Finian Cunningham (*)
Le Prix Nobel de la Paix devrait être rebaptisé Prix Nobel de la Propagande après l’attribution cette année de la récompense toujours aussi artificielle à l’équipe de spécialistes en armes chimiques agréée par l’ONU pour désarmer la Syrie. Parmi les autres lauréats douteux du prix « illustre », on trouve le criminel de guerre présumé et ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger, qui a supervisé le bombardement génocidaire intensif de l’Indochine dans les années 1970.
Plus récemment, un autre criminel de guerre présumé, le président américain Barack Obama, fait partie des lauréats malgré son recours continu aux assassinats et aux agressions meurtrières dans plusieurs pays, dont l’Iran, la Libye, la Corée du Nord, la Somalie, le Yémen et la Syrie.
Un comité norvégien de neutralité apparemment scandinave décide de la remise du prix tous les ans, et il le fait depuis plus d’un siècle, depuis 1901. Le prix fut créé par Alfred Nobel, un important marchand d’armes. Cela en soi en dit long sur la nature contradictoire de l’Institution.
L’an dernier, le lauréat du prix Nobel fut encore une autre honte à la morale et au bon sens, sous la forme de l’Union européenne. Comment un bloc de gouvernements peut-il être considéré comme pacifique quand il réduit à néant les services sociaux de base de millions de ses citoyens pour le compte de banques criminelles et d’une élite privée richissime ? Ou quand il lève un embargo sur les armes des extrémistes qui se déchaînent en Syrie ? Ou lorsqu’il est de mèche dans l’application de sanctions économiques paralysantes contre l’Iran – sur la base de calomnies nucléaires concoctées par le renseignement militaire occidental -, des sanctions qui tuent des femmes et des enfants par manque de médicaments vitaux ?
Même s’il y a eu au fil des ans quelques lauréats qui méritaient le prix Nobel de la Paix, il est néanmoins préférable de traiter cette institution avec scepticisme, sinon dérision. Les aspects méritoires du prix peuvent servir à donner du crédit à des associés douteux et déplorables. En cela il est davantage le Prix de la Propagande que le Prix de la Paix.
Le récipiendaire de cette année, l’équipe d’inspection appartenant à l’Organisation pour l’Interdiction des Armes chimiques [Organization for the Prohibition of Chemical Weapons, OPCW], n’a commencé son travail de démantèlement des stocks que la semaine dernière en Syrie, dans le cadre de l’arrangement que la Russie a proposé le mois dernier pour éviter qu’une guerre illégale d’agression ne soit planifiée par le lauréat du Prix Nobel de la Paix Barack Obama. Le gouvernement syrien du Président Bashar al-Assad a pleinement adhéré à ce processus de désarmement.
Cependant, il est précoce, pour dire le moins, d’attribuer le Nobel à l’OIAC, tout comme il était prématuré que le comité basé à Oslo donne la récompense à Obama en 2009, à peine quelques mois après sa première élection et avant qu’il se soit révélé être un des présidents américains les plus bellicistes depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Comment savons-nous que l’OIAC sera efficace pour désarmer les armes chimiques des groupes mercenaires soutenus par l’Occident pour renverser le gouvernement Assad ? Comment savons-nous que l’OIAC n’abusera pas malicieusement de son mandat et de son statut de Prix Nobel pour faire avancer le récit de la propagande occidentale contre le gouvernement syrien ?
L’attribution d’un prix de la paix fondée sur aucun antécédent solide fait craindre que l’institution et ses connotations bienveillantes ne sont utilisées pour inculquer un programme politique répréhensible.
On peut voir la même formule de propagande insidieuse d’une vertu supposée cachant le vice dans le rapport, cette semaine, du groupe Human Rights Watch basé à New-York sur les massacres perpétrés en Syrie par des miliciens soutenus par l’étranger. Ce rapport accuse jusqu’à 20 groupes liés à Al-Qaïda, dont Al-Nusra et l’Etat islamique d’Irak et Shams, d’avoir tué des dizaines de civils dans la province de Lattaquié, à l’ouest de la Syrie, début août.
Ce témoignage apparemment accablant provenant d’une organisation occidentale pour les droits de l’homme peut sembler être un développement positif. Mais comme avec le Prix Nobel de la Paix, il y a un danger très réel que le rapport de HRW serve simplement à blanchir les crimes des gouvernements occidentaux.
Pour commencer, le rapport de HRW affirme qu’il a trouvé « la première preuve des crimes contre l’humanité des forces de l’opposition. » Ce qui laisse entendre que les atrocités précédentes sont imputables aux forces syriennes gouvernementales. C’est tout simplement faux. De nombreuses sources fiables ont révélé que la plupart, sinon tous les grands massacres dans les villes et villages à travers la Syrie, au cours des deux dernières années, ont été commis par des groupes de mercenaires anti-gouvernementaux.
Les médias occidentaux et les groupes de défense des droits de l’homme, y compris Human Rights Watch et Amnesty International, ont délibérément ou par incompétence faussement attribué ces crimes aux forces gouvernementales syriennes, ce qui sert ensuite à conférer une fausse autorité morale aux gouvernements occidentaux pour leur intervention illicite en Syrie.
Par exemple, à la fois le HRW et la chaîne publique de Grande-Bretagne, la BBC, ainsi que la Voix de l’Amérique, du gouvernement états-unien, ont diffusé des rapports disant que les forces de l’Etat syrien avaient mené des bombardements au Napalm sur des écoles à Raqqa et Alep, au nord du pays. Ces rapports étaient basés sur des vidéos amateur non vérifiées diffusées par des soi-disant groupes de l’opposition, comme Ahrar al-Sham, qui ont été eux-même impliqués dans la perpétration d’atrocités comme dans la province de Lattaquié, en août dernier.
HRW et les médias occidentaux continuent d’accuser le gouvernement syrien pour l’incident à l’arme chimique du 21 août près de Damas. HRW a publiquement attaqué d’autres sources crédibles, qui ont rapporté que cet incident était une fabrication odieuse très probablement perpétré par des militants soutenus par l’Occident dans une provocation calculé.
Il y a de fortes suspicions, étayées par des preuves circonstancielles et des témoignages, que les enfants présentés comme ayant été empoisonnés dans les vidéos diffusées par l’opposition de l’incident du 21 août à l’est de Ghouta, près de Damas, ont été kidnappés par des miliciens au cours de leurs raids terroristes contre des villages autour de Lattaquié pendant les semaines précédentes. Leurs morts ont donc été mises en scène à des fins de propagande ignoble, qui a permis aux gouvernements, aux médias et à l’industrie des droits de l’homme occidentaux de fustiger Bashar al-Assad, pour aboutir finalement à la nomination d’une équipe d’inspection de l’OIAC et, bizarrement, à leur attribution du Prix Nobel.
Le dernier rapport de HRW sur les massacres de Lattaquié note que plus de 200 personnes, principalement des femmes et des enfants, sont toujours portées manquantes après ces attaques. Mais le HRW n’aborde pas le lien criant avec les petites victimes anonymes filmées dans l’incident de Ghouta Est.
Un autre effet de la propagande pernicieuse du rapport de HRW sur les massacres par des miliciens à Lattaquié est qu’il renforce l’illusion qu’en Syrie, les miliciens sont divisés entre les « mauvais extrémistes » et les « bons modérés », que les gouvernements occidentaux soutiennent. HRW dit qu’il n’a trouvé aucune preuve reliant la soi-disant Armée syrienne libre soutenue par l’Occident aux atrocités de Lattaquié. Ceci est cependant contredit par des rapports précédents selon lesquels le leader de l’Armée syrienne libre, le général Salim Idris, le « chouchou » modéré des gouvernements occidentaux, était à Lattaquié pendant les carnages. Non seulement il était présent à Lattaquié, mais il a été filmé célébrant « le succès » des opérations.
Le 11 août, le New York Times rapportait : « La visite du général Salim Idris, commandant de l’Armée syrienne libre, semble avoir eu pour objectif de montrer que lui et ses combattants étaient aussi impliqués dans les prises [sic] à Lattaquié dans le cadre d’un nouveau front dans la guerre civile. » Cet article ajoutait qu’Idris se vantait des « réalisations » dans une vidéo.
Le groupe Human Rights Watch ne constitue donc pas une contribution positive à la clarification du brouillard de la guerre que l’Occident a injecté sans relâche sur la Syrie – loin de là. HRW est une partie profonde et insidieuse du problème. En fait, le groupe blanchit la très réelle implication criminelle des gouvernements et des médias occidentaux dans la guerre secrète d’agression contre la Syrie.
Les prix Nobel de la Paix peuvent sembler anodins. Mais ils sont une partie centrale de la machine de propagande occidentale, autant que le MI6, la CIA, le Mossad, le Pentagone, la Maison Blanche et toute la panoplie des médias occidentaux d’information aux titres augustes, comme la BBC et le New York Times.
(*) Finian Cunningham est né en 1963 à Belfast, en Irlande. Il est un expert éminent en affaires internationales. Auteur et commentateur, il a été expulsé du Bahreïn en juin 2011 pour ses articles critiques dans lesquels il soulignait les violations des droits de l’homme par le régime soutenu par l’Occident. Il est titulaire d’une maîtrise en chimie agricole et a travaillé comme rédacteur scientifique de la Royal Society of Chemistry, Cambridge, en Angleterre, avant de poursuivre une carrière dans le journalisme. Il est également musicien et compositeur. Pendant de nombreuses années, il a travaillé comme rédacteur en chef et écrivain dans les grands médias, y compris The Mirror, Irish Times et The Independent. Il vit maintenant en Afrique de l’Est où il écrit un livre sur le Bahreïn et le Printemps arabe. Il co-anime une émission hebdomadaire d’actualité, le dimanche à 15 heures GMT sur Bandung Radio.
Traduction MR pour ISM :
http://www.ism-france.org/analyses/Le-Prix-Nobel-de-la-Paix-ou-Prix-Nobel-de-la-Propagande-occidentale-article-18475
Article original : Press TV