Nous avons l’habitude de considérer comme « fous » des conflits que nous ne pouvons pas comprendre, quand nous constatons que les protagonistes ne peuvent apparemment pas voir les avantages de la paix et de la coopération. Mais ce terme recouvre un sentiment de désespoir, une expression de notre incapacité à piger ce qui se trouve dans l’esprit de ceux qui sont crispés sur une vengeance ou une quête souvent futile qui les engage dans la violence et/ou le suicide. Autant les appeler des Martiens.
« Fou » est rarement associé à la dure réalité : la guerre rend les gens « fous ».
Les effets psychosociaux de la guerre et de la violence sont rarement mentionnés quand on parle des victimes, des pertes humaines, du coût en argent et en souffrance humaine. Un certain nombre de publications scientifiques récentes nous rappellent que nous parlons des plus insidieux effets de la guerre, mais aussi des effets qui ont la plus grande portée. En fait, si nous voulons savoir pourquoi les conflits se prolongent pendant plusieurs générations, nous devons inclure les conséquences psychologiques dans l’équation.
La drogue, l’abus d’alcool et la criminalité parmi les militaires britanniques
Selon une étude publiée récemment dans The Lancet, les soldats britanniques qui ont servi en Irak et en Afghanistan, en particulier les hommes jeunes et ceux qui ont été au cœur du combat, sont plus susceptibles de commettre des crimes violents que la population générale. L’étude a révélé que les soldats qui ont eu des rôles de combat ont plus de 50 pour cent de chances de commettre des agressions ou menaces de violence après leur retour que les soldats qui n’ont pas eu de rôle de combat. La drogue, l’abus d’alcool et le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) sont bien connus pour jouer un rôle dans ces incidents. De nombreux militaires avaient des antécédents de délinquance avec violence avant de rejoindre l’armée. Bien que cela ait probablement favorisé leur enthousiasme à l’idée d’un combat actif, les traumatismes encourus provoqueraient également la libération et le renforcement de ces traits.
Comment le public perçoit-il une guerre et les soldats qui en reviennent ?
Très peu de personnes doutent encore que la guerre en Irak était illégale, inutile et a fait plus de mal que de bien. Dix ans après que 2 millions de personnes soient descendus dans la rue au Royaume-Uni pour protester, la destruction de l’infrastructure et les conflits sectaires prennent encore des vies (plus de 600.000 d’après The Lancet, d’autres estiment que c’est moins, mais de toutes façons BEAUCOUP) et alimentent des groupes plus radicaux sans qu’on en voie la fin. Les mots de Bush résonnent encore : mission accomplie. Malheureusement, de son point de vue (et d’autres comme lui), il avait raison.
Après la guerre du Vietnam, il est devenu clair que la réinsertion des anciens combattants dans la société est fortement influencée par la perception de la guerre par le public. Deuxième guerre mondiale, bien. Guerre du Vietnam, mal. Après la deuxième guerre mondiale, ceux qui souffraient du SSPT (à l’époque connu sous d’autres noms) ont reçu un traitement dans les communautés thérapeutiques spécialement constituées et ont été soignés avec sympathie et gratitude. Les vétérans du Vietnam ont réintégré une société hautement critique : leur taux plus élevé de drogués, d’alcooliques et de criminels avait été dûment constaté par une centaine d’articles scientifiques. Certaines études ont également porté sur le SSPT dans la population civile dans les zones de guerre. Certes, il y existe, mais il est beaucoup plus difficile d’en évaluer l’étendue et d’en prévoir les effets futurs.
Comment la société accueille-t-elle ceux qui reviennent d’Irak et d’Afghanistan ? Beaucoup les voient comme des criminels de guerre, par association avec ceux qui ont commencé ces guerres : les politiciens qui étaient vraiment responsables et ne sont généralement pas atteints de SSPT, il faut être près de l’action pour cela. Les scandales, les mauvais traitements (torture ?) de civils et de soldats, l’uranium appauvri et les médicaments nocifs pour garder les soldats éveillés, les exécutions « amicales » et les services de santé insuffisants pour faire face aux conséquences de tout cela, ainsi que les tentatives des autorités pour qualifier de « psychologiques » les saletés de symptômes, peut-être provoqués par des cocktails de vaccins et de médicaments : tous ces facteurs rendent impossible un retour en héros .
Les gens qui reviennent de la guerre sont maintenant des citoyens et ils influencent la façon dont le pays, les autorités locales et l’école fréquentée par vos enfants sont gérés. Leurs traumatismes psychologiques font désormais partie de la culture ambiante et de l’avenir de chacun. Pour chaque « mauvais sujet » qui finit en prison après avoir commis un acte de violence, il y aura un nombre indéterminé de cas moins graves qui se livrent peut-être en cachette à la violence domestique, qui rejoignent un parti ou un groupe extrémiste, ou qui abusent du système de santé national pour des maladies chroniques induites par l’alcool. Les statistiques montrent que la majorité des vétérans ne deviennent pas des criminels ou des cas de santé mentale, mais on ne sait pas du tout quelle part de cette majorité fait face tout simplement par d’autres moyens sans demander d’aide afin de ne pas être perçu comme faible.
Les drones, les enfants et l’avenir du terrorisme
Une étude commandée par Reprieve et publiée par Channel 4 Informations au Royaume-Uni a emmené le psychologue médico-légal, Dr Peter Schaapveld, au Yémen où il a interrogé des enfants qui ont une expérience directe ou indirecte des attaques de drones. Il en a trouvé beaucoup souffrant de stress post-traumatique avec des symptômes tels que « vomissements journaliers, aussi à l’approche d’un avion ou d’un drone, ou quoi que ce soit en rapport, cauchemars, rêves de personnes décédées, des avions et des gens effrayés qui courent dans tous les sens, ne pas vouloir aller à l’école, être incapable de nouer des relations ou de jouer avec d’autres enfants, disputes avec frères et sœurs. Le Dr Schaapveld a également déclaré : nous avons entendu de jeunes hommes dire « ils nous poussent dans les bras d’Al-Qaïda, que sommes-nous censés faire d’autre ? » Pour avoir une idée de l’intensité de l’activité des drones dans plusieurs pays, voir le rapport du Bureau du Journalisme d’Investigation.
Stress post-traumatique et conflits apparemment insolubles
Pourquoi le conflit israélo-arabe est-il si difficile à surmonter ? Pourquoi tant de conflits se perpétuent-ils de génération en génération ? Il y a de nombreux facteurs, bien sûr, le plus évident étant que, bien que la situation d’injustice qui a généré le conflit ne soit pas résolue, les factions peuvent développer un mode de vie, une identité culturelle qui est liée au conflit. Mais aussi, il y a des preuves que le SSPT se transmet d’une génération à l’autre par l’échange d’expériences au sein de la famille et par l’information que les jeunes récoltent à propos de ce que leurs ancêtres ont vécu. Si l’on ajoute à cela de nouvelles images d’horreurs (guerre, bombes, torture), nous avons un tableau complet de la transmission de traumatismes psychologiques entre générations. L’idée de mettre fin au conflit, peut-être par le biais d’un certain compromis, devient une sorte de trahison de la famille Un certain sens de responsabilité d’une vengeance des membres de la famille perdus dans le conflit condamne la voie mentale vers la paix et la réconciliation et condamne les enfants à subir le même sort.
Chaque fois qu’un Israélien voit un missile en provenance de la bande de Gaza, c’est de nouveau l’holocauste. Chaque fois qu’un Palestinien doit traverser le mur de la honte pour aller travailler ou accéder à ses propres cultures, c’est la Nakba encore une fois. Le SSPT, c’est re-vivre des expériences traumatisantes, même si elles se sont produites avant eux. C’est tellement irrationnel qu’il exige non seulement la réparation, mais aussi la vengeance, le pire poison de l’âme humaine. « Ne te fâche pas, venge-toi » est le slogan promu par Hollywood et le scénario central de la plupart de ses films. Chose intéressante, « fou » est devenu synonyme de « très, très en colère » ce qui est une mauvaise utilisation du mot « fou » puisque la plupart des personnes souffrant de psychose ne sont pas agressives (mais quelques-unes sont exhibées par les médias avec tant de brio que le grand public se convainc qu’elles le sont toutes).
Nous revenons ainsi au premier point : la guerre et la violence peuvent rendre les gens suffisamment « fous » pour s’engager dans l’agression aveugle parce que l’esprit est bloqué par le traumatisme. La vengeance a jeté la clé. La réconciliation ouvre la porte et l’avenir, pour les personnes concernées, leurs descendants et la société dans son ensemble.
La réconciliation peut être atteinte par la méditation profonde et d’autres recherches spirituelles, des méthodes thérapeutiques, les discussions au sein d’un groupe de personnes dans le même état d’esprit, le développement de la solidarité et de l’empathie envers « l’autre » et l’action sociale positive. La règle d’or : lorsque vous traitez les autres comme vous voudriez qu’ils vous traitent, vous vous libérez. C’est la première étape vers la réconciliation et la santé mentale dans la gestion des conflits.
A l’occasion du 10e anniversaire de la guerre en Irak, passons ce message à d’autres personnes pour éviter d’autres guerres, et offrons notre aide à ceux qui sont déjà traumatisés par les précédentes.