Par Emmanuel Poilane, Directeur de France Libertés – Fondation Danielle Mitterrand

Cette semaine a eu lieu le dialogue de haut niveau sur les migrations et le développement à l’ONU, avec la participation de la Fondation France Libertés dans le cadre de l’Organisation pour une Citoyenneté Universelle. Je profite de cette occasion pour apporter un éclairage sur la réalité des migrations et la nécessaire évolution des politiques sur le sujet.

Notre monde change et cette mutation s’accélère.

Les conflits, les révolutions et les évolutions dans un grand nombre de régions du monde, notamment au Moyen-Orient mais aussi en Afrique, en Asie et en Europe, obligent nos pays à prendre des décisions qui sont susceptibles d’exacerber les tensions dans les relations internationales.

La situation au Mali oblige à un autre regard sur toute la zone du Sahel. Cette région du monde était au cœur de l’aide au développement. Elle constituait un espace de pauvreté mais aussi de paix dans lequel de nombreux acteurs ONG et les populations locales travaillaient, entre autres, à apporter des solutions techniques pour l’accès à l’eau et pour lutter contre les crises alimentaires. Cette région s’est retrouvée en quelques semaines au cœur d’une zone rouge dans laquelle le terrorisme étend ses racines. Il en résulte une grande difficulté à apporter toute aide au développement, des mouvements de populations qui fuient les violences et une incertitude forte concernant l’avenir. Les migrations consécutives doivent être analysées et aidées, en tenant compte de cette réalité.

De la même manière, lorsque la guerre civile syrienne s’étend, c’est toute la région qui est fragilisée. Les mouvements de populations sont très importants, notamment vers la Jordanie. C’est une catastrophe humanitaire désastreuse. L’aide aux migrants devient à la fois prioritaire et indispensable, sans pour autant susciter le soutien financier international nécessaire.

Sur un autre plan, la mondialisation de l’économie et de la finance couvre aujourd’hui l’ensemble de la planète. Elle enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres. Chaque pays essaie de trouver les mesures lui permettant d’être compétitif pour préserver son modèle social, mais nos dirigeants sont conscients des tensions qui en résultent.

L’absence d’emploi pour une partie de plus en plus importante de la population mondiale augmente les tensions au sein des sociétés et créé un repli sur soi. Les mouvements politiques nationalistes et extrémistes en profitent pour nous entraîner vers des solutions que la planète a connues dans le passé et que nous ne voulons à aucun prix revivre. De fait, les migrants sont stigmatisés, ils sont des cibles faciles pour évacuer nos propres peurs. Ils deviennent des arguments politiques, même pour les partis les plus modérés qui ne veulent pas perdre la main. Le danger est actuel, concret et réel mais la peur n’est en aucun cas une solution.

Et dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) confirme que le changement climatique sera un facteur majeur de la transformation du monde dans les décennies à venir. Il aura des répercussions sur notre économie, sur nos populations et sur nos frontières. Si le dernier siècle a pu nous donner l’impression que les frontières de nos pays étaient solides et fixes, le changement climatique risque fort de rebattre les cartes et de redonner une partie de notre espace de vie à l’océan. Que ferons-nous le jour où des centaines de milliers de personnes devront quitter leurs territoires envahis par les eaux ? L’Humanité sera-t-elle capable de trouver les ressources partagées pour les accueillir ? Ceux qui prônent l’économie libérale mondialisée responsable de ces évolutions seront-ils suffisamment éclairés pour prendre conscience de ces nouvelles réalités ?

Le monde change. Il y a urgence à repenser les politiques de migrations en fonction de ces nouvelles réalités. Nous ne pouvons plus nous satisfaire des frontières actuelles, nous ne pouvons plus nous satisfaire de nos passeports et de nos visas, nous ne pouvons plus nous satisfaire de la protection confortable pour les uns en violation des droits de l’Homme de tous les autres. Nous devons être capables d’imaginer de nouvelles règles pour la circulation des femmes et des hommes sur la planète de notre propre volonté et au service de l’Humanité toute entière.

Pour cela, il est indispensable de regarder les migrations comme un gain et non comme une perte, comme un espoir plutôt qu’une peur, comme un choix plutôt qu’un danger. Les migrants sont d’abord des femmes et des hommes qui veulent vivre avec dignité, pouvoir travailler et être reconnus comme les humains à part entière qu’ils ou elles sont. Le mélange des cultures, des traditions, des croyances apportent plus d’humanité et nourrit notre diversité. Pour avoir vécu 17 ans en Afrique, j’ai pu vivre cette réalité au jour le jour comme migrant très privilégié. Je veux aujourd’hui faire en sorte que mes enfants métis participent à construire un monde dans lequel les migrants sont regardés comme des partenaires au développement.

Danielle Mitterrand a, durant toute sa vie, apporté son aide aux peuples les plus en difficulté pour les aider à retrouver liberté et dignité. Elle avait construit ses convictions dans la lutte contre le nazisme durant la seconde guerre mondiale. Ses convictions étaient profondes, réelles, contagieuses.

L’agenda international va mettre à l’ordre du jour la renégociation des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Faire des migrations un objectif à part entière représenterait un geste fondateur pour l’avenir. La société civile porte cette idée et l’Organisation pour la Citoyenneté Universelle souhaite contribuer à cette ambition en portant un message qui, s’il peut sembler utopique, est un chemin d’avenir à long terme indispensable pour regarder le futur avec engagement et espoir.

Quoi qu’il arrive nous devrions aussi imaginer une conférence internationale sur le droit de circulation et d’installation qui représenterait un premier pas sur le long chemin à parcourir.

Nous devons faire des rêves suffisamment grands pour ne jamais les perdre de vue.

Source : france-libertes.org