Au Hameau des Buis, au cœur de l’Ardèche, se joue depuis dix ans une aventure humaine peu ordinaire. Autour d’une école à la pédagogie innovante s’est construit un écovillage, rassemblant ceux qui veulent vivre différemment, en conjuguant acquis de la modernité et sobriété écologique. Sur ce lieu, des maisons bioclimatiques, bâties avec des matériaux écologiques et locaux, ont vu le jour. Et des liens intergénérationnels, basés sur l’écoute et la solidarité, se tissent. Petite visite de ce projet expérimental, où les habitants apprennent à vivre ensemble, autrement.
C’est un village qui s’est construit à l’envers. L’école bien avant les premières maisons. Les enfants y ont précédé les habitants. Autant dire que ce hameau, perché sur une colline rocailleuse de l’Ardèche, à équidistance entre Aubenas et Alès (Gard), est loin d’être ordinaire. L’école d’abord, ou plutôt « La ferme des enfants ». Elle est ouverte en 1999 par Sophie Rabhi-Bouquet, fille de l’écologiste Pierre Rabhi. Jeune maman, elle s’inspire de la pédagogie théorisée par Maria Montessori. Et entre garrigue et vallée minérale, il n’y pas meilleur endroit pour pratiquer une éducation « ouverte », agrémentée d’un retour à la campagne.
Malgré le relatif succès de l’école qui attire une douzaine d’enfants des environs, les financements manquent. C’est là que germe l’idée d’un hameau écologique, dont une partie des loyers financera l’infrastructure scolaire. Le Hameau des Buis, village bioclimatique et collectif, est né. Les sept hectares de terrain, dont un est constructible, sont achetés par une société civile immobilière.« Mais nous ne sommes pas des promoteurs », sourit Laurent Bouquet, le compagnon de Sophie Rabhi. La SCI appartient à l’association dont sont membres les résidents. Les familles qui souhaitent s’installer au hameau lui prêtent de l’argent à taux zéro. De quoi financer les constructions où elles emménageront. Si elles quittent leur habitation, le capital de départ, indexé sur l’indice de référence des loyers, leur sera remboursé.
Trois fois moins énergivore
Une fois installés, les habitants paient un loyer – 500 € pour une maison de trois pièces – qui sert à financer les infrastructures collectives, dont l’école. Car la solidarité intergénérationnelle est de mise. Les retraités contribuent ainsi directement à faire vivre l’école, même si personne de leur famille n’y est scolarisé. « Nous n’avons pas de modèle économique à construire, mais des enfants à servir », résume Laurent. Grâce au renfort de 1 500 bénévoles pendant les quatre années qu’ont duré les chantiers et au « coaching » de l’association Négawatt, chaque logement a été bâti en trois mois.
En 2007, la première famille emménage. Et découvre ce qu’est une maison bioclimatique : nul besoin, ou presque, de chauffage en hiver ni de climatisation en été. L’orientation des baies vitrées, l’isolation thermique et phonique, la superposition de pierres et des vitres, aidée par l’ombre de la végétation en été, leur permet « de se défendre toute seule ». Résultat, selon Laurent Bouquet : les habitations consomment en énergie (électricité, chauffage au bois…) moins de 40 kwh/m2, soit quatre fois moins que la consommation moyenne [1] ! Une économie d’argent pour les résidents, une économie de CO2 pour l’atmosphère, une économie énergétique pour le pays.
Des bâtiments en filière courte
Autre originalité, bien éloignée de l’uniformité des zones pavillonnaires qui encerclent les grandes agglomérations, les maisons sont construites aux deux tiers avec des ressources locales : briques en argile et pierres de taille proviennent du terrain, la paille qui sert d’isolant est récoltée dans les champs des plaines en contrebas, le bois des façades est celui des forêts d’Ardèche. Un chantier aux airs d’« architecture de cueillette ». « Nous avons quand même eu besoin de l’industrie », précise Laurent. Pour les vitres ou les panneaux solaires, qui procurent de l’eau chaude, notamment.
Des toitures végétalisées adoucissent l’omniprésent environnement minéral. Certains équipements, comme les machines à laver, sont mutualisés. Les bâtisses sont assez proches les unes des autres, pour éviter l’étalement. Nul besoin de grands jardins privatifs : la nature est partout. « Il y a une certaine densité, mais pour permettre aux gens d’être au calme, l’insonorisation a été particulièrement travaillée. » Enfin, des bassins en phyto-épuration, où plantes et vases agissent comme des filtres, retraitent les eaux du hameau.
Démocratie rurale
Le Hameau des Buis compte désormais une soixantaine d’habitants, dont un tiers d’actifs et deux tiers de retraités. Sans oublier les 50 élèves de primaire et la quinzaine de collégiens. L’éco-village expérimente aussi une autre forme de participation démocratique locale. Les décisions sont prises une fois par mois par« tous les résidents et tous les gens qu’elles impactent. A chacun de sentir si c’est juste pour lui ». Le collectif tente de ne pas s’enfermer entre une majorité et une minorité, se figer entre un oui ou un non préalable à toute action. « C’est seulement après avoir expérimenté une solution, que l’on vote pour la valider. Entre la dualité du oui et du non, il y a un océan de possibles », décrit Laurent.
Pour demeurer ouvert au monde qui l’entoure, le « hameau global et solidaire » dispense des formations en écoconstruction ou en création d’écovillage (voir son site). Cette « communauté de conscience » essaimera-t-elle au-delà des collines ardéchoises ? « Le principal facteur d’échecs, c’est nous-mêmes », philosophe Laurent. Reste qu’ériger les écovillages en modèle est loin d’être une évidence pour bien des gens… Et pour de nombreux et puissants intérêts privés.
Texte et photos (hors une) : Ivan du Roy
Vidéo : Agnès Rousseaux
Photo de une : tirée du diaporama réalisé par le photographe Xavier Pagès sur la construction du hameau
Voir le site Internet du hameau des Buis et de La ferme des enfants