(Nous re-publions cet interview car plus que jamais le thème des médias et du pouvoir est au cœur du journalisme en ce jours. Nota de Éditeur) .
Par Rebeca Fernández
Comment les réseaux sociaux affectent-ils le journalisme? Sont-ils en train de le remplacer?
Oui. Un exemple est la Syrie. Le gouvernement ne permet pas la présence de journalistes étrangers, et toute l’information que nous recevons provient de participants aux manifestations. Mais nous nous rendons compte également de ce que ces informations qui nous parviennent ne sont pas fiables. Dans certains cas, cela se substitue aux journalistes, et dans d’autres, cela les complète.
Le fait qu’il y ait des nouvelles qui ne soient pas fiables rend le travail du journaliste indispensable.
Bien sûr. Si le journaliste est un bon professionnel, il est toujours indispensable. Mais les rédactions ne disposent pas toujours de spécialistes, et on a tendance à couvrir le thème avec ce qu’on a.
Cette tendance est-elle due à la crise économique, ou bien à la crise du modèle des médias eux-mêmes ?
Aux deux. La crise économique fait que tous les médias, et en particulier au niveau de la presse payante, n’ont pas les moyens financiers pour envoyer une équipe ou avoir des correspondants. Et pourtant, ils vont bien utiliser l’information bon marché qu’ils vont récupérer chez des témoins locaux -qui n’est pas fiable. Ils contribuent de cette manière à dégrader la situation du journalisme.
Quelle est la cause fondamentale de la crise d’identité du journalisme?
La cause technique de ce qui est train de se passer est l’arrivée d’Internet. D’abord par le fait qu’il offre une quantité colossale d’informations et, deuxièmement, parce qu’il offre également la possibilité de voler au citoyen le temps dont il ne disposera plus par la suite pour lire un journal ou regarder un journal télévisé.
Même ainsi vous avez confiance en la survivance des médias traditionnels.
Oui, le journalisme ne va pas disparaître. Notre époque a besoin plus que jamais du journalisme, car nous vivons dans ce que j’appelle l’insécurité informationnelle, c’est-à-dire qu’aujourd’hui nous n’avons plus de sécurité dans l’information, et nous avons besoin que la presse nous sorte de cet état de non-information.
La surabondance d’informations est-elle un nouveau type de censure?
En effet. D’abord, la surabondance fait que le citoyen se trouve étourdi. De plus, les informations se multiplient en chœur, tous les médias parlent de la même chose en même temps. Les citoyens reçoivent cela comme un choc et ils ne savent pas bien distinguer quel est son sens. La deuxième chose, c’est qu’en même temps que je consomme cette information, la question que je dois me poser comme citoyen est : quelle est l’information qui ne me parvient pas ? En réalité la surabondance est une apparence, il y a beaucoup de dissimulation. Par exemple, aujourd’hui on croit que les médias sont plus libres qu’avant parce qu’ils attaquent les politiciens. C’est vrai, mais cela ne veut pas dire que notre champ de liberté se soit élargi, cela veut dire que le pouvoir des politiciens a diminué. Mais le pouvoir médiatique n’attaque pas les véritables maîtres du monde d’aujourd’hui, le pouvoir financier. Et le pouvoir qui l’accompagne est celui des médias. Il est l’appareil idéologique de la mondialisation.
Pourquoi considérez-vous comme nécessaire la naissance d’un cinquième pouvoir qui surveille le journalisme?
Les médias sont l’unique pouvoir en démocratie qui n’a pas de contre-pouvoir. Une démocratie, pour pouvoir fonctionner, a besoin d’un bon journalisme.
Vous avez dit que Wikileaks a démontré qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans le journalisme. Qu’est-ce?
Le journalisme d’investigation.
Et de quoi a besoin en plus cette profession?
Elle a besoin d’une autonomie financière. Un média qui dépend du pouvoir de l’argent va avoir des problèmes. En deuxième lieu, le journaliste doit se rappeler les principes de base de la profession, qui sont de donner de l’information – et pas nécessairement la même que celle donnée par les autres médias le même jour. On peut faire ce qu’on appelle une contre-programmation. Et, en troisième lieu, donner une information fiable, parce que la crédibilité est une dimension fondamentale. Mais on ne peut faire cela aujourd’hui si on est pris dans une course contre la montre.
Mais vous envisagez le futur avec enthousiasme…
Absolument. Le journalisme est en crise, mais il l’a toujours été. Quelque chose d’extraordinairement fertile est en train de naître : le journalisme en ligne. De plus en plus de journaux vont apparaître. Le problème est qu’aucun média ne gagne de l’argent, au contraire : beaucoup en perdent. Et les nouveaux médias numériques n’ont pas non plus un modèle performant. Dès qu’on en trouvera un qui fonctionne, on entrera définitivement dans une nouvelle ère.
C’est une étape marquée par le rôle d’internet dans des événements tels que les révoltes du monde arabe.
Cela a été capital. Facebook et Twitter ont permis que des gens qui ne connaissaient pas puissent s’organiser.
Et que pensez-vous du mouvement du 15 mai en Espagne?
C’est la meilleure chose qui ait pu arriver dans ce pays, ce qui montre qu’une génération destinée à être perdue refuse d’aller au sacrifice en courbant l’échine. Cette génération propose avec beaucoup d’idéalisme et d’imagination une série de solutions que, dans une certaine mesure évidemment, le gouvernement devrait écouter – au lieu d’écouter les banquiers, le FMI ou la Banque Centrale. Le gouvernement doit décider: soit on sacrifie une génération, soit on sacrifie l’euro. Et moi, je dis : sacrifions l’euro ou l’Union européenne – mais pas une génération. Comment va-t-on aller au sacrifice sans avoir la certitude qu’on ne va pas à la catastrophe ? Rien ne garantit que l’Espagne, demain, ne sera pas dans la situation que la Grèce va connaître dans quelques mois -c’est-à-dire la restructuration de sa dette.
Traduction par Thierry Pignolet