Le monde universitaire français est révolté. Nous sommes encore une fois témoins d’une injustice flagrante. La 12e cour pénale d’Istanbul, à travers son arrêt du 24 janvier, a condamné la sociologue, universitaire, défenseure des droits humains, Pinar Selek, à la perpétuité non compressible pour l’explosion du marché aux épices d’Istanbul, survenue en 1998.
Au bout de 15 ans de procédure, notre collègue n’avait jamais été condamnée. En dépit de pseudo-rapports d’expertise, d’« aveux » obtenus sous la torture et d’erreurs de procédures trop systématiques pour être in-intentionnelles, Pinar Selek avait été acquittée trois fois, en 2006, 2008 et 2011.
Cette explosion était due à une fuite de gaz. Pinar Selek avait été persécutée parce qu’elle menait une étude sociologique sur les militants du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) et avait refusé de donner les noms de ses contacts comme l’éthique scientifique l’exige. Son arrestation et sa mise en jugement revêtaient un caractère clairement politique.
Plus accablante encore aux yeux des autorités, Pinar Selek avait orienté ses recherches vers l’ensemble des groupes sociaux opprimés de la société turque, autant de tabous, autant de plaies sociales : les enfants de rue, les travailleuses de sexe, les gays et lesbiennes, les transsexuelles et les transgenres, les Kurdes, les Arméniens… Ainsi devenait-elle, étape par étape, une intellectuelle engagée, qui, non contente d’observer et d’analyser, agissait.
Cette dimension de chercheure et de femme de terrain a fait d’elle la cible d’un acharnement judiciaire sans précédent. Le 22 novembre 2012, un tribunal d’Istanbul (dont la cour a été subitement modifiée dans sa composition) a décidé de revenir sur les décisions de justice, en cassant l’acquittement, d’une manière totalement illégale dans la mesure où un tribunal n’est pas autorisé à modifier un arrêt définitif déjà rendu. Le 24 novembre, bien que le président de la cour, le seul qui connaissait le dossier, celui qui avait prononcé trois acquittements successifs, ait argué de l’autorité définitive de la décision d’acquittement, les deux autres juges, sous influence, ont déclaré Pinar Selek « coupable » d’un attentat jamais commis, la condamnant à la perpétuité ou à l’exil définitif.
Pinar Selek mène actuellement ses recherches doctorales à l’Université de Strasbourg. Elle est un membre prestigieux de la communauté scientifique de France. Son Université est débout à ses côtés, comme le déclare si clairement le Président Alain Beretz. Nous, universitaires, enseignants et chercheurs de France et travaillant en France, déclarons donc que nous sommes solidaires avec notre collègue. Nous demandons pour elle, et pour tous ceux et celles actuellement en prison en Turquie, inculpés ou menacés pour leur recherche ou leur enseignement, une justice respectueuse des libertés élémentaires et des droits fondamentaux. Il en va du respect des valeurs universelles, comme celle de la liberté de pensée, d’expression et celle d’entreprendre des recherches académiques.