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Ce 25 février, le monde a perdu un activiste visionnaire : Chokwe Lumumba, qui était le maire de Jackson (capitale de l’État du Mississippi). Lumumba est décédé de manière inattendue à 66 ans, de ce qui semblait être une crise cardiaque. En juin 2013, il avait remporté l’élection municipale de Jackson, une ville dont l’histoire est marquée par le racisme et la violence. Il était un fervent défenseur des droits de l’Homme, un avocat radical et pionnier, un fier partisan du « nationalisme noir » et un fonctionnaire public dévoué. Tandis que sa famille, ses amis et ses alliés font son deuil, il y a néanmoins beaucoup de choses à célébrer de sa vie.

Tout d’abord, remontons dans le temps pour nous remémorer l’histoire de la ville de Jackson. Comme l’avait indiqué Juan Gonzalez, mon collègue et co-présentateur de Democracy Now!, lorsque nous avions interviewé Lumumba le lendemain de son élection : « Je ne sais pas combien de gens dans le pays comprennent à quel point Jackson est symbolique en tant que centre du racisme et de l’oppression raciale durant des siècles, à commencer par le nom de la ville. En 1820, les colons blancs la baptisèrent du nom d’Andrew Jackson, lorsque ce dernier parvint à faire pression sur les indigènes Choctaw pour qu’ils leur donnent 5 millions d’hectares de terres et partent vers l’Oklahoma, conformément au Traité de Doak’s Stand. C’est pourquoi les colons blancs donnèrent à la ville le nom de Jackson, en raison du nettoyage ethnique que cet homme avait réalisé. »

Ce fut précisément à Jackson (Mississippi), le soir du 12 juin 1963, où eut lieu l’assassinat de Medgar Evers, premier secrétaire de l’Association nationale pour la défense des gens de couleur (sigle anglais : NAACP) dans l’État du Mississippi. La ville se trouve à peine à 130 km de Philadelphie (Mississippi), où furent assassinés Andrew Goodman, James Chaney et Michael Schwerner, tous trois activistes du Freedom Summer ; Jackson se trouve aussi à 150 km de Money (Mississippi), où Emmett Till, adolescent de 14 ans, fut séquestré, torturé et assassiné en 1955 pour avoir prétendument sifflé une femme blanche. Le fait que Jackson soit le centre politique, économique et historique de tant de violence et de haine raciale, cela explique l’importance de la victoire de Lumumba dans l’élection municipale.

En juin, Chokwe Lumumba m’avait dit : « J’attribue notre victoire de la semaine dernière aux habitants de Jackson, qui ont été plus que disposés à avoir une administration tournée vers l’avenir, qui étaient préparés à conduire Jackson vers un autre niveau de développement, et prêts à défendre l’idée selon laquelle tout gouvernement devrait faire son possible pour protéger les droits fondamentaux de sa population. » Lumumba s’était engagé dans la cause des droits de l’Homme, et avait commencé à élaborer un programme progressiste pour la ville. Son slogan était : « One City, One Aim, One Destiny. » (« Une ville, un objectif, un destin. »)

Chokwe Lumumba est né Edwin Finley Taliaferro, à Detroit. Ses parents le dirigent à son plus jeune âge vers l’activisme pour les droits civils. Il est intéressant de nous remémorer l’explication donnée par Lumumba au journal Jackson Free Press au sujet de son changement de nom : « J’ai choisi le prénom Chokwe car, dans un cours d’histoire africaine, j’ai appris que la tribu Chokwe, qui existe toujours, fut l’une des dernières tribus à avoir pu résister au commerce de l’esclavage, au Nord-Est de l’Angola. Le nom de famille, Lumumba, est celui d’un grand dirigeant africain qui avait commencé à mener l’Afrique vers la décolonisation, vers l’indépendance ; il était congolais. Lumumba veut dire ‘talentueux’ : ainsi, mot à mot, mon nom signifie ‘chasseur talentueux’. »

En tant qu’avocat, Lumumba a représenté des personnes telles que l’activiste Assata Shakur et le rappeur Tupac Shakur. Il a convaincu le gouverneur de casser la condamnation à perpétuité de deux soeurs, Gladys et Jamie Scott, qui étaient en prison pour avoir volé onze dollars. Elles ont toutes les deux été libérées après 16 ans de détention. En 2009, il avait présenté sa candidature et avait obtenu un siège à la mairie de Jackson. Quatre ans plus tard, il en était devenu le maire. Il avait un programme ambitieux, et bénéficiait d’un fort soutien populaire. Il y a à peine deux mois, le 14 janvier, les électeurs de Jackson avaient adopté une hausse de 1 % de l’impôt sur les ventes locales, ainsi qu’une hausse des tarifs du service d’eau et d’assainissement. De cette façon, Lumumba comptait recouvrir 700 millions de dollars afin d’améliorer l’infrastructure de la ville, et utiliser cet argent pour réaliser plus de financements à travers l’émission d’obligations. Il m’avait dit : « Nous sommes une population qui, en ce moment, a besoin de beaucoup de développement. Le développement constitue l’une des voies vers la reconnaissance des droits de l’Homme, et tout particulièrement de nos droits économiques. »

La mort soudaine de Chokwe Lumumba est un coup dur pour sa communauté. Bill Chandler, allié proche de Lumumba et directeur général de l’Alliance pour les droits des immigrés du Mississippi, m’a dit : « La disparition de Chokwe Lumumba nous a tous pris par surprise. C’est très difficile pour nous d’accepter sa mort. Nous adressons nos condoléances et nos prières à sa famille, qui est très proche de notre communauté. Nous espérons ainsi poursuivre ses projets pour la ville de Jackson. » Le nouvel impôt sur les ventes, adopté par la population, entrera en vigueur le 1er mars. Lors du premier week-end de mai, aura lieu le Jackson Rising : une rencontre dont Lumumba a contribué à l’organisation, et qui promeut un modèle économique alternatif, tel que la propriété coopérative des entreprises. Encore aujourd’hui, la vision pionnière de Chokwe Lumumba reste une inspiration.

(Traduction de l’espagnol : Thomas Gabiache)