Par Jean-Marie Collin. “Blog Défense et Géopolitique, Alternatives-Internationales

La Loi de Programmation Militaire est en débat à l’Assemblée Nationale après avoir été voté au Sénat. Alors qu’un membre de l’Union pour un Mouvement Populaire porte un amendement contre la dissuasion nucléaire, Pierre Lellouche s’interroge également, mais, c’est Europe Écologie Les Verts et le Parti Communiste qui interpelle le ministre la Défense et qui leur répond…

M. Yves Fromion a déposé un amendement (DN22en son nom auquel il « associe l’ensemble des commissaires du groupe UMP ». Constatant la faiblesse d’entraînement des forces armées en raison « de l’insuffisance des moyens qui leur sont accordés », il a proposé de prélever « un milliard d’euros sur le programme 402 : Excellence technologique des industries de défense »  pour pallier à ce manque.

Or ce programme, comme le précise Mme la présidente Patricia Adam « finance les recherches nécessaires en matière de dissuasion et d’observation spatiale » ; un point bien noté par M. Fromion, d’ailleurs celui-ci prend soin de souligner que son « amendement ne concerne que l’action du programme 402 finançant la recherche en matière de dissuasion nucléaire. », non l’espace…

  • Réponse de Mme la Présidente Patricia Adam : « Encore mieux, venant d’un gaulliste comme vous ! »…
  • Contre-réponse : « Je considère en effet que le nucléaire peut sans doute consentir un léger décalage dans le temps au profit de la priorité assumée de l’entraînement. »

M. Pierre Lellouche de l’UMP regrette que le « budget soit en quelque sorte examiné à huis clos » et mentionne sa crainte que cela conduise « tout droit à un choix entre forces de dissuasion et forces de projection, qui commencent à être réduites de façon significative »… Clairement, il pose donc la question de la nécessité d‘un débat sur le budget de la dissuasion nucléaire. Dans le but de recadrer rapidement les débats et de surtout ne pas l’ouvrir, Mme la présidente Patricia Adam indique que « cette commission ne se déroule pas à huis clos : elle est ouverte à la presse et retransmise en direct. »….

Avec ces deux interventions, serions-nous en train d’assister à la naissance, au sein de l’UMP, d’un début de prise de conscience de la nécessité d’avoir un réel débat sur la dissuasion nucléaire.

Extrait de l’intervention de M. Jean-Jacques Candelier : « Il est indispensable que s’ouvre une réflexion sur les coûts et l’utilité de la force nucléaire au moment où la communauté internationale pousse pour la mise en œuvre d’un traité d’interdiction des armes nucléaires, invoquant les conséquences humanitaires catastrophiques en cas d’utilisation de ces armes ».

Le Député Candelier semble donc l’un des très rares parlementaires au courant de l’actualité internationale. On ne peut que s’en féliciter :

  • Il évoque la mise en œuvre d’un traité d’interdiction, dont les réflexions et les travaux sont de plus en plus importants dans différentes instances onusiennes (lire notamment OEWG)
  • Il rappelle le sujet des « conséquences humanitaires » utilisé le 21 octobre lors des débats thématiques sur « les armes nucléaires » de la première Commission de l’ONU, 125 Etats ont soutenu la résolution de la Nouvelle Zélande qui portait sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires et qui mentionnait les profondes préoccupations de ces États quant aux conséquences de l’explosion intentionnelle ou accidentelle d’un engin nucléaire.

« Il faut mettre un terme à la course à l’armement nucléaire […] et négocier un désarmement nucléaire généralisé. Cela implique d’arrêter les programmes de modernisation de notre arsenal et de supprimer, comme première étape, la force nucléaire aéroportée. Quel est le coût précis de cette composante aéroportée dans le budget pour 2014 ? »

La modernisation des forces nucléaires est posée. Il est vrai, que des interrogations sont légitimes quand on sait, qu’entre 1997 et 2010, 4 nouveaux SNLE-NG ont été mis en service avec 2 types de missiles différents (M45, M51.1) et qu’entre 2010 et 2020, trois de ces quatre sous-marins vont subir une refonte pour être adapté à un missile (M51.1) qui sera alors produit en dans une nouvelle version (M51.2) ; un financement étant déjà mis en œuvre pour une version M51.3 ! Quand à la seconde composante la question est encore posée…

Extrait de l’intervention de M. François de Rugy : « Au mois d’avril dernier, j’avais exprimé les réserves du groupe écologiste sur le Livre Blanc sur la défense, considérant qu’il s’inscrivait trop dans la continuité du précédent. Les crédits d’équipement en légère augmentation témoignent du maintien de la force nucléaire de dissuasion comme priorité. Je ne vous apprends rien, c’est une analyse que nous ne partageons pas, comme d’ailleurs de plus en plus de hauts responsables politiques [P. Quilès, M Rocard, J.Carter, ….] et anciens militaires [B. Norlain, C. Powell, J. Cartwright, ….]. Je m’étonne de l’absence totale de débat au Parlement à ce sujet alors que les questions ne manquent pas :

  • En quoi la modernisation de notre composante aéroportée, qui devrait nous coûter, cette année encore, plus de 300 millions d’euros, est-elle pertinente, sachant que 90 % de la dissuasion est assurée par les sous-marins ?
  • Quel est le coût réel de la dissuasion nucléaire dans son ensemble ? Le ministère l’estime à environ 3,5 milliards d’euros, mais cette enveloppe ne concerne que le cœur de la dissuasion, non son environnement – vecteurs, essais, cycles de maintien en condition opérationnelle. Au total, la note pourrait s’élever à plus de 4,5 milliards d’euros. Confirmez-vous ce chiffre, monsieur le ministre ?»

Réponse du Ministre  sur le débat : « Le débat sur la dissuasion a eu lieu au moment de l’élaboration du Livre blanc, monsieur de Rugy ».

Honnêteté : Que l’on soit en faveur de conserver une dissuasion nucléaire ou en faveur d’un processus de désarmement nucléaire multilatéral, comment est-il possible que le Ministre puisse répondre qu’il y ait eu un débat sur la dissuasion lors du  dernier Livre blanc !  Le président hollande avait explicitement indiqué dans sa lettre de mission (juillet 2012) adressée à JM Guehenno (président de la commission du Livre Blanc) avoir “déjà confirmé le maintien, de la stratégie de la dissuasion nucléaire.” !

Conséquence logique, les débats de la LPM 2014/2019 sont bien l’unique occasion de pouvoir débattre du coût, de l’utilité de la dissuasion nucléaire, de sa modernisation constante, du respect des engagements internationaux, … Dans le cas contraire, cette LPM, entérinera une absence de réflexion – souhaitée par le Livre Blanc – et poursuivra par extension une politique mise en place par le Président Sarkozy….

Source : http://alternatives-economiques.fr/blogs/collin/2013/10/29/assemblee-nationale-et-loi-de-programmation-militaire/