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Par André Le Mer – Intal
Depuis un an, le gouvernement et les FARC négocient la paix. Dans le même temps, saisissant cette opportunité de solutionner une fois pour toutes le conflit qui ravage le pays, la population est descendue en masse dans les rues pour faire pression sur les négociateurs et mettre ses propres revendications à leur agenda. Je me suis entretenu avec Ligia Uribe, réfugiée colombienne, membre d’intal et militante pour la paix.
Peux-tu nous rappeler le contexte dans lequel interviennent ces négociations de paix ?
Ligia Uribe. Álvaro Uribe Vélez, président de la Colombie entre 2002 et 2010, affirmait, dans son langage intransigeant et guerrier, que la paix en Colombie n’était possible qu’au prix de la guerre totale et de l’éradication des FARC (guérilla marxiste). Il a voulu convaincre le monde entier que la majorité des Colombiens étaient favorables à une issue militaire au conflit qui dure depuis plus de 60 ans.Cependant, les manifestations massives de paysans, d’ouvriers, d’étudiants, de chômeurs, de travailleurs de la santé, de défenseurs des droits de l’Homme, observées ces derniers mois dans le pays et qui demandent toutes la paix avec la justice sociale, nous prouvent le contraire. Une majorité de Colombiens est favorable à une issue pacifique du conflit. Le garant de cette paix doit être un État qui offre des opportunités égales pour tous et la justice sociale.
La situation sociale que connait la Colombie est intimement liée à la mise en œuvre, dans le feu et le sang, d’une politique économique en vertu de laquelle les intérêts des multinationales, soutenus par les dirigeants des États-Unis, du Canada, d’Israël et de nombreux pays européens, avec la complicité active des propriétaires fonciers, des financiers, des industriels et de l’establishment politique colombiens, imposent les règles du jeu à leur propre profit. Et ce, au détriment des couches populaires qui sont victimes d’une des inégalités les plus criantes du continent. Les paysans sont les plus durement touchés car plus de 5 millions d’entre eux ont été contraints, souvent par des paramilitaires liés à l’extrême droite, de quitter leurs terres pour laisser le champ libre aux grandes entreprises minières et aux multinationales de l’agro-business(1). C’est cette spoliation systématique de la paysannerie colombienne qui est à l’origine de la guerre civile qui ravage le pays depuis 50 ans. Et c’est pour cela que le premier point à l’agenda des négociateurs de La Havane (gouvernement colombien et FARC) était celui de la réforme agraire.
Quelle importance occupe le conflit colombien dans le contexte latino-américain ?
Ligia Uribe. Actuellement, deux réalités opposées l’une de l’autre déterminent la condition des peuples d’Amérique latine. Il existe un bloc de gouvernements progressistes, autour de l’ALBA(2), qui tentent de se libérer de la domination des multinationales et de l’impérialisme en promouvant et en stimulant un modèle de développement économique et social visant à améliorer la qualité de vie de la population, grâce à un développement équilibré, à la défense de l’écosystème, à la souveraineté alimentaire, à l’éducation et à la santé, autant d’éléments propres à garantir la paix des peuples.
La Colombie, quant à elle, suit pour le moment le bloc qui est soumis aux multinationales, aux États-Unis et à l’Union Européenne. Le Traité de libre-échange avec les États-Unis ainsi que celui qui a été récemment signé avec l’Europe aggravent les conditions de vie et de travail des travailleurs, particulièrement celles des paysans pauvres. Ces traités ne visent que la maximisation des profits par l’investissement de capitaux qui permettent aux multinationales d’exploiter les travailleurs pour des salaires de misère et de s’approprier la terre et les richesses naturelles. Voilà un obstacle majeur sur la voie de la paix.
Pour le président colombien actuel Juan Manuel Santos, le modèle économique est irréversible, il ne peut être négocié. Dans ces conditions, si le conflit trouve son origine dans le modèle économique d’accumulation pour quelques-uns et de sous-développement pour la grande majorité des autres, comment peut-on prétendre arriver à la paix ?
Quelles sont les conditions sine qua non pour qu’un accord de paix puisse être obtenu ?
Ligia Uribe. Les pourparlers de La Havane réussiront si toutes les organisations rebelles sont présentes autour de la table et surtout si elles sont entendues. Si la lutte populaire, la lutte des paysans et celle des ouvriers, des étudiants, des chômeurs (25 % de la population), des petits vendeurs ambulants demeure organisée et unie, avec un projet clair de paix avec justice sociale; alors, nous pourrons arracher cette victoire. La paix est un droit des peuples. La plus large unité des couches populaires est déterminante aujourd’hui. Les divisions parmi les leaders de celles-ci ne peuvent plus être tolérées.
Par ailleurs, nous lançons un appel aux peuples européens. Le processus de paix a besoin de notoriété publique internationale pour que ses interlocuteurs ne soient pas tentés de jeter l’éponge si d’aventure les négociations piétinaient. Nous lançons un appel à ceux qui croient que seule la paix dans la justice sociale peut apporter le développement pour les peuples, pour qu’ils se rangent aux côtés du mouvement de la paix en Colombie, qu’ils demandent à leurs propres parlementaires, dans chaque pays européen, de s’opposer à la signature du traité de libre-échange dans les conditions tel qu’il a été élaboré. Il suffit qu’un seul pays de l’Union Européenne ne signe pas le traité pour que celui-ci ne puisse entrer en vigueur.
La paix est une question qui concerne tous les habitants de la planète. Nous les Colombiens, nous croyons que la paix est possible, avec l’appui et la solidarité de gouvernements amis de la paix qui soutiennent ce processus de dialogue de La Havane, de tous les peuples qui comprennent que la paix est indispensable pour le développement et le bien-vivre de notre pays, la Colombie.
Intal mène depuis deux ans une campagne d’envergure contre le traité de libre-échange UE – Colombie – Pérou. (TLC par ses sigles en espagnol). Après avoir fait campagne auprès des euro-parlementaires belges, il se mobilise maintenant pour demander un vote contre le TLC de la part des différents parlementaires régionaux de notre pays.
Notes
1. La population déplacée a été contrainte d’abandonner 5,53 millions d’hectares de terres.” (PNUD:2009)
2. Alliance progressiste fondée en 2004 par Fidel Castro et Hugo Chávez et qui regroupe, outre Cuba et le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua et quelques petits pays des Caraïbes.
Source : http://www.intal.be/fr/blogs/andre/colombie-%C2%AB-la-paix-est-un-droit-des-peuples-%C2%BB