Le 13 novembre 2002, le pétrolier “Prestige” coulait au large des côtes galiciennes, dans le nord de l’Espagne, déversant un pétrole hautement toxique qui pollua une partie de la côte atlantique de France et d’Espagne, dans ce qui est considéré comme l’une des pires catastrophes environnementales [anglais] de l’histoire.
Onze ans plus tard, dont dix d’enquête et neuf mois de procès, le Tribunal supérieur de Galice a acquitté trois des accusés : le capitaine du navire, Apostolos Mangouras ; le chef-mécanicien, Nikolaos Argyropoulos ; et le directeur général de la marine marchande de l’époque, José Luis López Sors, de tout crime contre l’environnement. Un quatrième accusé, l’officier en second du navire, court toujours.
La catastrophe se produisit lorsque, pour des causes inconnues, un des réservoirs du pétrolier s’est trouvé perforé près de la « Côte de la Mort. » Le capitaine demanda aux autorités espagnoles l’autorisation d’accoster, mais reçut interdiction d’approcher le pétrolier du rivage de peur que la fuite ne pollue le port. La même réponse lui fut donnée par les autorités portugaises et françaises. Le Prestige fut contraint de retourner en haute mer avec une coque percée en pleine tempête, ce qui allait provoquer ensuite son naufrage et la marée noire massive qui a suivi.
Le pétrolier Prestige sur le point de sombrer après s’être cassé en deux. Photo du blog Ecología Verde, utilisée sous licence CC by NC 3.0
Selon le blog espagnol El ojo Sostenible (L’oeil durable) :
- La catastrophe du Prestige a été la plus grande catastrophe de ce type en Europe et la deuxième mondiale après l’Exxon Valdez en Alaska.
- 2.000 km de côtes ont été affectées et entre 250.000 et 300.000 oiseaux sont morts.
- Le coût du nettoyage a grimpé à plus de dix milliards d’euros.
La nouvelle de l’acquittement a fait le tour du monde, dans des publications comme Al Jazeera[anglais], The Telegraph [anglais], The Times [anglais], BBC [anglais], The New York Times [anglais], Le Monde [français] et Der Spiegel [allemand]. En Espagne, le verdict a scandalisé les citoyens, qui ont donné libre cours à leur indignation sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, “Prestige” est resté plusieurs jours en tête de tendance :
Affaire “Prestige” : De tous en prison à tous libres ! Vive le vin !
10 ans à attendre le jugement du Prestige. La Justice est lente, mais injuste.
Le Prestige s’est suicidé.
Gonzalo Semprún a tweeté un dessin politique de Manel Fontdevila montrant le juge sortir de la salle d’audience du tribunal. Quelques oiseaux mazoutés l’observent du coin de la rue. “Comment tu as dit que s’appelait ce film ?” demande un oiseau à un autre. “Les Oiseaux”, lui répond ce dernier :
Manel Fontdevila : Il n’y a pas de coupables du Prestige.
Des tweets ont fait des comparaisons et relevé la disparité de traitement entre cette affaire et d’autres. Alba Martín Tutor cite le cas récent d’un cycliste de Sabadell a écopé d’une amende [anglais] pour avoir mangé un croissant en roulant :
Dans ce pays nous sommes des imbéciles : une amende de 200 euro pour un homme qui mange un croissant en roulant à bicyclette, et rien dans l’affaire du Prestige.
L’utilisatrice de Twitter Verónica fait le rapprochement avec une affaire en cours [anglais] à Gérone, dans laquelle une pianiste professionnelle est poursuivie en justice pour bruit excessif par sa voisine du dessous, qui prétend que sa pratique du piano lui a causé un dommage psychologique. Le procureur a d’abord requis sept ans de prison, qu’il a ensuite réduits à 20 mois :
Jouer du #piano : pollution accoustique et 7 ans de prison. Le #Prestige pollue avec 63.000 tonnes de fuel et ce n’est pas un délit #verguenzadejusticia [honte judiciaire]
Pablo Correas Tébar a relevé une affaire dans laquelle cinq personnes risquent la prison pour l’agression présumée de policiers pensant une manifestation à Guadalajara contre les coupes budgétaires dans l’enseignement :
Le Prestige case : pas de coupables ; défendre l’éducation publique ? Quatre ans de prison requis #MarcaEspaña [Marque Espagne]
Iván Pandora a écrit sur son blog en espagnol La Caja de Pandora (La boîte de Pandore) :
Dans la région de Muxía, des volontaires travaillent au nettoyage du pétrole déversé par le tanker Prestige. Photo de eldiario.es utilisée sous licence CC by SA
Il semble que le fait que ce bateau (monocoque), qui selon les experts était vétuste et doté d’équipements de sécurité plus que précaires, avait l’autorisation de naviguer le long des côtes galiciennes n’est pas punissable.
La décision controversée d’alléger le navire et de répandre pendant des heures sur toute la côte, ne l’est pas non plus.
La très mauvaise gestion des autorités et la lenteur pour ne pas dire l’incurie ne paraît pas mériter la moindre excuse officielle.
Le blogueur Juantxo López de Uralde déplore que les premiers responsables de la catastrophe n’aient jamais été inquiétés :
Le procès s’est achevé sans qu’aucun des responsables politiques réels de cette tragédie ne s’asseoient sur le banc des accusés. (…) Mais ce n’est pas seulement la faute des politiques qui appelle notre attention ; il faut aussi se demander comment il est possible qu’aucun des responsables du fuel, de l’affrètement, de la compagnie propriétaire du vaisseau… n’aient été sur le banc des accusés. Mais il est particulièrement douloureux que reste impunie la négligence criminelle de ceux qui ont envoyé le pétrolier à tous les diables.
Le groupe écologiste militant Nunca Máis [Plus Jamais, en espagnol], qui s’est formé en réaction à la catastrophe du Prestige, a décidé de ne pas faire appel du jugement, et la coopérative de pêcheurs de la région envisage de renoncer de même, à cause de l’énormité des frais de justice [espagnol]. Selon El Confidencial [espagnol], les perdants de la catastrophe sont les contribuables :
Des bénévoles nettoient la plage de Carnota (La Coruña). Capture d’écran de la vidéo «Historias del Chapapote» [Histoires de goudron] utilisée sous licence CC by SA 3.0
Le verdict considère que les trois seules personnes poursuivies pour l’accident ne sont pas coupables, et donc on ne peut exiger de personne la responsabilité civile. La conséquence la plus importante est que les assureurs de l’armateur ne couvriront pas les coûts générés par le nettoyage de la côte. (…) Le Parquet a chiffré à 4.328 millions d’euros les coûts et dommages (…). Mais le jugement exclut toute réclamation économique.
La facture pourrait s’alourdir si les projets des Français [espagnol] de réactiver le recours administratif du Syndicat de protection côtière des Landes, le département français affecté par la marée noire, devant l’Audience Nationale sont couronnés de succès. Leur avocat, Renaud Lahitète a fait savoir :
Nous avons présenté le recours le lendemain de l’arrivée du fuel sur nos côtes par précaution, pour pouvoir agir au cas où il serait jugé qu’il n’y a pas eu délit pénal, comme le verdict le dit aujourd’hui.
Greenpeace Espagne considère cette décision comme “un blanc-seing à l’industrie pétrolière de mettre en danger l’environnement et les citoyens.” Le directeur de campagne de l’organisation, María José Caballero a déclaré [espagnol]:
La sentencia demuestra que en España no estamos preparados para juzgar una catástrofe medioambiental, ni para condenarla, ni para defender el medio ambiente.
Le verdict démontre qu’en Espagne nous ne sommes pas préparés à juger une catastrophe environnementale, ni pour la condamner, ni pour défendre l’environnement.
Source : http://fr.globalvoicesonline.org/2013/11/21/157309/