Par Gabriel Nadeau-Dubois *
Il y a un an jour pour jour, ma collègue Jeanne Reynolds et moi annoncions le déclenchement par la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) d’une grève générale illimitée en opposition à l’augmentation de 75 % des frais de scolarité annoncée par le gouvernement Charest. Le 14 février 2012, c’était à peine 20 000 personnes qui commençaient à débrayer. À ce moment, nous étions loin de nous douter que nous assistions à la naissance de ce qui allait devenir la plus grande mobilisation citoyenne de l’histoire du Québec contemporain. Un an jour pour jour plus tard, où en sommes-nous ?
Dans une dizaine de jours s’ouvrira le Sommet sur l’éducation supérieure promis par le Parti québécois, présenté lors de la campagne électorale comme une occasion de donner suite aux questions importantes soulevées par le mouvement étudiant lors du printemps 2012, puisqu’il irait au-delà du débat sur l’augmentation des droits de scolarité en discutant plus largement de l’avenir des universités québécoises. À quelques jours du début de l’exercice, force est de constater que le PQ ne tiendra vraisemblablement pas cette promesse.
La gratuité scolaire, un projet souhaitable et réaliste
En écartant à mots couverts la gratuité scolaire des scénarios envisageables, le ministre Duchesne écarte la position défendue par un très grand nombre d’étudiants et de citoyens lors du printemps dernier. La crédibilité de son Sommet en souffre d’autant. L’argument utilisé par le ministre et par l’économiste Pierre Fortin est saisissant : on prétend que la mesure serait trop coûteuse… parce qu’elle ferait bondir la fréquentation universitaire de 15 % ! Vingt-sept mille étudiants de plus sur les bancs d’école, cela a un prix. Un aveu surprenant, qui confirme l’argument du mouvement étudiant selon lequel le montant des droits de scolarité influe directement sur la fréquentation universitaire. Ce que cela signifie aussi, c’est que le gouvernement du Parti québécois est prêt à fermer volontairement les portes des universités à 27 000 personnes.
Le sempiternel argument de la « capacité de payer » du gouvernement est d’autant plus ironique que ce sont les péquistes eux-mêmes qui se sont doublement lié les mains, d’une part en s’entêtant à atteindre l’équilibre budgétaire dès 2013, alors que le gouvernement conservateur – qu’on ne peut taxer de social-démocratie – l’a lui-même reporté d’un an, d’autre part en renonçant à ses propres promesses en matière de fiscalité (redevances minières et ajout d’un palier d’imposition, entre autres). D’un côté, ce gouvernement se prive volontairement de revenus, de l’autre, il prétexte qu’il n’a pas assez de marge de manœuvre pour ouvrir les portes des universités à 27 000 jeunes Québécois. Pourtant, personne, pas même l’ASSE, ne réclame l’instauration de la gratuité en deux jours. Mais ne peut-on pas songer à un plan de réduction progressive des droits, quitte à opter à court terme pour le gel à titre de mesure transitoire ?
La nécessité d’un débat de fond
La dernière réflexion collective sur le système d’éducation québécois date de plus de 50 ans. À l’époque, le rapport Parent avait fixé la gratuité comme objectif à moyen terme pour les universités québécoises, le gel des droits n’étant vu que comme un pas dans cette direction. Depuis, les temps ont changé. Le compromis d’alors, entre la nécessité de stimuler le développement économique en accouchant d’une main-d’œuvre qualifiée, et des principes humanistes de démocratisation de l’éducation et de transmission d’une culture commune s’effrite aujourd’hui au profit d’un seul des deux pôles, et on sait lequel. Entre Guy Breton qui déclare sans broncher la nécessité que « les cerveaux [doivent] correspondre aux besoins des entreprises », François Legault qui « rêve » de « la Silicon Valley, avec les universités Standford et Berkeley », et Line Beauchamp qui affirme qu’il faut « que les programmes répondent aux besoins des entreprises » se dessine une vision de l’éducation passablement réductrice, qui évalue les universités avant tout sous l’angle de leur participation à la croissance économique. Il suffit d’être allé à une seule manifestation étudiante pour savoir que l’indignation étudiante, loin de se limiter à la seule hausse des droits de scolarité, concernait également cette dérive économiciste de nos établissements d’éducation. Si les débats sur le financement et l’accessibilité ont leur place au Sommet, il est regrettable de constater que pendant que le débat s’enflamme sur des enjeux comptables, les questions les plus importantes sont passées sous silence. À force de parler des moyens de financer l’enseignement et la recherche, on oublie de se poser la question de leur finalité. Quels intérêts doivent guider la recherche dont on parle tant ? Que doit-on enseigner dans nos universités, et comment ?
Au lieu de faire preuve de courage politique en abordant de front la question cruciale et controversée du rôle des universités, le Parti québécois est en voie de refermer la fenêtre ouverte par le mouvement étudiant en verrouillant le débat derrière des enjeux technocratiques stériles. Au lieu d’être un réel moment de réflexion collective, ce que réclame depuis de nombreuses années le milieu universitaire, le Sommet tant attendu apparaît de plus en plus comme une simple opération de relations publiques visant à apposer un vernis de légitimité politique sur une décision par ailleurs déjà prise, soit l’indexation des droits de scolarité et la poursuite de la privatisation tranquille des universités. Il est déconcertant de voir à quel point l’américanisation du réseau universitaire laisse indifférent ce gouvernement, qui prétend pourtant défendre la culture et l’autonomie politique du Québec. Si le Parti québécois a encore moindrement à cœur les idéaux de la Révolution tranquille, il doit en faire la preuve dès maintenant, en envisageant la gratuité scolaire et en prenant à bras-le-corps la question de la mission universitaire. Sinon, il aura démontré que ses discours sur la jeunesse et l’avenir n’étaient en fait que d’éphémères slogans électoraux et que c’est désormais sans lui qu’il nous faut construire un projet de société de justice sociale.
On dit qu’il est utopiste de défendre la gratuité scolaire et l’autonomie universitaire. L’utopie, c’est au contraire de croire qu’une collectivité peut s’épanouir sans donner à sa jeunesse un accès le plus grand et le plus désintéressé possible au savoir et à la culture. On taxe le mouvement étudiant de dogmatisme lorsqu’il défend avec fermeté ses positions. Le dogmatisme, je le vois dans le refus de ce gouvernement d’envisager un projet de société qui, il n’y a pas si longtemps, faisait consensus au sein de la classe politique québécoise. Aujourd’hui, on parle de ce projet comme d’une lubie radicale. Si on accuse les étudiants de pelleter des nuages, c’est peut-être parce que la classe politique a depuis longtemps décidé de niveler par le bas.
* Gabriel Nadeau-Dubois : Diplômé en histoire, culture et société à l’UQAM, étudiant en philosophie à l’Université de Montréal et ancien coporte-parole de la CLASSE