Par Jean-Marie Collin, “Blog Défense et Géopolitique, Alternatives-Internationales”
Arielle Denis est française, militante pacifiste depuis de très nombreuses années (ex-co-présidente du Mouvement de la Paix), dirige depuis 2011 la campagne internationale pour l’Abolition des armes nucléaires International Campaign to Abolish Nuclear Weapons – ICAN pour l’Europe, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique latine.
Question : ICAN est une campagne mondiale pour l’abolition des armes nucléaires. Comment et de qui est née cette initiative ? Quels sont les pays impliqués dans cette campagne ?
Arielle Denis : ICAN est une campagne internationale composée de 280 ONG partenaires dans 68 pays. L’idée de cette campagne est venue après l’échec du TNP en 2005 et elle a été initiée par IPPNW et d’autres ONG, il s’agissait de remotiver les énergies et de se reconcentrer sur l’élimination des armes nucléaires. A l’époque, le projet de Convention d’élimination déposé à l’ONU a représenté le meilleur moyen de redonner de l’espoir pour rebâtir un mouvement. Promouvoir cette Convention a eu un effet fédérateur et a ressourcé nombre de campagnes nationales comme en France. Aujourd’hui, 146 pays soutiennent cette convention et elle est encore présentée à chaque réunion de l’AG de l’ONU sur le désarmement nucléaire, mais ce cadre n’est pas parvenu à ouvrir un espace politique de débats ou de négociation.
Il nous faut repenser le problème des armes nucléaires et sortir de l’approche “sécuritaire” qui caractérise les forums du désarmement, la Conférence du Désarmement et les réunions du TNP. Ces deux tribunes n’ont permis aucune avancée, car elles sont faites sur mesure pour – et par – ceux qui ne veulent rien voir bouger.
Pourtant les armes nucléaires sont les armes les plus dangereuses de toutes. Les autres armes de destruction massive, chimique ou bactériologique, ont été interdites. Qu’attend-on pour interdire les armes nucléaires?
En 2010, le texte final du TNP a pour la première fois mentionné l’urgence de l’élimination des armes nucléaires en regard de leurs “conséquences humanitaires catastrophiques”. Lors de leur Congrès en Novembre 2011, le CICR et les Croix Rouge nationales ont appelé les Etats à poursuivre …des négociations en vue de conclure un accord international juridiquement contraignant pour interdire l’emploi des armes nucléaires et parvenir à leur élimination totale,…
Depuis, un certain nombre de déclarations officielles ont mentionné ces effets catastrophiques et appelé à l’élimination comme lors de la Prepcom du TNP ou à la réunion du 1er comité en octobre dernier. La Conférence d’Oslo s’inscrit dans cette logique: Pour la première fois, les Etats vont se réunir pour échanger des données et des études sur les effets des armes nucléaires et les éventuelles mesures de préparation pour y faire face. Pour ICAN cela va contribuer à détrôner les armes nucléaires de leur statut de bouclier magique assurant miraculeusement la paix et la sécurité et permettre d’ouvrir enfin les yeux. Toute utilisation d’armes nucléaires aurait des effets catastrophiques et cela justifie leur interdiction et ICAN encourage les Etats à négocier sans tarder un Traité d’interdiction.
Question : Comment la société civile française est-elle impliquée dans cette campagne ?
Arielle Denis : Depuis des générations, des gens luttent en France pour l’élimination des armes nucléaires. S’organiser, trouver la meilleure approche et le moyen de toucher de nouveaux publics est la tâche que s’est fixée la coalition ICAN-France forte de plus de 60 organisations et coordonnée par le Mouvement de la paix. On peut trouver leur programme d’action sur le site d’ICAN France. Il y a encore beaucoup à faire pour briser le silence sur ces armes, montrer leurs effroyables effets et en même temps délégitimer et démasquer le mythe de la dissuasion. Récemment, de nouvelles voix s’élèvent comme celle de M. Quilès qui montrent le chemin: la France aurait tout à gagner à entraîner les autres pays vers le désarmement. Le moratoire sur les essais nucléaires établi par François Mitterrand en 1992 avait eu un effet catalyseur sur les autres puissances nucléaires- avant que Chirac n’y mette fin. Imaginons l’impact qu’aurait un appel de la France aux autres pays nucléaires pour examiner leur élimination…
Question : Les 4 et 5 mars 2013 à Oslo, la Norvège organise une conférence intergouvernementale sur les conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire qu’aurait l’emploi d’armes nucléaires. ICAN réalise également à Oslo, les 1er et 2 mars un forum de la société civile sur ce même thème. Qu’attendez vous précisément de ce Forum ? Et qu’allez vous faire par la suite ?
Arielle Denis : Nous avons préparé ce Forum avec des dizaines de militants dans le monde entier qui ont rencontré leur gouvernement pour le motiver à participer à la conférence d’Oslo. Echange d’expériences, rencontres, débats mais aussi beaucoup de moments festifs sont prévus. Une audition avec l’acteur Martin Sheen qui viendra parler des armes nucléaires, un opéra se tiendra à l’Hôtel de Ville d’Oslo avec des compositeurs et danseurs Japonais et Norvégiens sur le thème d’Hiroshima, des témoignages de survivants, de militants, d’experts et des ateliers feront de ce Forum une expérience nouvelle.
L’objectif est d’ouvrir le débat sur l’élimination des armes nucléaires à de nouveaux publics et de susciter l’engagement d’un plus grand nombre pour enrichir la campagne de nouveaux partenaires et de nouvelles expériences. Nous sommes au début d’un grand mouvement de la société civile qui devra être suffisamment puissant et bien coordonné pour être à même de construire chaque étape vers l’élimination des armes nucléaires et convaincre un nombre croissant de gouvernements, d’organisations internationales et d’ONG d’y participer.
Question : ICAN vient de co-publier avec l’ONG, Reaching Critical Will « Unspeakable suffering: the humanitarian impact of nuclear weapons », soit « Des Souffrances Indescriptibles : l’impact humanitaire des armes nucléaires ». Quel est l’objet de cette étude et que met-elle en évidence ?
Arielle Denis : C’est une étude exhaustive des effets multiples des armes nucléaires, aussi bien sur la santé que sur l’environnement, mais aussi sur l’économie ou l’agriculture. Les souffrances que causeraient la détonation d’une ou plusieurs armes nucléaires sont très souvent sous estimées. Voilà la réalité de ces armes et c’est à partir de cette réalité qu’il faut réagir, non sur les contes pour enfants que l’on nous sert abondamment sur leur pouvoir magique d’assurer la paix et qui font d’elles des objets de désir de la part de certains Etats.
Cette étude montre qu’il n’existe aucun moyen de se prémunir d’une détonation d’arme nucléaire, elle raserait une ville et tuerait des centaines de milliers de gens. Si une centaine d’armes de bombes, sur les 19 000 qui existent étaient échangées, il s’en suivrait une période de grand froid, à cause de l’occultation des rayons du soleil, et l’agriculture serait impossible sur d’immenses territoires, famines, guerres, maladies etc…et la civilisation telle que nous la connaissons disparaîtrait. Pouvons nous prendre ce risque?
Il est difficile de lutter contre le réchauffement climatique, il s’agit de changer les économies et les comportements, ce qui est une tâche très complexe et de long terme. Pour éviter le risque d’une détonation nucléaire, il suffit de signer un Traité qui au fond entérinera ce que tout le monde pense, les armes nucléaires ne sont pas adaptées au monde d’aujourd’hui et devraient, comme les dinosaures, disparaître.