Par John Fraser
Le professeur Anthony Turton est l’un des plus grands experts de la politique de l’eau en Afrique australe. Il est aussi l’administrateur du Conseil de gestion de l’eau d’Afrique australe. 

John Fraser l’a interrogé sur cette composante importante de la politique de développement, et comment elle est et doit être traitée à l’intérieur de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Voici quelques extraits de l’interview:

Q: En termes pratiques, des projets d’eau régionaux futurs/potentiels salutaires quelconques viennent-ils à l’esprit? 

R: Sur une grande échelle, il existe de grands projets de transfert interbassins tels que le ‘Lesotho Highlands’ entre le Lesotho et l’Afrique du Sud; le ‘North-South Carrier’ au Botswana; le ‘Eastern National Water Carrier’ en Namibie et le projet Cunene-Cuvelai entre l’Angola et la Namibie. Un autre projet intéressant, c’est la première usine de dessalement à Trekopje en Namibie. Je crois que ce sera le premier des nombreux (projets) dans la région de la SADC.

Q: Quels sont les antécédents de la coopération passée, en termes de succès du côté plus ou de l’inefficacité et de celui de la corruption? 

R: La région de la SADC est souvent citée dans le secteur mondial de l’eau comme étant le meilleur exemple de coopération en matière d’eau dans la gestion des ressources transfrontalières. Le Protocole de la SADC sur l’eau est le document de base pour l’intégration régionale de la SADC, et poursuit le même objectif que celui des premiers accords sur le charbon, le fer et l’acier dans la création de la CEE (Communauté économique européenne) et plus tard de l’UE (Union européenne). La coopération sur les eaux partagées dans la SADC est donc élevée.

Concernant la corruption, le meilleur cas est celui de [Masupha] Sole qui était un haut responsable au Lesotho inculpé et emprisonné pour des affaires de corruption impliquant de grandes entreprises de construction, dont certaines étaient en Afrique du Sud. Cette affaire est devenue l’un des premiers cas au monde à obtenir une condamnation, alors je pense que c’est en réalité une bonne histoire.

Q: Croyez-vous que le changement climatique soit une menace réelle pour la région, et si c’est le cas, comment pourrait-il avoir un impact ou se manifester?

R: En bref, oui. La concentration du gaz à effet de serre est susceptible d’augmenter les températures ambiantes de quatre et peut-être même de six degrés Celsius dans certaines parties de l’Afrique australe – supposant qu’une hausse mondiale de deux degrés Celsius est « acceptable ». Cela modifiera fondamentalement le taux de conversion des précipitations en eau de ruissellement, mais cela augmentera également les pertes par évaporation des eaux des barrages.

Une stratégie d’atténuation appropriée, c’est le Stockage et la récupération des aquifères, appelé aussi Recharge des aquifères gérés, aujourd’hui une technologie dominante dans des endroits comme la Californie, le Texas et l’Australie, mais pas encore répandue dans la région de la SADC. Je travaille actuellement avec un fournisseur australien de technologie pour introduire cela au Botswana. Cette technique stocke l’eau souterraine plutôt que dans les barrages, empêchant les pertes par évaporation et améliorant ainsi de façon considérable le rendement durable d’un système donné.

Q: Pourquoi y a-t-il une nécessité pour les pays de la SADC de coopérer sur les questions de l’eau? 

R: Les quatre pays les plus divers économiquement en Afrique australe sont très limités en eau (l’Afrique du Sud, le Botswana, la Namibie et le Zimbabwe), alors que certains des pays voisins ont de l’eau en abondance (Angola, RDC, Zambie). L’eau est pour la SADC ce que le charbon, le minerai de fer et l’énergie étaient pour la création de la CEE (devenue UE). La coopération en matière d’eau dans la région de la SADC facilitera l’intégration régionale pour atténuer ces risques en permettant à la sécurité régionale pour l’eau, la nourriture et l’énergie d’être assurée au niveau régional plutôt qu’à l’échelle nationale.

Q: L’expérience indique-t-elle que cela marche bien? 

R: Oui. Le Protocole de la SADC sur l’eau est considéré au niveau mondial comme un exemple d’intégration régionale en matière d’eau. Ce protocole a créé un cadre juridique international pour la gestion conjointe de tous les bassins fluviaux transfrontaliers dans la région de la SADC. Cela est maintenant suivi avec des travaux techniques sur la définition des aquifères transfrontaliers, qui sera également codifiée comme loi.

Q: Quelles sont les principales contraintes pour les nouveaux projets – financement, encourager des gouvernements à travailler ensemble, coordination générale? 

R: Les contraintes sont essentiellement autour de la capacité technique, qui diffère d’un Etat à un autre.

Q: Comment les entreprises, comme les sociétés d’électricité, les compagnies minières et même les opérations agricoles en rajoutent-elles aux problèmes? 

R: L’énergie est une contrainte au développement national dans beaucoup de pays, mais si le potentiel hydraulique de la SADC est pleinement réalisé, alors la sécurité énergétique régionale remplacera les carences nationales. Pour ce faire, nous avons besoin d’une coopération régionale sur l’eau, ce qui explique pourquoi le Protocole de la SADC sur l’eau a été le premier à être signé après que l’Afrique du Sud a adhéré au groupement. Le secteur privé commence maintenant à s’impliquer, notamment dans les secteurs de l’exploitation minière et de l’agro-industrie, où les contraintes hydriques et énergétiques sont reconnues.

Source : IPS Afrique