Image : L’île d’utopie de Thomas More
Chaque fois que le sujet de la folie des dépenses militaires est touché, en demandant leur réduction, il y a toujours quelqu’un qui riposte en invoquant les engagements internationaux, la situation concrète qui « malheureusement » impose le recours à la guerre et d’autres raisons du genre, en rejetant cette idée comme étant utopique. Le ton est toujours compatissant, voir ironique vis-à-vis des rêveurs naïfs et idéalistes qui s’obstinent à ignorer la dure réalité des faits.
Pourtant tant de choses qu’aujourd’hui nous semblent monstrueuses ou ridicules -l’esclavage, la terre plate, le droit divin des rois, l’infériorité des femmes- ont été acceptées comme normales et ceux qui les remettaient en cause recevaient le même traitement réservé aujourd’hui aux opposants de la logique des armes et de la guerre. Pire encore, souvent, le coût de la rébellion passée a été terrible, pouvant entraîner la prison, l’exil, la torture et même la mort.
Le contraste entre la réalité et l’utopie, entre deux options opposées – d’accepter les conditions ou une rébellion au nom des valeurs et des idéaux d’un monde nouveau qui est encore à construire – a traversé toute l’histoire humaine. Lorsque la première élection a prévalu tout s’est arrêté dans la résignation et l’obscurantisme, lorsque la deuxième s’est imposée, des changements culturels, spirituels, sociaux et politiques d’une grande envergure se sont produits.
En général, « ce qui est » s’oppose à « ce qui devrait être » et la distance apparemment inaccessible entre les deux termes est utilisée pour soutenir avec force le premier et définir le deuxième terme comme utopique et irréalisable, ou provoque un sentiment de découragement et d’impuissance chez ceux qui sont trop loin de l’accomplissement de ses idéaux. Le fait d’envisager comme opposés « ce qui est » à « ce qui n’est pas encore » mais qui tôt ou tard se produira, est à revoir radicalement. Il est certain que ce changement ne se fera pas tout seul, mécaniquement, mais comme cela s’est déjà produit de nombreuses fois dans l’histoire, il dépendra de la remise en cause de ce qui est établi à un moment donné et en général accepté, de l’engagement, de l’imagination, de l’espoir, du courage, de la bonté et de la compassion qui ont fait avancer l’humanité et qui amèneront sûrement des nouveaux progrès dans le futur.
Considérées sous cet angle, beaucoup de questions en apparence complexes deviennent simples : il s’agit de définir les étapes intermédiaires pour atteindre l’objectif fixé. Mais en revenant au sujet initial, un monde sans guerres et sans armes cesse d’être un rêve irréalisable pour devenir une possibilité concrète, qui dépend de nos efforts, de notre créativité et de la confiance dans l’humanité et dans son futur.
Traduit de l’italien par Claudia Salé