Vautour s’apprêtant à attaquer sa proie. Image : Wikimedia Commons par Dimitri1999
Chacun sait ce que sont les fonds vautours. Ils achètent à bas prix les dettes des pays pauvres (par exemple au FMI ou à la Banque mondiale), en poursuivant les débiteurs devant les tribunaux internationaux pour les contraindre à rembourser celles-ci dans leur intégralité. Il se peut que cet argent provienne de crédits au développement, ou encore du premier excédent d’une économie qui se redressait mais tend ainsi à retomber dans le rouge. Dans le contexte européen de la crise, les fonds vautours sont apparus dans d’autres pays, comme la Grèce et l’Espagne.
On connaît moins le rôle que jouent les fonds vautours au niveau local dans les dettes personnelles plus basses. Dans un article du Guardian d’Alex Andreou, il est question du mouvement de contestation Occupy Wall Street, qui dénonce les abus du capitalisme financier.
Rolling Jubilee est un projet de Occupy Wall Street. Ce mouvement a ainsi acheté et détruit des frais médicaux pour plus de 2600 personnes… Initiative sans but lucratif qui achète pour une petite somme des dettes personnelles sur le marché secondaire (la dette est vendue à des entreprises qui les revendent elles-mêmes à des agences de recouvrement). Ensuite, cette dette est tout simplement annulée.
Le mouvement Occupy Wall Street a, lors de son apparition pendant l’été 2011, fait l’objet de critiques. D’aucuns ont affirmé que ce mouvement manquait d’objectifs précis. Selon ces critiques, les stratégies envisagées étaient ainsi vouées à l’échec. L’impact potentiel de ce mouvement a été considérablement sous-estimé. Depuis, deux ans se sont écoulés. Il existe bel et bien un débat concernant à la fois l’éthique du capitalisme corporatiste sous sa forme actuelle, la rémunération équitable pour les personnes se trouvant en haut de l’échelle, l’écart croissant des richesses ainsi que la moralité de l’évasion fiscale. Le concept des “99%” fait maintenant partie de la conscience collective. Tout cela est dû, en grande partie, à cette mèche que le mouvement Occupy (forme raccourcie de son nom) a allumée.
Cependant, il existe un autre aspect non négligeable de ce mouvement dont certains ont estimé qu’il manquait de consistance : le fait qu’il a permis de rassembler des gens partageant les mêmes points de vue, instaurant ainsi un dialogue où des points communs ont été identifiés. Ce dialogue semble avoir évolué vers des initiatives ciblées et pratiques. L’une des plus importantes – et peut-être la plus menaçante pour le statu quo – est le groupe Strike Debt, dont le projet Rolling Jubilee fait partie intégrante.
L’idée de ce projet est la suivante: Vous êtes exemptés de dettes ou vous voulez soutenir notre cause ? Faites un don pour que « vogue le navire de nos fonds ». Le nom Rolling Jubilee vient de là. Les fonds ont déjà atteint un montant de 600 000 dollars. Les deux tiers de cette somme ont été utilisés pour l’achat et l’annulation d’une dette astronomique s’élevant à 14 700 000 de dollars et concernant principalement des frais médicaux. L’idée est d’ébranler ce système lui-même, non seulement en retournant sa perversion contre lui, mais aussi en faisant une critique du caractère illusoire et circulaire de la dette…
‘… David Graeber, un des membres fondateurs de Occupy Wall Street, écrit ceci : « Nous avons pu observer une tendance presque tout de suite. La très grande majorité des membres d’Occupy étaient, de près ou de loin, des victimes du système de dette américain… Grâce à l’essor de notre mouvement, nous avons pu aborder ce système pour ce qu’il est réellement, à savoir une immense machine d’extraction de dettes. Ces dettes sont la conséquence de l’action des riches qui nous privent de nos ressources, que ce soit ici ou bien à l’étranger. » À l’Ouest, les serfs, les esclaves, les colonies, les immigrants, les enfants qui travaillent ainsi que les femmes sont considérés comme des objets par les capitalistes. Une nouvelle sous-classe doit être créée. Les dettes sont des armes de choix. Les frais médicaux représentent plus de 60% des faillites aux Etats-Unis. Le montant colossal de la dette étudiante s’élève à 1200 milliards de dollars.
Pour toutes ces raisons, le débat au sujet de la privatisation détournée des services médicaux et éducatifs joue un rôle majeur aux Etats-Unis. L’extraction de bénéfices de ces deux domaines clés modifie fondamentalement le contrat social. Il n’est plus question que l’État vous éduque et vous garde en bonne santé, de façon à ce que vous continuiez de travailler pour payer des impôts supplémentaires. Désormais, « il s’agit d’emprunter de l’argent aux partenaires privés de l’État afin d’être éduqué et de rester en bonne santé, en continuant de contribuer aux bénéfices. » Il est très important d’observer que 99% de ces services travaillent en partie pour un tout un ensemble d’institutions financières qui sont largement invisibles et certainement irresponsables.
Cette étude fait apparaître les points suivants, qui ne sont pas négligeables:
– Les institutions financières ayant des débiteurs sont capables d’annuler presque toutes les dettes de ces derniers, récupérant quelquefois moins de 10% de leur valeur sans pour autant que cela ne leur porte préjudice.
– Les branches de recouvrement se sont développées grâce au comportement rigide de créanciers peu disposés à aider les débiteurs à refinancer ou réorganiser leur dette. Cette campagne, visant à dénoncer l’usure choquante de certains de ces créanciers et tentant d’établir, avec l’aide de l’Église et des syndicats, un système de prêt qui soit plus compatissant et plus accessible, néglige quelquefois de souligner que cette politique d’austérité – et ce, uniquement pour les personnes les moins favorisées – conduit de plus en plus de gens à s’endetter juste pour arrondir leurs fins de mois.
– Occupy a choisi de mettre l’accent sur les dettes causées par les frais médicaux aux États-Unis. Comme la volonté de privatiser le service de santé publique du Royaume-Uni continue de faire son chemin, au-delà des conflits d’intérêts du Parlement et d’une campagne médiatique visant à critiquer celui-ci, il demeure important de tenir compte de ce pas de fourmi qui ne se serait pas effectué sans l’exemple du système de santé américain.
– Les débiteurs pourraient-ils voir là un moyen de s’en sortir ? Pourraient-ils créer une coopérative achetant des dettes pour les annuler ? Bien sûr, ils seraient en concurrence avec des vautours mécontents de perdre leur part du gâteau. Aussi, il serait nécessaire de voir se développer un esprit de solidarité, puisque personne ne saurait au préalable le nom de celui qui verrait annuler sa dette. Mais cela marquerait un vrai changement pour le système économique impitoyable que nous connaissons aujourd’hui.
Traduction de l’anglais : Y.Le Don