Par Thierry Deronne
La caméra balaie les barrios, on dirait que la pluie leur a pris leurs couleurs. Le président Maduro interroge les citoyens assemblés.
– Comment êtes-vous arrivés ici ? Qui fut le premier a construire ici ?
– Lucero !
– Et d’où venait Lucero ?
– De la campagne.
– Voilà : vous avez été expulsés de la campagne par le libéralisme. En plus dans les années 70 les vallées du Tuy étaient devenus non seulement la cité-dortoir de Caracas mais aussi, pardon du mot, le dépotoir des pauvres de Caracas.
– C’est vrai, je l’ai vécu président, on nous a déportés ici dans les années 70, on nous amenait dans des autobus à deux heures du matin quand la pluie avait rasé nos maisons, et puis.. débrouillez-vous ! Et ce que dit la compagne sur nos hôpitaux, c’est vrai : l’autre jour un travailleur a failli mourir, on a trouvé de justesse une ambulance parce qu’il fallait l’emmener jusqu’à Caracas.
Assise parmi les habitants, la nouvelle ministre de la santé Isabel Iturria, fondatrice de l’Hôpital latino-américain de Cardiologie Infantile, confirme : «nous avons inspecté aujourd’hui deux hôpitaux publics : ils n’ont pas assez de lits».
Une porte-parole communale se lève : «Il nous faut plus que ces deux hôpitaux parce qu’on nous renvoie de l’un à l’autre et il ne nous reste qu’à mourir ou à accoucher dans la rue».
Maduro à la ministre : «réunissez-vous dans l’heure, il faut remettre sur pied tous ces hôpitaux, comme nous l’avons fait pour l’hôpital de Coche quand les gens ont dénoncé, nous, nous assumons nos erreurs et nous agissons rapidement».
Depuis deux semaines le gouvernement bolivarien se déploie dans les lieux de travail, les quartiers populaires, inspectant les chantiers publics et cherchant des solutions aux problèmes posés par les organisations sociales – pour la plupart des conseils communaux, au rythme de quatre à cinq assemblées par jour. Certains ministres y gagnent des cernes ou perdent du poids, ou la voix. D’autres en reviennent couverts de pluie et de ciment. Après les États du Zulia et de Miranda, la mobilisation sur le terrain promise par le président Maduro dès sa prise de fonctions, touchera les 21 états restants.
Johanna, porte-parole de l’économie informelle de la municipalité de Guaicaipuro, prend la parole.
– Président, nous sommes dans la rue sous la pluie, sous le soleil depuis des années, les passants se prennent les pieds dans nos kiosques. On ne nous brutalise plus comme le faisait la police avant, mais plutôt qu’un problème nous voulons être une solution. Nous avons besoin d’un marché couvert, le dossier n’avance pas.
– Quel est l’organisme chargé du projet ?
– Fundapropatria.
– Appelez-moi le président de Fundapropatria.
– Président je suis Teresa Lopez, je suis fière de mon quartier de Guarimar, notre principal problème, ce sont les voies d’accès. La route alternative est dangereuse, la nuit il y a des accidents, beaucoup n’ont pas été voter parce qu’ils se sentent abandonnés, et Capriles quand il est passé, il nous a offert 25 mille Bolivars… (NdT : ex-candidat néo-libéral aux présidentielles, Henrique Capriles est l’actuel gouverneur de l’État de Miranda). La route c’est le plus important pour nous, nous ne nous vendons pas mais avec nos rues de terre, quand il pleut les enfants ne peuvent pas aller à l’école.
– Le ministre du transport doit s’en charger. Et je viens de parler au président de Fundapropatria, Mr. Tascon, qui viendra au plus tard dans deux semaines pour commencer avec vous la construction du marché populaire (applaudisssements).
– Président, nous avons de grands problèmes avec la collecte des immondices… Avec une dotation de camions, d’autres conseils communaux ont pu pallier l’irresponsabilité du maire….
– Oui nous avons reçu pas mal de dénonciations à ce sujet… (le nouveau ministre de l’environnement Dante Rivas promet de se réunir avec les conseils communaux concernés.)
– Il y a la distribution du gaz dans les quartiers, parfois les gens courent derrière les camions, les forcent à s’arrêter pour se fournir eux-mêmes…
– De qui dépend cela ?
– De PDVSA-Gaz. Et il y a le problème de l’Université Bolivarienne, j’y ai étudié moi-même à mes cinquante ans… (applaudissements) et elle n’a toujours pas de siège propre… nous proposons l’immeuble de Petramiranda..
– Bien d’accord, nous allons transférer l’ancien siège de PetraMiranda, à l’Université Bolivarienne. Et toutes ces écoles primaires qui ne fonctionnent pas, qu’elles passent sous la responsabilité des communautés !
– Bonsoir Président, je suis Yanoares, porte-parole du secteur de la Matica. Nous avons 186 conseils communaux pour 38000 habitants, nous sommes très nombreux. Quelles sont nos problèmes ? Nous n’avons reçu aucune aide du gouverneur Capriles, par contre nous avons eu l’appui de mairies, de communes, du conseil fédéral de gouvernement mais les solutions manquent, nous n’avons pas encore l’eau, nous avons besoin de plus d’appui pour la sécurité.. Nous avons des projets de logements mais depuis des années nous n’avons obtenu aucun titre de propriété. A l’école nous prenons soin des pupitres, nous comptons 500 élèves mais la majorité des étudiants doit descendre jusqu’au centre, parce que dans notre communauté il n’y a pas de lycée, pas de Mission Ribas, pas de Mission Robinson. Nous avons une maison d’accueil pour les jeunes victimes de la drogue mais nous avons besoin d’appui, parce que nos permanents ne perçoivent aucun type de ressources.
– Maduro : Pardonne-moi de t’interrompre un instant, je sens en toi une grande capacité de lutte, je le vois dans ce le dossier que tu as dans les mains et je lis aussi en toi une grande impatience. Si nous faisons la liste des tous les problèmes de ta communauté, nous passerons ici plusieurs jours. Pour ne pas nous laisser submerger, nous devons intégrer les solutions à travers un plan comme le Barrio Tricolor, qui va rénover, reconstruire les quartiers et dont nous avons décidé qu’il allait se mettre en marche ici rapidement, ce qui comprend ton quartier. Nous avons faits nos calculs : 800.0000 sympathisants chavistes n’ont pas été voter le 14 avril, certains ont sombré dans la tristesse qui a suivi la mort du président Chavez et les médias privés les ont bombardés tous les jours : « Maduro n’est pas Chavez, Maduro n’est pas Chavez… ». En plus de cela, reconnaissons-le, nous n’avons pas fait le travail nécessaire, le porte-à-porte pendant la campagne, nous ne l’avons pas fait. Malgré tout, alors que je n’ai eu droit qu’à trois semaines de campagne pour parcourir tout le pays, nous avons gagné avec près de 300.000 voix d’avance, ce fut une victoire héroïque. Mais je vous demande, si deux pour cent de plus des nôtres n’étaient pas allés voter ? Que se serait-il passé avec l’éducation, la santé, le logement si le néo-libéral avait été élu ? Et avec l’ALBA, l’UNASUR, PetroCaribe ? Maintenant, croyez-vous qu’il est possible d’atteindre le socialisme en 2019 ? Je vous pose toutes ces questions pour que nous, le « Venezuela pensant » – avant la bourgeoise se croyait la seule à penser – nous tous réfléchissions aujourd’hui sur les moyens d’atteindre la pauvreté zéro. Certains d’entre nous, quand ils obtiennent enfin l’appartement construit par la révolution, quand ils sortent du chômage et reçoivent un salaire digne, oublient tout, se croient des « Rockefeller », c’est la misère spirituelle du capitalisme. Nous devons nous sentir fiers de nos quartiers populaires, les embellir chaque jour et c’est pouquoi ici dans l’État de Miranda, nous allons relancer le programme Barrio Tricolor.
Quand un délégué de prévention d’accidents du travail prend la parole, Maduro parle «des travailleurs de l’électricité, ceux des lignes à haute tension, qui souffrent souvent des articulations, des vertèbres cervicales, évidemment la bourgeoisie n’en est même pas consciente alors qu’elle en est la responsable.»
Lorsque deux jeunes qui ont décidé de renoncer à la délinquance racontent leur vie, remettent leur projet socio-culturel à Maduro et parlent de la difficulté de la réinsertion, le nouveau ministre de la Commune, le sociologue Reinaldo Iturizza et la Ministre du Service Pénitenciaire Iris Varela prennent rendez-vous. Nicolas Maduro qui a lancé ce plan national de désarmement et d’action culturelle avec pour acteurs principaux les jeunes des quartiers populaires, leur demande s’ils connaissent la vie de Malcolm X, et comme ils répondent que non, il leur parle de lui, de l’importance d’étudier l’Histoire, sans laquelle un peuple perd tout horizon, et demande à la chaîne publique VTV de diffuser le film de Spike Lee. Il leur montre l’image qu’il a publiée sur son compte twitter @NicolasMaduro :
- Si vous n’y prenez garde, les médias vous feront aimer l’oppresseur et haïr l’opprimé. Malcolm X.
Puis le président annonce des rectifications comme « le contrôle ouvrier qui n’a pas fonctionné dans nos entreprises de base comme SIDOR, parce qu’il s’est mué en bureaucratie. Est-ce pour cela que nous allons renoncer au contrôle ouvrier ? Non, nous allons le renforcer car notre économie est encore essentiellement capitaliste ». Et d’évoquer le corps d’inspecteurs qui se déploie aujourd’hui dans le pays pour la bataille contre la corruption. « Il y aura des surprises dans les prochains jours. La corruption dans nos rangs, de ceux qui se déguisent en révolutionnaires, doit cesser totalement, comme celle de la bourgeoisie, peu importe le camp. Il y a deux siècles Bolivar avait décrété de fusiller les fonctionnaires corrompus. Nous, nous ne tuons personne mais la loi et la constitution s’appliquent à tous, même à ceux qui se diront ensuite avec l’appui des médias, « persécutés politiquement ».
– Quand les ministres venaient-ils ici dans les vallées du fleuve Tuy ?
– Jamais ! répond l’assemblée.
Routes alternatives, grand marché d’alimentation « Bicentenario », Centres de Diagnostic Intégral, lycées, canalisations d’eau potable, construction d’espaces culturels, crédits pour les producteurs agricoles, voies ferrées, extensions du métro de Caracas, création d’une université polytechnique régionale… Au bout de trois mois, les ministres et le président reviendront sur place pour l’inspection. Ces réunions sont cruciales pour le moral des bolivarien(ne)s. Les médias privés hégémoniques du Venezuela, ne s’y trompent pas : pas une news, pas un article, pas un bulletin radio ne mentionnent ce « gouvernement dans la rue».
Au même moment, alors que Barack Obama reste le seul gouvernant à refuser de reconnaître le verdict des électeurs vénézuéliens, un sommet extraordinaire de PetroCaribe et de l’ALBA se réunit à Caracas. 18 chefs d’État des Caraïbes et d’Amérique Latine rendent hommage au président Chavez en ratifiant l’alliance des deux organismes pour les éloigner un peu plus du chaos capitaliste, par la création d’une zone économique interne qui fortifiera l’industrie, le tourisme, l’agriculture, les liaisons aériennes, entre autres.
Les médias internationaux, eux aussi, censurent ce sommet qui concerne des millions de latino-américains, de même qu’ils invisibilisent le « gouvernement dans la rue » et, depuis quatorze ans, l’ensemble des réalisations de la démocratie participative vénézuélienne. Ils occultent les sabotages et les assassinats commis par une droite sur orbite états-unienne, relaient avec sympathie le refus de reconnaître le scrutin par son leader Capriles et face aux plans de déstabilisation, personnalisent et réduisent la révolution bolivarienne à Nicolas Maduro, brossé en tribun fantasque, agressif comme ils l’ont fait avec Hugo Chavez.
Huit heures du soir. L’assemblée-fleuve déborde presque la sécurité. Tous veulent parler, saluer, montrer leurs banderoles, remettre leurs messages. Maduro : «Je le vois dans vos yeux, nous saurons répondre en travaillant, en exigeant le respect à l’empire, aux transnationales médiatiques. Tôt ou tard nous reviendrons travailler avec vous. Nous devons rester ce peuple plein d’énergie, invincible, sans jamais nous laisser emporter par l’indifférence, le populisme, le clientélisme. Si nous voulons une école pour nos enfants, pourquoi ne pas commencer en donnant un sac de ciment, toi les briques, toi le pot de peinture, pourquoi ne pas organiser une ou deux journées de travail volontaire ?»
– Président, il reste cinq porte–paroles de conseils communaux qui doivent prendre la parole, c’est le tour de Claudia.
– Nous t’écoutons, Claudia.
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