Photo : Campagne « Je suis Bradley Manning »
Bradley Manning a été accusé d’espionnage mais également d’aide à l’ennemi par la cour martiale militaire. Le fondateur de WikiLeaks Julian Assange, a indiqué que l’accusation de ce dénonciateur était un « précédent dangereux… Les révélations présumées de Bradley Manning ont exposé des crimes de guerre, des prémices de révolution, et ont introduit une réforme démocratique. C’est LE dénonciateur par excellence.”
Manning risque jusqu’à 136 ans d’emprisonnement. Son crime le plus répréhensible est d’avoir rendu public des activités illégales et immorales du gouvernement et de la défense américaine,
entre autres. Mais il a également confronté le Système avec sa propre cruauté à travers le monde. Des soldats hilares tuant des civils non armés, y compris un correspondant de Reuters, depuis un hélicoptère Apache. Un tel niveau de cruauté est difficile à regarder. Comment des êtres humains peuvent-ils devenir aussi insensibles ? La longue liste des crimes révèle le même problème. Si les « responsables » arrivent à justifier leur propre cruauté par « les intérêts de leur pays » ou la « sécurité nationale », il n’y a aucune limite au mal qu’ils peuvent infliger à d’autres êtres humains. Des drones ? Bon, ok, il y a des dommages collatéraux, mais les terroristes sont tués (tandis que d’autres se révèlent). De l’uranium appauvri ? Oui, très bien, très efficace sur le champ de bataille, mais la santé des soldats et des civils
est menacée pour des années.
Il n’est pas surprenant que le soldat Manning ait été traité avec autant de cruauté en prison que la cruauté qu’il a mise à jour.
Est-ce seulement un problème pour ceux qui sont au pouvoir ? En aucun cas ! Les medias britanniques ont été inondés d’histoires de femmes menacées de viol sur Twitter pour avoir soutenu l’image d’une femme écrivain sur un billet de banque. L’intimidation sur Internet atteint des proportions épidémiques et le relatif anonymat des outils en ligne ont permis l’émergence de « trolls Internet » :
“Un ‘troll Internet’ est un utilisateur abusif, voire odieux, qui utilise des arguments choquants pour encourager disputes et désaccords sur les réseaux sociaux. Ce nom vient des méchantes créatures dénommées trolls dans les histoires pour enfants.
Un « troll Internet » provoque le drame, insulte l’anonymat qui existe sur Internet, en semant délibérément la haine, l’intolérance, le racisme, la misogynie ou tout simplement en entraînant des querelles entre les utilisateurs. Les trolls aiment couvrir un large public. Ils fréquentent donc les blogs, les sites d’informations, les forums de discussion et les forums de jeux. Les trolls s’immiscent dans tous les endroits où il est permis de faire des commentaires. »
Il n’y a aucune comparaison possible entre l’intimidation sur Internet et le meurtre de civils non armés. Mais on doit faire attention à ces symptômes plutôt que de les dissimuler sous le tapis ou de leur donner une réponse légale.
Les lois pour empêcher les crimes de guerre et les intimidations sont très importantes, les intimidations pouvant d’ailleurs entraîner le suicide de certaines victimes. Mais les substrats psychologiques d’un système de plus en plus déshumanisé ne peuvent pas être changés uniquement par des cadres légaux.
Dans les valeurs acquises par les jeunes durant leurs années d’études, grâce à la télé, au cinéma, aux jeux vidéo, à Internet, au foyer dans lequel ils vivent, il y a une chose fondamentalement mauvaise. Ce système prône la violence, la revanche, l’individualisme, la compétition et l’amusement à propos de la cruauté. Un grand nombre de personnages dans les séries télé ou les films de « comédie » rient de la cruauté. Un trait bizarre de tel ou tel personnage le rend attachant parce qu’inapproprié. La cruauté est non seulement pardonnée mais également récompensée.
Les enfants apprennent de leurs essais, de leurs erreurs, ou par imitation.
Peut-on vraiment penser que ce qu’ils voient à la télé ne les affecte pas, même si bon nombre d’études tentent de prouver le contraire ? Si c’était le cas, la publicité n’existerait pas. Mais elle existe car nous, tous comme les enfants, sommes affectés par la manière dont nous regardons la télé, les films, les jeux video. De la même manière, l’Histoire qui prône les vaillants conquérants et les invasions meurtrières dans les salles de classe nous affecte. On croit en une ‘nature humaine’ violente et difficile à changer, et on oublie la qualité la plus importante de l’être humain, sa capacité à pouvoir choisir et changer.
La capacité pour la propagande de créer une image partisane de la réalité n’a rien de nouveau. Shakespeare participa à une campagne de diffamation chez les Tudors pour présenter Richard III comme un roi difforme et extrêmement meurtrier. Les artistes peintres ont également réalisé des tableaux de reddition courtoise après des batailles édulcorée à un très haut point.
Bradley Manning, Edward Snowden, Julian Assange et bien d’autres dénonciateurs sont des gens qui ont fait le choix de montrer l’Histoire d’une autre manière. Ceux qui se battent contre les intimidations en ligne et contre les trolls font preuve de courage et d’engagement pour en imiter les dommages. Mais si on ne garde pas un œil critique sur la formation des jeunes d’aujourd’hui et qu’on ne ramène pas au centre du débat les valeurs de non-violence, de solidarité, d’humanisation, d’empathie et d’égalité dans l’éducation et dans les médias, la cruauté ne fera que croître.
Voici quelques mots de Silo prononcés le 7 mai 2005, en rapport au choix que nous devons opérer : “Comment les gens peuvent-ils décider du chemin que prendra leur vie alors qu’ils sont très loin de contrôler leur situation au jour le jour ? Comment les gens peuvent-ils décider librement du sens de leur vie s’ils sont soumis aux besoins que leur impose leur propre corps ? Comment les gens peuvent-ils choisir librement, s’ils sont enchaînés à un système d’urgences économiques, un système avec des relations familiales, professionnelles et amicales qui parfois devient un système de chômage, de désespoir, de solitude, d’impuissance et d’espoirs déchus ? Comment les gens peuvent-ils décider sur base d’informations manipulées et d’exultations des médias sur des antivaleurs qui prévalent comme dernier modèle de comportement de puissance et qui exhibent sans honte leur violence, leurs menaces, leurs insultes, leur arbitraire et leur manque de raison ? Comment les gens peuvent-ils décider librement lorsque les meneurs moraux des grandes religions justifient ou demeurent silencieux devant les cas de génocide, de guerre sainte, de guerre défensive ou de guerre préventive ?
“L’atmosphère sociale est tellement corrompue par la cruauté que jour après jour nos relations personnelles deviennent de plus en plus cruelles, et nous nous affligeons un traitement de plus en plus cruel.
“Ce sont les plus grandes peurs des êtres humains qui les empêchent de donner à leur vie la direction et le sens qu’ils en attendait. La peur de la pauvreté, de la solitude, de la maladie et de la mort est de plus en plus forte dans notre société, autant dans les groupes que chez les individus.
“Mais malgré tout cela, malgré tout cela, malgré ces contraintes malheureuses, quelque chose de doux, quelque chose de léger comme une brise matinale, quelque chose commence tout doucement à se frayer un chemin à l’intérieur de l’être humain. “
Traduction de l’anglais : Frédérique Drouet