Photo : Université d’Oxford (Wikimedia Commons), ajout d’une raffinerie de pétrole.
Nous avons été amenés à croire que le pouvoir des consommateurs pouvait, en encourageant une meilleure société, modifier les comportements contraires à l’éthique adoptés par les grandes sociétés (ce qui peut être le cas, dans une certaine mesure). La difficulté est de savoir ce que peuvent faire les fabricants des produits que nous consommons. La tragédie de l’effondrement d’un immeuble au Bangladesh – qui a fait des centaines de victimes – a souligné, de nouveau, les conditions de travail de ceux qui fabriquent des vêtements que nous achetons à bas prix. Là réside l’ambiguïté de l’attitude des pays occidentaux: s’engager véritablement en faveur de l’universalité des droits des travailleurs implique la fin de la fabrication du vêtement bon marché, des téléphones portables et de la nourriture… Exemples de thèmes de réflexion (gratuite, à vrai dire).
Conflit d’intérêts dans l’Éducation ? Le laboratoire du département des sciences de la Terre de l’université d’Oxford sera financé par Shell
100 anciens étudiants de l’université d’Oxford ont signé une lettre condamnant la décision d’accepter les financements de Shell pour les études de changement climatique. Shell a élaboré des politiques « environnementales ». Malgré tout, les résultats de ces dernières laissent encore à désirer:
Royal Dutch Shell Pic serait la deuxième grande société mondiale, après Wal-Mart Stores. Cependant, son histoire a connu des périodes plutôt troubles.
« Shell a sauvé le parti nazi quand celui-ci était en danger d’effondrement financier. Cette société a continué, pendant plus d’une décennie, à financer le programme national-socialiste. » (John Donovan)
Pollution environnementale: la présence de sociétés comme Shell au delta du Niger a provoqué de graves problèmes dans cette région sur le plan environnemental. De nombreux pipelines appartenant à Shell sont vieux et corrodés. Ceci a provoqué un grand nombre de déversements d’hydrocarbures qui ont dégradé l’environnement, tuant ainsi la végétation et les poissons. Shell a reconnu sa responsabilité concernant l’ancienneté de ses pipelines, mais pas dans les dysfonctionnements dus à l’environnement… En janvier 2013, un tribunal néerlandais a rejeté quatre des cinq allégations portées contre Shell au sujet de la pollution du delta du Niger par les hydrocarbures. Cette société, toutefois reconnue coupable dans une seule affaire de pollution, a été condamnée à verser des indemnités à un agriculteur nigérian.
Magdalena (en Argentine) : Shell était responsable du plus grand déversement d’hydrocarbures qui se soit jamais produit dans les eaux douces du monde. Le 15 janvier 1999, deux pétroliers sont entrés en collision. Le contenu de l’un des deux s’est répandu dans le lac, polluant ainsi l’environnement, l’eau potable, la faune et la flore.
En août 2008, le Bureau britannique de vérification de la publicité a déclaré que la société Shell s’est rendue coupable de publicité mensongère en affirmant qu’un projet d’exploitation des sables bitumineux à Alberta (au Canada), s’élevant à 10 milliards de dollars, constituait une “source d’énergie durable”.
En 2009, Shell fut le thème principal d’un rapport d’Amnesty International sur la détérioration des droits de la personne. Ce phénomène résulte des activités de cette société au delta du Niger. Amnesty International a notamment critiqué la poursuite de la pratique de la torchère ainsi que l’attitude nonchalante de Shell face à ces déversements d’hydrocarbures.
Les tactiques d’infiltration (concernant le financement d’Oxford): en 2010, un câble diplomatique divulgué a révélé que Shell prétend avoir recruté du personnel dans les principaux ministères du gouvernement du Nigéria et être au courant de “tout ce qui s’y fait”, selon le patron de Shell dans ce pays. Ce dernier s’est également félicité du fait que le gouvernement avait oublié l’infiltration importante de Shell. Des documents rendus publics en 2009 (mais dont il n’a cependant pas été fait usage au tribunal) montrent que Shell a régulièrement versé des paiements aux forces militaires du Nigéria afin de prévenir les protestations.
D’autres accusations à l’encontre de Shell (ex: les projets concernant le forage dans l’Arctique sans plans d’urgence en cas de déversement d’hydrocarbures) laissent à penser qu’il est singulier de choisir cette société pour financer des études écologiques. Cependant, dans le contexte des coupures dans le secteur de l’éducation, de la politique d’austérité, du triplement des frais de scolarité et de la baisse du nombre d’étudiants étrangers due aux mesures radicales prises en matière d’immigration, il n’est pas étonnant que certains professeurs d’université choisissent d’ignorer ce conflit évident d’intérêts, en se persuadant que c’est pour la bonne cause (pragmatisme: la fin justifie les moyens…).
D’autres énigmes de l’éthique
Stephen Hawking, qui souffre d’une maladie neuro-motrice depuis cinquante ans et est probablement l’un des scientifiques les plus respectés de notre époque, a décidé de boycotter une conférence israélienne pour protester contre l’occupation de la Palestine. Le problème réside dans le fait que cet homme utilise un système informatique lui permettant de communiquer, étant donné qu’il a perdu l’usage de la parole. Sa voix métallique bien connue, que l’on a pu entendre au cours de conférences, d’interviews télévisées et même dans la série Les Simpson provient d’une machine qui contient la technologie israélienne.
Le journaliste et activiste écologiste George Mombiot a recherché « un smartphone sans aucune tache de sang »… Voici ce qu’il entend par là: « Les composants trempés de sang humain viennent-ils de l’est du Congo ? Depuis 17 ans, les armées rivales et les milices se disputent les minéraux de la région. Il existe entre autres des métaux très importants pour la fabrication de gadgets électroniques, sans lesquels le smartphone n’aurait pas vu le jour: le tantale, le tungstène, l’étain et l’or. » George Mombiot déplore le manque d’informations des fabricants de téléphones portables au sujet de leurs approvisionnements en matériaux, lesquelles permettraient à des consommateurs comme lui, vous ou moi-même de prendre une décision éclairée.
Réfléchissez encore avant de sortir un Kleenex
James Sensenbrenner, membre républicain du Congrès américain (pour l’État du Wisconsin), est le parrain d’un projet de loi visant à expulser et criminaliser 11 millions d’immigrants clandestins et à construire un mur entre les États-Unis et le Mexique. Il est également l’héritier de l’entreprise Kimberly-Clark, qui a développé et vendu dans plus de 80 pays les produits Kleenex, Scott, Huggies et Andrex (entre autres). À vrai dire, le mot Kleenex a remplacé avec succès le mot mouchoir dans de nombreuses langues. Il se peut qu’il y ait eu confusion entre cleaning (nettoyage) et ethnic cleansing (nettoyage ethnique) !
En 2005, Greenpeace a lancé une campagne contre l’entreprise Kimberly-Clark, parce que cette dernière avait été liée à l’exploitation des anciennes forêts boréales. Cette campagne a pris fin en août 2009 suite à la publication par Kimberly-Clark d’une nouvelle politique environnementale. Les deux organisations ont annoncé « leur renoncement au conflit au profit d’une nouvelle relation de collaboration. Les objectifs sont les suivants: continuer de promouvoir la conservation forestière, la gestion responsable de ces ressources et l’utilisation de fibres recyclées pour la fabrication de produits en tissu. » Le rapport avec les politiques racistes de James Sensenbrenner ne semble apparaître ni dans ce conflit ni dans sa résolution.
Les campagnes de culpabilisation contre les entreprises Coca-Cola et McDonald’s ont été véhémentes, mais les produits de sociétés, les banques, les médias ou encore les loisirs sont partout et font partie de notre quotidien. La sensibilisation joue un rôle essentiel, mais il est quasiment impossible de parler de conscience « complète ». Puisque nous envisageons et mettons actuellement au point des solutions de remplacement au système présent, les questions concernant l’influence des sociétés et la neutralisation de celle-ci doivent être des sujets tant pour une discussion constructive que pour une éducation créative.
Il s’agit de changer non seulement les lois et les règlements, mais également la culture et les valeurs pouvant conduire certaines personnes à être si insensibles aux vies et aux besoins des autres. Seule une société reconnaissant l’être humain comme valeur centrale, et ce, au-dessus de l’argent et du pouvoir, peut créer un système économique qui offre à chacun une existence ayant véritablement un sens.
Traduction de l’anglais : Yveline Le Don