément à l’article 2 du chapitre 1 de la Charte des Nations Unies, la Cour internationale de l’ONU a approuvé cette approche et a fait le commentaire suivant dans sa décision du 22 juillet 2010, et je cite : « Aucune interdiction générale ne peut être déduite de la pratique du Conseil de sécurité en ce qui concerne les déclarations d’indépendance ». Et encore : « Le droit international général ne contient aucune interdiction contre les déclarations d’indépendance. » Clair comme de l’eau de roche, comme ils disent.

Je n’aime pas à recourir à des citations, mais dans ce cas, je ne peux pas faire autrement. Voici une citation extraite d’un autre document officiel : l’exposé écrit des États-Unis d’Amérique du 17 avril 2009, soumis à la même Cour internationale des Nations Unies dans le cadre des audiences sur le Kosovo. Encore une fois, je cite : « Les déclarations d’indépendance peuvent – et c’est souvent le cas – violer la législation nationale. Toutefois, cela n’en fait pas des violations du droit international. » Fin de citation. Ils ont écrit cela, ils l’ont disséminé partout dans le monde, ils ont obtenu l’accord de tous, et maintenant, ils sont scandalisés. Qu’est-ce qui les outrage ainsi ? (Applaudissements)

En l’occurrence, les actions du peuple de Crimée sont tout à fait conformes à ces instruction. Pour une raison quelconque, des choses que les Albanais du Kosovo (et nous avons beaucoup de respect pour eux) ont été autorisés à faire, les Russes, les Ukrainiens et les Tatars de Crimée ne sont pas autorisés à le faire. Encore une fois, on se demande pourquoi. 
 Nous ne cessons d’entendre de la part des États-Unis et de l’Europe occidentale que le Kosovo est une sorte de cas particulier. Qu’est-ce qui le rend si spécial aux yeux de nos collègues ? Il s’avère que c’est le fait que le conflit au Kosovo ait donné lieu à tant de pertes en vies humaines. Est-ce là un argument juridique ? La décision de la Cour internationale ne dit rien à ce sujet. Ce n’est même pas un « deux poids deux mesures » ; c’est du cynisme brutal, primitif, colossal. Il ne faut pas essayer aussi crûment de tout adapter à ses intérêts particuliers, caractérisant une même chose comme « blanche » aujourd’hui et « noire » demain. Selon cette logique, nous devrions faire en sorte que tous les conflits conduisent à des pertes en vies humaines.

Je vais l’affirmer clairement : si les forces locales d’auto-défense de Crimée n’avaient pas pris la situation en main, il y aurait également pu y avoir des victimes. Heureusement, cela n’est pas arrivé. Il n’y a pas eu la moindre confrontation armée en Crimée et il n’y a eu aucune victime. (Applaudissements)

D’après vous, pourquoi les choses se sont-elles passées ainsi ? La réponse est simple : parce qu’il est très difficile, pratiquement impossible de lutter contre la volonté du peuple. Ici, je tiens à remercier l’armée ukrainienne – et il s’agit de 22 000 militaires portant les armes. Je tiens à remercier les membres des forces de sécurité ukrainiennes qui se sont abstenus de répandre le sang et qui n’en ont pas taché leurs uniformes. (Applaudissements)

D’autres réflexions viennent à l’esprit à cet égard. Ils n’arrêtent pas de parler de quelque intervention russe en Crimée, d’une sorte d’agression. Il est étrange d’entendre cela. Je ne connais pas un seul cas dans l’histoire où une telle intervention se soit produite sans un seul coup de feu et sans faire de victimes. 
 Chers collègues,

Comme un miroir, la situation en Ukraine reflète ce qui se passe et ce qui s’est passé dans le monde au cours des dernières décennies. Depuis la dissolution de la bipolarité sur la planète, nous n’avons plus de stabilité. Les principales institutions internationales ne sont pas renforcées ; au contraire, dans de nombreux cas, elles se dégradent gravement. Nos partenaires occidentaux, menés par les États-Unis d’Amérique, préfèrent ne pas être guidés par le droit international dans leurs politiques concrètes, mais par la force des armes. Ils en sont venus à croire en leur exclusivité et à leur exceptionnalisme, à croire qu’ils peuvent décider eux-mêmes ce que doivent être les destinées du monde, à croire qu’ils sont les seuls à être toujours dans leur bon droit. Ils agissent à leur guise : ici et là, ils utilisent la force contre des États souverains, créant des coalitions sur la base du principe « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous. » Afin de donner un semblant de légitimité à leurs agressions, ils forcent les organisations internationales à adopter les résolutions nécessaires, et si pour quelque raison cela ne fonctionne pas, ils ignorent tout simplement le Conseil de sécurité de l’ONU et même l’ONU dans son ensemble. 
 Cela s’est produit en Yougoslavie ; nous nous souvenons très bien de l’année 1999. Il était difficile de croire, même en le voyant de mes propres yeux, qu’à la fin du XXe siècle, l’une des capitales de l’Europe, Belgrade, puisse être soumise à une attaque de missiles pendant plusieurs semaines, avant que l’intervention réelle n’ait lieu. Y a-t-il eu une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur cette question, autorisant de telles actions ? Rien de tel. Puis ils ont frappé l’Afghanistan, l’Irak, et ils ont franchement violé la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Libye, quand, au lieu d’imposer la zone dite d’exclusion aérienne au-dessus de ce pays, ils ont également commencé à le bombarder. 
 Il y a eu toute une série de révolutions « colorées » contrôlées depuis l’extérieur. De toute évidence, les populations de ces pays, dans lesquels ces événements ont eu lieu, en avaient assez de la tyrannie et de la pauvreté, de leur manque de perspectives ; mais ces sentiments ont été cyniquement mis à profit. Des normes qui ne correspondaient en aucune façon aux modes de vie, aux traditions ou aux cultures de ces peuples leur ont été imposées. En conséquence, au lieu de la démocratie et de la liberté, il y eut le chaos, les flambées de violences et une série de bouleversements dramatiques. Le « Printemps arabe » s’est transformé en « Hiver arabe ». 
 Des événements similaires se sont déroulés en Ukraine. En 2004, pour faire passer leur candidat aux élections présidentielles, ils ont concocté une sorte de troisième tour qui n’était pas prévu par la loi. C’était un simulacre absurde, un détournement grossier de la Constitution. Et maintenant, ils ont propulsé au pouvoir une armée de militants organisés et bien équipés.

Nous comprenons parfaitement ce qui se passe ; nous comprenons que ces actions ont été dirigées contre l’Ukraine et la Russie et contre l’intégration eurasienne. Et tout cela alors que la Russie s’efforçait d’engager un dialogue avec nos collègues de l’Ouest. Nous proposons constamment la coopération sur toutes les questions clés ; nous voulons renforcer notre niveau de confiance et nous voulons que nos relations fonctionnent sur un pied d’égalité, et soient ouvertes et équitables. Mais nous n’avons vu aucune mesure réciproque.

Au contraire, ils nous ont menti à plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont placés devant des faits accomplis. Cela s’est produit avec l’expansion de l’OTAN vers l’Est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières. Ils nous répétaient à chaque fois la même chose : « Eh bien, cela ne vous concerne pas. » Facile à dire.

Cela s’est produit avec le déploiement d’un système de défense antimissile. En dépit de toutes nos appréhensions, le projet a été mis en place et va de l’avant. Cela s’est produit avec les atermoiements sempiternels dans les négociations sur les questions de visa, les promesses d’une concurrence loyale et le libre accès aux marchés mondiaux.

Aujourd’hui, nous sommes menacés de sanctions, mais nous subissons déjà de nombreuses limitations qui ont un impact majeur pour nous, pour notre économie et pour notre nation. Par exemple, toujours à l’époque de la guerre froide, les États-Unis et par la suite d’autres nations ont dressé une grande liste de technologies et d’équipements qui ne pouvaient pas être importés par l’URSS, créant pour cela le Comité de coordination pour le contrôle multilatéral des exportations. Aujourd’hui, il a officiellement été dissous, mais seulement formellement, et en réalité, de nombreuses limitations sont toujours en vigueur. 
 En bref, nous avons toutes les raisons de supposer que l’infâme politique d’endiguement conduite aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles se poursuit aujourd’hui. Ils sont constamment en train d’essayer de nous confiner dans un coin parce que nous avons une position indépendante, parce que nous la maintenons et parce que nous appelons les choses par leur nom et ne nous engageons pas dans l’hypocrisie. Mais il y a une limite à tout. Et avec l’Ukraine, nos partenaires occidentaux ont dépassé les bornes, en jouant les durs et en agissant de façon irresponsable et non professionnelle. (Applaudissements)

Après tout, ils étaient pleinement conscients du fait qu’il y a des millions de Russes vivant en Ukraine et en Crimée. Ils doivent avoir vraiment manqué d’instinct politique et de bon sens pour ne pas avoir prévu toutes les conséquences de leurs actes. La Russie s’est trouvée dans une position d’où elle ne pouvait pas se retirer. Si vous compressez le ressort au maximum, il se détendra avec vigueur. Vous devez toujours vous souvenir de cela. 
Aujourd’hui, il est impératif de mettre fin à cette hystérie, de réfuter la rhétorique de la guerre froide et d’accepter l’évidence : la Russie est un participant indépendant et actif dans les affaires internationales ; comme d’autres pays, elle a ses propres intérêts nationaux qui doivent être pris en compte et respectés. (Applaudissements) 
 Dans le même temps, nous sommes reconnaissants envers tous ceux qui ont compris nos actions en Crimée ; nous sommes reconnaissants envers le peuple chinois (Applaudissements), dont les dirigeants ont toujours considéré la situation en Ukraine et en Crimée en tenant compte de tout le contexte historique et politique, et nous apprécions grandement la réserve et l’objectivité de l’Inde.

Aujourd’hui, je voudrais m’adresser au peuple des États-Unis d’Amérique, ce peuple qui, depuis la fondation de sa nation et l’adoption de la Déclaration d’indépendance, s’est toujours enorgueilli de placer la liberté au-dessus de tout. Le désir des habitants de Crimée de choisir librement leur sort n’est-il pas basé sur une valeur similaire ? Je vous prie de nous comprendre. 
 Je crois que les Européens, surtout les Allemands, pourront aussi me comprendre. Permettez-moi de vous rappeler que dans le cadre des consultations politiques sur l’unification de l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest, les experts – pourtant placés à un très haut niveau de responsabilités – de certains pays qui étaient alors et sont maintenant les alliés de l’Allemagne n’ont pas soutenu l’idée de l’unification. Notre nation, cependant, a soutenu sans équivoque le désir sincère et irrésistible des Allemands pour une unité nationale. Je suis convaincu que vous n’avez pas oublié cela, et je m’attends à ce que les citoyens d’Allemagne soutiennent également l’aspiration des Russes, de la Russie historique, à restaurer son unité. (Applaudissements) 
 Je tiens également à m’adresser au peuple d’Ukraine. Je souhaite sincèrement que vous nous compreniez : nous ne voulons vous nuire en aucune façon, pas plus que nous ne voulons blesser vos sentiments nationaux. Nous avons toujours respecté l’intégrité territoriale de l’Etat ukrainien, contrairement – il faut le souligner – à ceux qui ont sacrifié l’unité de l’Ukraine à leurs ambitions politiques. Ils affichent des slogans sur la grandeur de l’Ukraine, mais ce sont eux qui ont tout fait pour diviser la nation. L’impasse civile d’aujourd’hui repose entièrement sur leur conscience. Je veux que vous m’écoutiez, mes chers amis. Ne croyez pas ceux qui veulent que vous ayez peur de la Russie, et qui crient que d’autres régions suivront la Crimée. Nous ne voulons pas diviser l’Ukraine ; nous n’avons pas besoin de cela. Quant à la Crimée, elle était et demeure une terre russe, ukrainienne et tatare. (Applaudissements)

Je le répète, tout comme elle l’a été durant des siècles, elle sera un foyer pour tous les peuples qui y vivent. Ce qu’elle ne sera et ne fera jamais, c’est suivre la voie de Bandera ! (Ovation)

La Crimée est notre héritage historique commun et un facteur très important pour la stabilité régionale. Et ce territoire stratégique devrait faire partie d’une souveraineté forte et stable, qui, aujourd’hui, ne peut être que russe. (Ovation) Sinon, mes chers amis (je m’adresse à la fois à l’Ukraine et à la Russie), vous et nous – les Russes et les Ukrainiens – pourrions perdre complètement la Crimée, et cela pourrait se produire dans une perspective historique proche. Je vous prie de réfléchir à cela. 
 Permettez-moi de souligner également que nous avons déjà entendu des déclarations de Kiev selon lesquelles l’Ukraine allait bientôt rejoindre l’OTAN. Qu’est-ce que cela aurait impliqué pour la Crimée et Sébastopol dans l’avenir ? Cela aurait signifié que la marine de l’OTAN serait juste là, dans cette ville de la gloire militaire de la Russie, et cela ne créerait non pas une menace illusoire mais une menace parfaitement réelle pour l’ensemble du Sud de la Russie. Ce sont des choses qui auraient pu devenir réalité sans le choix qu’a fait le peuple de Crimée, et je tiens à le remercier pour cela. (Applaudissements)

Mais permettez-moi également de vous dire que nous ne sommes pas opposés à la coopération avec l’OTAN, parce que ce n’est certainement pas le cas. Malgré tous les processus internes à l’œuvre dans cette organisation, l’OTAN demeure une alliance militaire, et nous sommes contre le fait qu’une alliance militaire prenne ses quartiers dans notre arrière-cour ou dans notre territoire historique. Je ne peux tout simplement pas imaginer que nous allions rendre visite aux marins de l’OTAN à Sébastopol. Bien sûr, la plupart d’entre eux sont des gens merveilleux, mais il serait préférable que ce soit eux qui nous rendent visite et soient nos hôtes [à Sébastopol], plutôt que l’inverse. (Applaudissements)

Permettez-moi de dire très franchement que ce qui se passe actuellement en Ukraine nous touche profondément, et qu’il est douloureux pour nous de voir la souffrance de la population et son incertitude sur la façon de s’en sortir aujourd’hui et sur ce qui l’attend demain. Nos préoccupations sont compréhensibles parce que nous ne sommes pas simplement de proches voisins, mais, comme je l’ai dit plusieurs fois déjà, nous sommes un même peuple. Kiev est la mère des villes russes. (Applaudissements)

La Rus’ de Kiev ancienne est notre source commune et nous ne pouvons pas vivre l’un sans l’autre.

Permettez-moi de dire encore une autre chose. Des millions de Russes et de russophones vivent en Ukraine et continueront à y vivre. La Russie défendra toujours leurs intérêts par des moyens politiques, diplomatiques et juridiques. (Applaudissements) Mais il devrait être avant tout dans l’intérêt de l’Ukraine elle-même de garantir que les droits et les intérêts de ces personnes soient pleinement protégés. C’est la garantie de la stabilité de l’Etat de l’Ukraine et de son intégrité territoriale.

Nous voulons être amis avec l’Ukraine et nous voulons que l’Ukraine soit un pays fort, souverain et autonome. Après tout, l’Ukraine est l’un de nos principaux partenaires. Nous avons beaucoup de projets communs et je crois en leur succès, malgré les difficultés actuelles. Plus important encore, nous voulons que la paix et l’harmonie règnent en Ukraine, et nous sommes prêts à travailler avec d’autres pays et à faire tout notre possible pour faciliter et soutenir ces objectifs. Mais comme je l’ai dit, seul le peuple de l’Ukraine lui-même peut redresser sa propre maison.

Résidents de Crimée et de la municipalité de Sébastopol, la Russie tout entière a admiré votre courage, votre dignité et votre bravoure. (Applaudissements)

C’est vous qui avez décidé de l’avenir de la Crimée. Nous étions plus proches que jamais durant ces jours, nous soutenant mutuellement. C’étaient des sentiments sincères de solidarité. C’est lors de tournants historiques tels que ceux-ci qu’une nation démontre sa maturité et sa force d’esprit. Le peuple russe a démontré sa maturité et sa force par son soutien uni en faveur de ses compatriotes. (Applaudissements)

Sur cette question, la politique étrangère de la Russie a tiré sa fermeté de la volonté de millions de personnes parmi notre peuple, de notre unité nationale et du soutien des principales forces politiques et publiques de notre pays. Je tiens à remercier tout le monde pour cet esprit patriotique, tout le monde sans exception. Maintenant, nous devons continuer dans cette voie et maintenir ce genre de consolidation afin de résoudre les tâches auxquelles notre pays est confronté sur le chemin qu’il a à parcourir.

Evidemment, nous rencontrerons une opposition externe, mais c’est une décision que nous devons prendre pour nous-mêmes. Sommes-nous prêts à défendre systématiquement nos intérêts nationaux, ou bien allons-nous toujours céder, nous retirer Dieu sait où ? Certains politiciens occidentaux nous menacent déjà non seulement de sanctions, mais aussi de la perspective de problèmes de plus en plus graves sur le plan intérieur. Je voudrais savoir ce qu’ils ont précisément à l’esprit : des actions par une cinquième colonne, ce groupe disparate de « traîtres à la nation » ? Ou bien ont-ils l’espoir de nous mettre dans une situation sociale et économique qui se dégrade de manière à provoquer le mécontentement populaire ? Nous considérons de telles déclarations comme irresponsables et clairement agressives dans leur ton, et nous allons y répondre en conséquence. Dans le même temps, nous ne rechercherons jamais la confrontation avec nos partenaires, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest, mais au contraire, nous ferons tout notre possible pour bâtir les relations civilisées et de bon voisinage que l’on est censé avoir dans le monde moderne.

Chers collègues, Je comprends le peuple de Crimée, qui a posé la question du référendum dans les termes les plus clairs possibles : la Crimée devrait-elle être avec l’Ukraine ou avec la Russie ? Nous pouvons affirmer avec certitude que les autorités de Crimée et de Sébastopol, les autorités législatives, lorsqu’elles ont formulé la question, ont mis de côté les intérêts de groupe et les intérêts politiques, faisant des seuls intérêts fondamentaux du peuple la pierre angulaire de leur tâche. Les circonstances particulières de la Crimée – historiques, démographiques, politiques et économiques – auraient rendu toute autre option proposée, si tentante qu’elle puisse être à première vue, seulement temporaire et fragile, et auraient inévitablement conduit à une nouvelle aggravation de la situation locale, ce qui aurait eu des effets désastreux sur la vie des habitants. Le peuple de Crimée a donc décidé de poser la question dans des termes fermes et sans compromis, sans zones d’ombre. Le référendum a été équitable et transparent, et le peuple de Crimée a exprimé sa volonté de manière claire et convaincante et a déclaré qu’il veut être avec la Russie. (Applaudissements) 
 La Russie devra maintenant elle aussi prendre une décision difficile, en tenant compte des diverses considérations internes et externes. Qu’en pense le peuple ici en Russie ? Ici, comme dans tout pays démocratique, les gens ont différents points de vue, mais je tiens à faire remarquer que la majorité absolue de notre peuple soutient clairement ce qui se passe.

Les sondages les plus récents de l’opinion publique menés ici en Russie montrent que 95 % de notre peuple pense que la Russie doit protéger les intérêts des Russes et des membres d’autres groupes ethniques vivant en Crimée – 95 % de nos concitoyens. (Applaudissements) Plus de 83 % pensent que la Russie devrait le faire même si cela devait compliquer nos relations avec d’autres pays. (Applaudissements) Un total de 86 % de notre peuple considère la Crimée comme étant toujours un territoire russe et une partie des terres de notre pays. (Applaudissements) Et un chiffre particulièrement important, qui correspond exactement aux résultats du référendum de Crimée : près de 92 % de notre peuple soutient la réunification de la Crimée avec la Russie. (Applaudissements) 
 Ainsi, nous voyons que l’écrasante majorité du peuple de Crimée et la majorité absolue du peuple de la Fédération de Russie sont favorables à la réunification de la République de Crimée et de la ville de Sébastopol avec la Russie. (Standing ovation)

Maintenant, c’est la propre décision politique de la Russie qui doit intervenir, et toute décision ici ne peut être fondée que sur la volonté du peuple, car le peuple est la source ultime de toute autorité. (Applaudissements)

Membres du Conseil de la Fédération, députés de la Douma nationale, citoyens de Russie, habitants de Crimée et de Sébastopol, aujourd’hui, conformément à la volonté du peuple, je soumets à l’Assemblée fédérale une demande pour envisager une loi constitutionnelle sur la création de deux nouvelles entités constitutives de la Fédération de Russie : la République de Crimée et la municipalité de Sébastopol (Standing ovation), et pour ratifier le traité d’admission de Crimée et de Sébastopol à la Fédération de Russie, qui est déjà prêt à être signé. Je suis persuadé de votre soutien. (Standing ovation)

Vladimir Poutine

Version française : Sayed Yasan

(*) Pierre Charasse. Diplomate de carrière français de 1972 à 2009. A occupé différents postes dans les Ambassades de France en Union Soviétique, à Guatemala, à Cuba (1973-1983), au Mexique (1989-1993). Conseiller technique au cabinet de Claude Cheysson, Ministre des Relations Extérieures et Pierre Joxe, Ministre de l’Intérieur (1984-86). Consul Général à Naples (1986-1989), Barcelone (1996-2000). Ambassadeur en Uruguay (1993-1996), au Pakistan (2003-2005) et au Pérou (2005-2008). Ambassadeur Itinérant chargé de la coopération Internationale contre la criminalité organisée et la corruption (2000-2003). Chef de la délégation française à la Conférence des Nations Unies sur le commerce illicite des armes légères (2000-2001), au Xème Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale (2001), à la Commission des Stupéfiants (2001-2002). Secrétaire Général de la Conférence ministérielle « Les routes de la drogue de l’Asie centrale à l’Europe » (2003). Observateur du Gouvernement français au 1er et 2ème « Forum Social Mondial » (Porto Alegre). Membre du Conseil des Affaires Etrangères (2008-2009). A effectué de nombreuses missions officielles en Europe, Asie, Afrique et Amérique Latine.

Activités privées :
- Membre du Conseil d’administration de la Maison de l’Amérique Latine (Paris)
- Vice-président de l’Observatoire Géopolitique des criminalités (Paris)
- Membre-associé du Consejo Mexicano de Asuntos Internacionales-COMEXI (Mexico)

Source : http://www.elcorreo.eu.org/La-deconstruction-acceleree-du-systeme-occidental-unipolar