Par Million Belay et Bern Guri
Les multinationales et leurs alliés réclament à cor et à cris le développement des semences transgéniques et une modification des lois africaines pour permettre leur diffusion comme solution à la faim et à la faiblesse de la production vivrière en Afrique. En octobre dernier (2013) le prix mondial de l’alimentation a été décerné à trois scientifiques, dont deux travaillent pour des géants de l’agrobusiness, Monsanto et Syngenta, pour meurs innovations dans le domaine des OGM. Les rédacteurs du «Washington Post » appelaient tout récemment à « donner une chance aux OGM » en Afrique et réclamaient un débat ouvert. L’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique, un réseau regroupant des petits paysans, des pasteurs, chasseurs-cueilleurs, peuples indigènes, citoyens et écologistes africains a salué l’occasion offerte aux paysans africains de faire entendre leur voix.
Présenter les OGM comme une solution, c’est manquer de respect envers la culture et l’intelligence des Africains et cela suppose bien peu de connaissance de l’agriculture africaine. C’est se fonder sur l’image, répandue en Occident, d’une Afrique pauvre, misérable, affamée, minée par les maladies, impuissante et sans espoir, réduite à attendre son salut d’un ange blanc. Une image qui a permis aux colonialistes de donner un fondement rationnel à leur bagarre pour s’approprier l’Afrique, et maintenant les néocolonialistes l’utilisent pour donner un fondement rationnel à leur bagarre pour s’approprier le sol et les ressources naturelles du continent.
Les partisans de la mauvaise solution que sont les OGM poussent les paysans africains à se rendre pour longtemps, et peut-être de façon irréversible, dépendants d’une poignée de grandes firmes, qui décideront quelles semences, dotées de quelles caractéristiques génétiques et liées à quels intrants chimiques il faut fournir au peuple africain. C’est ouvrir la voie à une profonde vulnérabilité et à une prise de décision centralisée qui vont directement à l’encontre des pratiques agricoles les meilleures et les mieux avérées ainsi que de politiques bien fondées. Notre expérience des paysans ainsi que de véritables preuves nous incitent nettement à choisir une voie plus raisonnable et mieux adaptée : investir dans un système agricole durable et agroécologique, qui s’appuie sur la sagesse de dizaines de millions de paysans et leur capacité à contrôler et adapter les ressources génétiques dont ils disposent et à prendre les bonnes décisions à ce sujet pour accroître leur vigueur et leur résistance.
Où en sommes-nous aux USA après 20 ans de cultures OGM ? Les agriculteurs qui ont utilisé des semences OGM résistantes aux herbicides sont maintenant aux prises avec les coûts de la lutte contre de « super-mauvaises herbes » résistantes aux herbicides. Environ 49% des agriculteurs usaméricains doivent s’affronter aux mauvaises herbes résistantes au Roundup, soit 50% de plus que l’année précédente, ce qui depuis 1996 a accru de façon disproportionnée l’emploi d’herbicides : plus de 225 000 tonnes. Quant aux agriculteurs qui ont employé des semences résistantes aux parasites, ils font face au même problème avec les parasites, devenus résistants aux produits toxiques dont celles-ci sont porteuses. En Chine et en Inde, les gains initiaux consécutifs à l’économie d’insecticides sur le coton OGM Bt ont fondu comme neige au soleil, car il faut désormais lutter contre des parasites résistants.
Selon le Centre africain pour la sécurité biologique d’Afrique du Sud le maïs transgénique sélectionné sur un seul caractère (production d’insecticide naturel) a développé une résistance si totale aux insectes qu’il a fallu le retirer du marché. Ces dernières années les pertes de productivité étaient telles que Monsanto a dû dédommager les agriculteurs pour les traitements insecticides afin d’éviter des pertes économiques. Et on veut maintenant introduire cette technologie faillie dans d’autres pays africains, sous le patronage de Monsanto et de la Fondation Gates en faveur d’un projet africain de maïs résistant à la sécheresse.
L’Inde a décrété un moratoire de 10 ans avant de cultiver la première plante vivrière transgénique. Le Mexique a interdit le maïs OGM, le Pérou a soumis à un moratoire de 10 ans l’importation et la culture de plantes OGM et la Bolivie s’est engagée à éradiquer toutes les plantes transgéniques d’ici à 2015. La Chine a annoncé qu’elle abandonnait pour 5 ans au moins les cultures transgéniques, leur préférant des plantes classiques à haut rendement et durables. Les consommateurs leur sont tous plus ou moins hostiles.
Lors de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et développement de 2013, les auteurs du rapport „Réveillez-vous avant qu’il ne soit trop tard: choisissez une agriculture véritablement durable en vue de garantir la sécurité alimentaire en période de changement climatique“ ont recommandé, pour faire face aux défis à venir, de recourir «à une réorientation rapide et significative de l’agriculture industrielle, basée sur la monoculture et l’emploi massif d’intrants, en direction d’une mosaïque de systèmes de production durables et régénérateurs favorisant une augmentation de la productivité des petits paysans. »
Les plantes transgéniques ne servent à rien pour éradiquer la faim dans le monde, même si les partisans des OGM ont fait de cet argument leur cheval de bataille. Il faut aider les paysans africains à mettre au point et à répandre des méthodes agricoles éprouvées et durables si l’on veut nourrir notre peuple et atteindre la souveraineté alimentaire. Dans le débat, c’est leur voix qui doit primer sur la propagande des multinationales, dont l’unique but est de vendre davantage d’OGM et de produits chimiques.
Traduit par Michèle Mialane
Source en anglais : http://truth-out.org/news/item/20058-why-african-farmers-do-not-want-gmos
Source : http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=10931