Sept anciens ministres, diplomates et hauts fonctionnaires de l’ONU et d’institutions internationales saluent la reprise, ce 15 octobre, des négociations sur le nucléaire iranien. Dans une tribune adressée à Mediapart, ils plaident pour une nouvelle diplomatie de l’Occident, seule à même de résoudre le conflit en Syrie et de réintégrer l’Iran dans le jeu international.
En février 1972, Richard Nixon fit une visite « surprise » en Chine, reconnut le gouvernement communiste de Mao et ouvrit la porte aux relations plus ou moins pacifiques qui ont prévalu depuis lors entre la Chine et les Etats-Unis. Bien que Nixon ait commencé sa carrière politique lors des campagnes anticommunistes qui firent suite à la « perte de la Chine » en 1949, il suivait là le Général De Gaulle, qui avait établi des relations diplomatiques avec la Chine huit ans plus tôt, en 1964, parce que, comme disait De Gaulle, il faut reconnaître « le monde tel qu’il est » et parce que « avant d’être communiste, la Chine est la Chine ».
Un an plus tard, Nixon et Kissinger ont signé les accords de Paris qui mirent officiellement fin à la guerre américaine au Vietnam. En 1963, une solution à la crise des missiles de Cuba fut trouvée par Kennedy et Khrouchtchev en acceptant, du côté soviétique, le retrait des missiles de Cuba et, du côté américain, en promettant de ne pas attaquer Cuba et en retirant des missiles de Turquie.
Tous ces événements changèrent le cours de l’histoire, firent reculer le risque de guerre globale et nous éloignèrent de confrontations sans fin. Il faut néanmoins se souvenir que ni la Chine, ni l’Union Soviétique, ni le Nord Vietnam n’étaient démocratiques et, qu’en fait, ils l’étaient bien moins que l’Iran aujourd’hui. De Gaulle, Kennedy, Nixon et Kissinger n’étaient pas amis du communisme et, de l’autre côté, Khrouchtchev, Mao et les Vietnamiens n’avaient aucune sympathie pour le capitalisme et l’impérialisme occidental.
La paix ne se fait pas entre amis mais entre adversaires. Elle se fonde sur la reconnaissance de la réalité. Quand des pays ou des idéologies sont en conflit, il n’y a que deux solutions : la destruction totale d’un des côtés, comme Rome avec Carthage, ou la paix et les négociations. Comme l’a montré l’histoire, dans le cas de la Chine, de l’Union Soviétique et du Vietnam, la paix a été la condition qui a rendu possible l’évolution interne de ces pays.
Au cours de ces dernières décennies, au moins au Moyen-Orient, l’Occident a oublié ce que la diplomatie voulait dire. Au contraire, il a choisi la ligne de « destruction totale de l’ennemi », qu’il s’agisse de Saddam Hussein en Irak, de Kadhafi en Libye, du régime d’Assad en Syrie ou de la république islamique d’Iran. Cette ligne repose sur de l’idéologie : un mélange de fondamentalisme des droits de l’homme et de soutien aveugle à la « seule démocratie dans la région », Israël. Mais elle a été un échec total : cette politique n’a rien apporté à l’Occident et n’a causé que d’immenses souffrances aux populations qu’elle prétendait aider.
Il y a des indices que la situation est en train de changer. Les peuples américains et britanniques, ainsi que leurs représentants, ont rejeté une nouvelle guerre avec la Syrie. La Russie, les Etats-Unis et la Syrie se sont mis d’accord sur les armes chimiques syriennes. Le président Obama fait des pas en direction de négociations honnêtes avec l’Iran.
Tous ces développements naissants doivent être poursuivis avec énergie. La seconde conférence de Genève sur la Syrie doit inclure toutes les parties internes et externes au conflit. Ce n’est que de cette manière qu’une telle conférence pourrait devenir une étape importante en vue de trouver une solution à la tragédie de ce pays ravagé par la guerre. Les sanctions injustes contre l’Iran, comme cela avait été le cas des sanctions contre l’Irak, frappent sévèrement des populations et doivent être levées au plus tôt.
Le premier ministre israélien Netanyahou et ses partisans sont fermement opposés à ces pas faits en direction de la paix. Mais ils doivent se rendre compte qu’il y a des limites à notre volonté de « protéger » Israël si ce pays ne fait aucun effort pour vivre en paix avec ses voisins. Et on pourrait commencer à poser des questions à propos du plus gros éléphant dans la pièce : les armes de destruction massive israéliennes. Pourquoi ce pays devrait-il être le seul dans la région à en posséder ? Si sa sécurité est sacro-sainte, qu’en est-il de la sécurité des Palestiniens et des Libanais ? Et pourquoi les Etats-Unis, pris dans une grave crise financière, doivent-ils entretenir un pays qui ignore superbement toutes leurs demandes, par exemple d’arrêter les implantations dans les territoires occupés ?
L’Occident doit comprendre qu’avant d’être baathiste ou islamiste, ou communiste dans le temps, les pays sont habités par des gens qui partagent notre humanité commune, avec le même droit à la vie, indépendamment de leur idéologie. L’Occident doit faire prévaloir le réalisme qui unit sur l’idéologie qui divise. C’est seulement ainsi que nous réaliserons nos véritables intérêts, qui présupposent des relations pacifiques entre systèmes sociaux différents et le respect mutuel pour la souveraineté nationale.
Ultimement, nos intérêts bien compris coïncident avec ceux du reste du genre humain.
Hans-Christof von Sponeck, Secrétaire général adjoint de l’ONU ; Coordinateur humanitaire des Nations Unies en Irak (1998-2000).
Denis J. Halliday, Secrétaire général adjoint de l’ONU (1994-1998).
Miguel d´Escoto Brockmann, Président de l’Assemblée générale des Nations-Unies, (2008-2009). Ministre des Affaires étrangères du Nicaragua (1979-1990).
Mahdi Elmandjra, Sous-directeur général de l’UNESCO pour les sciences sociales, les sciences humaines et la culture (1966-1969) ; Sous-directeur général de l’UNESCO pour la prospective (1971-1976).
Saïd Zulficar, Fonctionnaire de l’UNESCO (1967-1996). Directeur des Activités opérationnelles, Division du Patrimoine Culturel (1992-1996).
Samir Radwan, Fonctionnaire OIT (1979-2003). Conseiller du Directeur général de l’OIT sur les politiques de développement (2001-2003). Ministre égyptien des Finances, janvier-juillet 2011.
José L. Gómez del Prado, Ancien Fonctionnaire du Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies, Membre du Groupe de travail des Nations Unies sur l’utilisation des mercenaires (2005-2011).