Amérique Latine. Image : Wikimedia Commons

Par Oscar Fortin du blog humanisme.blogspot.fr

Le Chili est un bel exemple

Comment peut-on faire une telle affirmation (voir le titre) alors que la presse locale et internationale ne cesse de nous parler de cette grande démocratie qu’est devenu le Chili après la dictature de Pinochet? Ne venons-nous pas d’assister à une élection générale, pour la présidence du pays avec neuf candidats à la conquête de l’appui du peuple pour occuper cette prestigieuse fonction?

Dans tous les médias, on proclame la grande victoire démocratique, au premier tour, de la candidate Michèle Bachelet avec 45,5 % des voix. Sa plus proche concurrente, la candidate Evelyn Matthei, la suit avec 24,9 % des voix. La candidate Bachelet, n’ayant pas obtenu le 50,1 % des votes nécessaires pour être élue présidente dès le premier tour, devra faire de nouveau la lutte, le 15 décembre prochain, à sa plus proche adversaire.

Tout a l’allure de ce qu’il y a de plus démocratique. Pourtant, lorsque nous regardons les choses de plus près, nous réalisons que le peuple, fondement même de toute démocratie, n’y est pas.

J’ai interrogé Google pour avoir l’ensemble des données relatif à cette élection, surtout celle indiquant le taux de participation de l’électorat chilien ayant droit de vote. Sur ce dernier point, je n’ai eu aucune réponse. Je tire donc mon information d’un article publié en espagnol sur le site Rebelion et reproduit en français sur le site Mondialisation.

D’abord, disons que la démocratie se définit comme le pouvoir du peuple pour le peuple. Ce pouvoir s’exprime à travers des élus par le peuple qui prennent les commandes des pouvoirs de l’État pour les mettre au service des intérêts du peuple.

Alors, qu’advient-il de la démocratie lorsque le peuple ne retrouve plus dans les candidats qui lui sont présentés la crédibilité nécessaire pour aller voter pour eux? En d’autres mots, que peut-il faire lorsque le système de mise en candidature, celui de votation et de représentation ne font qu’accentuer l’illusion d’une démocratie, sans que celle-ci y soit vraiment?

Qu’en est-il de ces dernières élections au Chili, celles du 17 novembre 2013?

En démocratie, on ne peut négliger, lors des élections, le taux de participation du peuple dans le choix de ses représentants.  Dans le cas de la présente élection, le taux de participation fut de 48,7 % sur un électorat de 13 500 000 personnes, soit une participation totale de 6 576 948 électeurs et électrices. C’est dire que la majorité de la population n’est pas allée voter.

De ces électeurs et électrices qui sont allés aux urnes, la candidate Bachelet a reçu l’appui de 45,5 % d’entre eux, soit 2 992 511 personnes. Ce 45,5 % sorti des urnes devient 22,16 % lorsque mis en relation avec l’ensemble de l’électorat.

La candidate de l’opposition a reçu, pour sa part, 24,99 % des votes pour un total de 1 637 660 personnes.  Par rapport à l’ensemble de l’électorat, ça représente 12,13 % de ce même électorat.

Ainsi, le 15 décembre prochain le peuple chilien aura à choisir entre deux candidates dont le total des votes reçus au premier tour ne dépasse pas 34,29 % de l’électorat chilien. C’est dire que les 65 % de l’électorat (la grande majorité du peuple) qui n’ont pas voté pour l’une ou l’autre de ces deux personnes n’auront d’autres choix que de voter pour l’une ou l’autre ou encore de ne pas voter ou d’annuler leur vote.

Il y a évidemment un malaise démocratique qui n’est malheureusement pas unique au Chili et que l’on passe trop souvent sous silence. Qu’il suffise de mentionner le cas du Canada où le premier ministre Harper occupe ce fauteuil avec moins de 25 % de l’électorat canadien et moins de 40 % des électeurs et électrices qui sont allés voter.

Il s’agit, en somme, d’un système, type respirateur artificiel, assez bien tricoté pour que les peuples n’arrivent vraiment pas à imposer leur volonté. Il y a, évidemment, le « diviser pour régner », mais aussi la manipulation, la corruption, les médias et surtout une constitution faite à l’image et à la ressemblance de ceux et celles qui font de l’État l’outil indispensable pout assurer et défendre leurs propres intérêts. Le Chili est l’un des dix pays les plus inégalitaires dans le monde. Il ne faudrait surtout pas que les pauvres, souvent majoritaires, en arrivent à pouvoir réellement décider de leur destin.

Je me permets, à titre de comparaison, de vous présenter le vécu démocratique de trois pays de l’Amérique du Sud. Ces trois pays que sont le Venezuela, l’Équateur et la Bolivie ont ceci de particulier qu’ils ont en commun ce grand projet qu’on appelle la démocratie participative. Lors du Sommet des Amériques, réalisé à Québec, en 2000, Chavez avait proposé que l’on fasse de cette démocratie, celle de tous les pays d’Amérique. Évidemment, sa proposition n’a pas été retenue, et pour causes.

Il s’agit d’une démocratie qui implique le peuple avant, pendant et après les élections dans les grandes orientations politiques, économiques et sociales. Pas surprenant que dans ces pays la participation de l’ensemble de l’électorat dépasse les 76 %, allant dans certains cas jusqu’à 98 % comme ce fut récemment le cas en Équateur.

Voyons cela de plus près.

En Équateur les élections présidentielles du 17 février 2013 donnèrent les résultats suivants : sur 11.6 millions d’électeurs et d’électrices, 11 30 725 se sont rendus aux urnes pour voter, soit 98 %. Rafael Correa, le président sortant, a reçu l’appui de 56,7 % de ceux et celles qui sont allés aux urnes, soit 6 452 871 votes, ce qui correspond pour l’ensemble de l’électorat à 55,62 % de l’ensemble de l’électorat équatorien. De quoi faire réfléchir le Chili et bien d’autres démocraties.

Au Venezuela, il y a eu l’élection du 7 octobre 2012 à laquelle se présentait Hugo Chavez. Le taux de participation à ces élections a été de 80 % sur les 18 millions 460 mille 143 électeurs et électrices ayant le droit de vote. Chavez a remporté ces élections avec 55,15 % des suffrages exprimés, soit 8 062 056 votes en sa faveur. Son adversaire, Enrique Capriles, recueillit 6 468 450 votes, soit 44,13 % de ceux et celles qui sont allés voter.

Dans le cas de l’élection présidentielle d’avril 2013, mettant en présence Nicolas Maduro, désigné par Chavez avant de mourir, et Enrique Capriles, le candidat défait, en octobre 2012, le taux de participation a été de 79,17 % des 18 460 143 personnes ayant le droit de vote, soit une participation de 14 901 740 personnes qui sont allées aux urnes. Le candidat Maduro a obtenu 50, 75 % des votes de ces derniers, alors que son adversaire, Capriles ,en a reçu 48,97 %.

En Bolivie, les élections présidentielles de décembre 2009 convoitaient aux urnes 5 139 554  personnes ayant le droit de vote. Lors du scrutin, 4 859 440 personnes se présentèrent pour  voter, soit 94,5 % de l’électorat. Evo Morales reçu l’appui de 2 943 209 électeurs et électrices, soit 64, 2 % des votes ou si l’on veut 57,26 % de l’ensemble de l’électorat bolivien.

Dans ces trois pays, les peuples sont mobilisés et participent à la vie politique et sont mis à contribution dans l’exercice des pouvoirs de l’État. Il s’agit de peuples conscientisés et plus impliqués dans les politiques visant le bien commun de la majorité du peuple et non seulement de certains groupes privilégiés qui avaient l’habitude de se servir à même les ressources de l’État. Tous les trois ont été élus sous les anciennes constitutions qu’ils ont aussitôt soumises, une fois élus,  à une constituante pour en faire une constitution du peuple pour le peuple.Tous les trois ont été victimes de tentatives de coups d’État et continuent d’être constamment mis à l’épreuve d’actions criminelles de déstabilisation de leurs gouvernements. La propagande et les médias officiels les présentent comme des gouvernements autoritaires, anti-démocratiques.

Il n’est donc pas surprenant que leurs adversaires, ayant toujours une main mise forte sur de nombreux gouvernements et États de l’Amérique latine et des Caraïbes, craignent leur influence et l’arrivée en force de ces majorités que sont les peuples. Pour ce faire, tous les moyens sont bons pour garder le contrôle sur les partis politiques et les candidats qui se présentent aux élections. Ils ne favorisent pas l’éducation plus qu’il ne faut de crainte que l’accès au savoir devienne une source importante de conscientisation des peuples et les conduisent à s’impliquer massivement dans toute cette mécanique du système dont ils ont, pour le moment, le plein contrôle.  Au Chili, le vote était, il n’y a pas encore si longtemps, obligatoire. Cette obligation a été supprimée, Ce fait n’explique toutefois pas tout, puisque l’abstention peut également devenir, dans pareille circonstance, une manifestation contre un système qui ne le rejoint plus.

Lorsqu’un peuple, dans sa majorité, s’abstient de participer à une élection, les apôtres de la démocratie devraient se poser de sérieuses questions. Le plus paradoxal dans tout cela, c’est que ces chantres de la démocratie dénoncent la démocratie participative qui répond aux intérêts des peuples, et font l’éloge de cette démocratie qui n’a rien de démocratique. On comprend mieux pourquoi on ne souhaite pas trop que les jeunes de tous les milieux s’instruisent et prennent conscience de cette grande tromperie.

La majorité de nos pays, dits démocratiques, sont gouvernés par des partis politiques qui ont fait allégeances aux grands maîtres qui leur ont permis d’être là où ils sont. Ils sont davantage les élus de l’empire et des oligarchies que de leurs peuples. Il n’est pas illusoire de penser que la démocratie puisse servir en priorité les intérêts des peuples. Les pays émergents de l’Amérique latine nous en donnent des exemples tous les jours.