Par Jim Lobe

Indiquant un dispositif militaire américain global un peu plus modeste, le chef du Pentagone, Chuck Hagel, a demandé lundi une forte réduction de la taille de l’armée américaine, le service qui a le plus souffert des occupations d’Irak et d’Afghanistan au cours des douze dernières années.

Au même moment, cependant, il a exhorté à une augmentation de la taille des Forces d’opérations spéciales (SOF), des militaires d’élite chargés de former des homologues étrangers et de mener des missions souvent secrètes, y compris des assassinats et des raids comme celui qui a tué Oussama Ben Laden au Pakistan en 2011.

S’exprimant une semaine avant que le président Barack Obama ne dévoile son projet de budget 2015, Hagel a dit qu’il demandera également au Congrès de supprimer progressivement les systèmes d’armes clé, y compris les avions espions légendaires U-2 de l’époque de la Guerre froide, qui seront remplacés par des drones, et des avions à deux réacteurs A-10 « Warthog » qui ont été utilisés pendant plusieurs décennies pour fournir un appui aérien rapproché aux forces terrestres.

« C’est le moment pour la réalité », a déclaré Hagel aux journalistes lors d’une conférence de presse où il a demandé au Congrès d’approuver 496 milliards de dollars en dépenses de l’armée pour la prochaine année budgétaire.

Ce montant n’inclut pas 26 milliards de dollars supplémentaires approuvés pour le Pentagone par le Congrès dans le cadre d’un accord budgétaire sur « l’Opportunité, la croissance et l’initiative sécuritaire » à la fin de 2013.

« C’est un budget qui reconnaît la réalité de l’ampleur de nos problèmes budgétaires, le monde dangereux dans lequel nous vivons, et l’unique et indispensable rôle de l’armée américaine dans la sécurité de ce pays et dans le monde instable d’aujourd’hui ».

Les coupes proposées à l’armée ont fait les manchettes des médias nationaux. Selon la proposition de Hagel, qui a été approuvée par les chefs des quatre principaux services, l’armée de service actif passerait de 522.000 soldats actuels à entre 440.000 et 450.000. Cela amènerait l’armée à sa plus petite taille depuis la veille de l’entrée de Washington dans la Seconde Guerre mondiale.

Les implications d’une telle coupe n’ont pas été ignorées par les observateurs qui ont noté qu’elles reflètent non seulement la fin de l’occupation américaines en Irak et en Afghanistan, mais aussi l’aversion, apparemment partagée par l’administration Obama et le public en général, pour l’engagement prolongé des troupes au sol dans des pays étrangers.

Washington a retiré toutes ses forces d’Irak en 2011 et envisage d’en retirer quelques milliers d’Afghanistan d’ici à la fin de cette année.

Il y a trois semaines, un sondage effectué par le Centre de recherche Pew a révélé que, pour la première fois, la majorité (52 pour cent) des Américains interrogés ont conclu que Washington avait « essentiellement échoué » à atteindre ses objectifs en Irak et en Afghanistan. Moins de quatre personnes sur 10 ont approuvé l’idée que les Etats-Unis ont « surtout réussi » dans ces deux pays.

« Puisque nous ne mesurons plus la taille de la force pour des opérations de stabilité prolongées », a déclaré le 19 févriers, Hagel, qui a servi dans l’armée pendant la Guerre du Vietnam, « une armée de la taille (actuelle) est plus grande que ce qu’il faut pour répondre aux exigences de notre stratégie de défense…. Comme nous achevons notre mission de combat en Afghanistan, ce sera le premier budget pour refléter pleinement la transition que [le ministère de la Défense] fait après 13 ans de guerre – le plus long conflit de l’histoire de notre nation ».

« En disant cela, il reconnaissait essentiellement le fait que le public américain ne supportera pas ce genre d’intervention de sitôt », a souligné William Hartung, un ancien analyste des politiques de la défense au Centre pour la politique internationale (CIP). « La majorité d’entre eux comprennent que dépenser des milliards de dollars et perdre des milliers de vies dans ces guerres n’ont rendu personne plus en sécurité ».

« La vraie question est de savoir si nous pouvons renoncer à la mentalité ‘allez n’importe où, menez n’importe quelle bataille’ du Pentagone », a ajouté Hartung dans un échange de courriels. « Qu’il s’agisse de drones, de forces spéciales, ou des bombes de précision, la guerre, c’est la guerre, et il est temps d’enlever les Etats-Unis sur un pied de guerre perpétuel et de travailler à une force militaire vraiment défensive ».

En effet, dans ses remarques, Hagel a souligné que les SOF de Washington continueront d’augmenter – d’environ 66.000 aujourd’hui à un peu moins de 70.000 en 2015 – une augmentation de près de 300 pour cent par rapport à il y a une décennie.

Chacun des services militaires et chacun des commandements régionaux (SouthCom pour l’Amérique latine, Africom pour l’Afrique, CentCom pour le Proche-Orient et certaines parties de l’Asie du sud et du centre, et PaCom pour l’Asie et le Pacifique) – ont leurs propres unités de SOF d’élite.

En outre, un Commandement des opérations spéciales basé en Caroline du Nord (SOCOM), dirigé par l’amiral William McRaven, qui a supervisé le raid de ben Laden, peut envoyer des troupes pratiquement partout dans le monde. Il commande également le Commandement conjoint des opérations spéciales (JSOC), qui travaille en étroite collaboration avec l’Agence centrale du renseignement (CIA) dans la conduite des opérations hautement classées contre des cibles spécifiques.

McRaven, dont les efforts visant à assouplir les restrictions des droits humains sur la formation des forces armées étrangères et à contourner la surveillance du département d’Etat pour certains programmes d’aide ont suscité des controverses, a été néanmoins efficace dans la construction de son « empire » en grande partie en raison de sa compatibilité avec le désir d’Obama d’alléger « l’empreinte » de l’armée américaine dans les régions en conflit sans réduire son efficacité et sa létalité.

« Dans son discours sur l’état de l’Union, le président a déclaré que notre pays doit se débarrasser d’un pied de guerre permanent, et le discours du secrétaire Hagel a fait aujourd’hui un grand pas dans cette direction », a noté Miriam Pemberton, un autre analyste des politiques de la défense à l’Institut des études politiques à Washington. « Mais, alors que les occupations à long terme ne sont plus sur la table maintenant, l’expansion de Forces spéciales signifie que les invasions au moyen de radars ne le sont pas ».

* Le blog de Jim Lobe sur la politique étrangère des Etats-Unis peut être consulté sur le site internet Lobelog.com. (FIN/2014)