Les dirigeants israéliens furieux… non pas du nucléaire iranien mais de perdre leur meilleur prétexte pour maintenir leur pays dans un état permanent de paranoïa.
Le 24 novembre 2013, les cinq puissances nucléaires officielles – USA, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne (*) – accompagnées par l’Allemagne et la représentante de l’Union européenne, Catherine Ashton, ont signé avec l’Iran un accord sur la question du nucléaire. Cet évènement a été abondamment couvert par les médias du monde entier qui, pour la plupart, nous ont expliqué que, par cet accord :
– l’Iran renonçait à ses ambitions inavouées d’accéder à l’arme atomique ;
– l’Iran allait redevenir fréquentable sur le plan international.
La réalité est en fait… exactement inverse :
– l’Iran ne renonce à rien du tout sur le plan nucléaire ;
– c’est parce que les occidentaux ont désormais besoin que l’Iran soit fréquentable que l’accord nucléaire a été signé.
Notons d’ailleurs que, contrairement à ce que font semblant de croire les dirigeants des pays impliqués, ils ne sont pas inquiets à l’idée que l’Iran puisse posséder tôt ou tard des armes nucléaires. En effet, les mollahs iraniens sont certes des tyrans sur le plan intérieur, mais ils sont loin d’être les fous illuminés parfois décrits : il se garderont bien de lancer une attaque atomique contre Israël, ce qui leur assurerait immédiatement une riposte destructrice de la part des USA.
L’arme nucléaire leur servira « seulement » à asseoir un statut de grande puissance régionale qu’ils sont aujourd’hui en position d’acquérir avec la bénédiction des Occidentaux. Mais, pourquoi ces derniers ont-ils subitement changé de position par rapport à l’Iran ? C’est en fait la réalité géopolitique du Moyen-Orient qui a été bouleversée en quelques années.
Depuis des décennies, les alliés principaux des USA dans la région étaient, outre Israël, l’Egypte et l’Arabie saoudite, deux dictatures d’une stabilité parfaite pour Washington. qui s’est bien gardé d’y mener une de ses fameuses guerres « pour la démocratie ».
Par ailleurs, l’Irak de Saddam Hussein contrecarrait tout risque de montée en puissance de l’Iran : les Occidentaux poussèrent même ces deux pays à se saigner mutuellement lors de la terrible guerre de 1980-1988. Et enfin, les USA instrumentalisaient la question du nucléaire pour isoler l’Iran, seulement soutenu par la Russie.
Mais aujourd’hui, ce tableau « idyllique » a complètement changé : l’Irak est terriblement affaibli depuis la guerre menée par Bush. Puis les Printemps arabes ont eu lieu : l’Egypte est désormais dans une situation précaire, la Libye et la Syrie sont totalement déstabilisées et vont d’autant plus le rester que l’Arabie saoudite et le Qatar y soutiennent des groupes fondamentalistes sunnites qui détestent les USA. mais aussi l’Iran chiite.
Il n’en fallait pas plus pour que les USA changent leur fusil d’épaule et considèrent que, désormais, le rôle de « gendarme » de cette région si stratégique – du fait de ses réserves pétrolières et gazières – devait être attribué à l’Iran. Encore fallait-il que ce dernier devienne subitement fréquentable.
Rien de plus facile en fait car un prétexte a ceci de formidable qu’il peut servir dans les deux sens : d’abord lorsqu’on l’invoque, et ensuite lorsqu’on décrète qu’il n’est plus de mise. C’est ce qui vient de se passer pour l’Iran : une superbe pièce de théâtre organisée en Suisse, conclue par un bel accord, et le tour est joué.
Les mollahs iraniens peuvent se réjouir : ils vont accéder à des rentrées financières massives – en particulier grâce à la suspension des restrictions sur la vente de pétrole – qui vont leur permettre de soulager quelque peu les souffrances de la population. et surtout de perpétuer leur régime.
La « révolution verte » du peuple iranien en 2009 est de fait définitivement enterrée avec la complicité active des démocraties occidentales. Ces dernières, oubliant les combattants de la liberté qu’elles prétendaient soutenir, sont désormais amies avec les tortionnaires qui ont réprimé si férocement ce courageux soulèvement.
Mais revenons à ce fameux accord nucléaire : les modestes concessions faites par Téhéran reviennent juste à retarder dans le temps la capacité de l’Iran à accéder à l’arme atomique. C’est même la plus parfaite illustration de l’expression « reculer pour mieux sauter » car cette capacité sera encore plus effective avec des réserves financières reconstituées et une industrie atomique « civile » fonctionnelle.
En effet, lorsque l’on sait enrichir l’uranium jusqu’à 5%, on sait aussi bien le faire jusqu’à 95% (teneur nécessaire pour une bombe atomique) : il suffit de faire tourner longtemps les centrifugeuses sans qu’il n’y ait besoin de modifications techniques. L’accord nucléaire signé avec l’Iran relève donc uniquement de la gesticulation.
C’est en particulier le cas concernant le prétendu « rôle crucial » de la France qui se targue d’avoir contraint les Iraniens à arrêter le réacteur d’Arak, susceptible de produire du plutonium de qualité militaire. Il faudrait donc croire que les USA, qui suivent pourtant de très près cette affaire depuis des années, auraient « oublié » l’existence de ce réacteur, opportunément rappelée par Laurent Fabius, nouveau « grand spécialiste » de l’atome. Cette thèse ridicule a pourtant été largement servie par la majorité des médias.
En réalité, il y a eu une habile répartition des rôles, les USA ne souhaitant de toute évidence pas être considérés comme les seuls comptables de la réhabilitation de l’Iran. C’est assurément aussi pour cela que, lors des discussions, le stylo a été tenu par Mme Ashton, la représentante jusqu’alors inutile de la diplomatie européenne.
Notons d’ailleurs que, même si les Iraniens abandonnent réellement la piste du plutonium, ce qui reste à prouver, ils pourront sans problème se contenter de bombes à l’uranium enrichi : le bombardement nucléaire d’Hiroshima n’a pas été moins « réussi » que celui de Nagasaki.
Mais à nouveau, si les dirigeants israéliens dénoncent avec tant de force l’accord nucléaire du 24 novembre, ce n’est absolument pas qu’ils craignent d’être « atomisés ». Ce qu’ils redoutent avant tout, c’est la fin des restrictions économiques qui empêchaient jusqu’à maintenant l’Iran de devenir la grande puissance géopolitique de la région.
Par ailleurs, lorsque le monde entier constatera que l’Iran ne tente pas d’atomiser Israël, les dirigeants de l’Etat hébreux auront perdu un de leurs principaux prétextes pour maintenir leur pays dans un état de paranoïa permanente. Le seul « danger » venant des malheureux Palestiniens ne suffira assurément plus…
Mais, faut-il tout de même s’inquiéter de l’atome iranien ? Oui. exactement comme de n’importe quel autre programme nucléaire : celui de la France, celui de la Chine, celui des USA, etc, sans oublier celui d’Israël avec son antique centrale de Dimona.
Aucun de ces acteurs ne veut évoquer les risques de catastrophe, la question insoluble des déchets radioactifs, les graves pollutions causées par les mines d’uranium, etc. Or, ce sont bien là les principaux dangers imposés par l’atome, tant militaire que « civil ». Combien faudra-t-il encore de drames comme celui de Fukushima avant qu’il soit décidé d’en finir enfin avec le nucléaire ?
Stéphane Lhomme – 5 décembre 2013
Directeur de l’Observatoire du nucléaire
Sources : http://observ.nucleaire.free.fr/accord-nuke-avec-iran-bluff.htm
(*) Ces cinq pays sont officiellement les seuls à détenir l’arme atomique, et les seuls à y être autorisé dans le cadre du Traité de non prolifération (TNP). Ce dernier n’a pas été ratifié – et pour cause – par les quatre autres pays qui possèdent des bombes nucléaires : Inde, Pakistan, Israël, Corée du Nord.