Par Kingsley Madueke, Jos
Dans Jay Town — Jos, au Nigeria, pour les non-initiés — les talents et les amateurs de hip-hop se retrouvent dans les Basement Studios (studios en sous-sol). Ils y chantent les choses comme elles sont. Ce que beaucoup n’apprécient pas.
Le week-end dernier, je me retrouve à traîner avec l’équipe de Critique Entertainment. Lorsque j’arrive au Basement Studios à Kufang, une banlieue de Jos, je n’ai besoin de personne pour me dire qu’avec ces gars-là, on parle hip-hop.
Des rythmes à se cogner la tête
Dans le studio lui-même, je suis accueilli par une musique tonitruante aux paroles incisives.
« Questions, c’est le nom de cette chanson », déclare le producteur-maison, Iortom Abiem, plus communément appelé Tommy Shield. Il est occupé à mixer les sons, les yeux rivés sur l’écran de l’ordinateur : « Ici, nous faisons tout directement, sans nous soucier de ce que les gens disent ou pensent. »
L’artiste derrière Questions, c’est Leonard Pizat Lepdung alias Pizzo da lyrical Praxis, célèbre pour la combinaison des rimes, rythmes à se cogner la tête avec des messages socio-politiques forts. « Pour moi il n’y a pas de meilleur moyen d’être en communion avec mon public », dit-il en bougeant la tête au son de la musique. « Le rap touche toutes les cultures et les classes sociales. La culture hip-hop a pénétré dans toutes les sociétés et, de ce fait, le rap permet de s’adresser à un large public. »
De Fela Kuti à Pizzo da lyrical Praxis
Pizzo explique que le morceau actuellement entre les mains de Tommy Shield est ainsi intitulé parce qu’il pose des questions cruciales sur la politique nigériane, les élections et les récurrents conflits ethno-religieux dans différentes parties du pays. Pendant que Questions arrive à sa fin, un ensemble de percussions africaines introduit le morceau suivant, une description de la culture politique du Nigeria et de tous ses malheurs.
Dans Army Arrangement [Manigances de l’armée], Pizzo argue que les difficultés économiques auxquelles les jeunes font face sont dues à l’échec de la classe dirigeante. Il fait référence à la légende de l’afrobeat, feu Fela Kuti, qui était également très critique à l’endroit des hommes politiques nigérians et des généraux de l’armée au cours des trois décennies qui ont suivi l’indépendance du pays.
Pas de temps d’antenne
Discutant de Rayuwa, un morceau inspiré par les attentats de 2010 à la veille de Noël à Jos, il se souvient qu’il espérait qu’une station de radio locale diffuse la chanson « pour atteindre les gens » et « pour toucher leur conscience. »
« Nous ne cherchions pas à être des durs à cuire », dit-il à propos de lui-même et de ses amis, « nous étions juste en train d’attaquer le problème tel qu’il était, c’était juste la pure vérité. » Mais la réponse de la station a été négative. « Ils ont dit: « Nous ne pouvons pas jouer la chanson, les paroles sont trop dures, la réalité est insupportable. » »
Une histoire américaine
Tout comme les jeunes noirs américains ont utilisé le rap pour dénoncer les préjugés raciaux et autres maux de la société américaine dans les années 80 et 90, les jeunes Africains se tournent de plus en plus vers le genre comme un exutoire. Autrement dit, un canal pour exprimer le mécontentement vis-à-vis de leurs dirigeants, la corruption et une foule d’autres problèmes qui rongent leurs communautés.
Libérer les Nigérians.
Jos, en particulier, regorge de nombreux artistes clandestins du hip-hop et de poètes qui expriment leurs points de vue – en particulier, le dégoût – vis-à-vis du système à travers des chansons rap et des poèmes.
Mais Pizzo regarde vers l’avenir avec espoir et confiance. En plus d’une sortie d’album, en 2013, il est prévu qu’il joue un rôle principal aux côtés de son partenaire en rimes, Basics, dans la série télévisée Jay Town Hustle.
« Libérer le Nigérian moyen de l’emprise de l’ignorance »
Critique Entertainment compte sortir son premier album « Mix Tape » le 14 février et Pizzo peu après. « Nous espérons qu’il sera bien reçu lorsqu’il arrivera dans les bacs car il est plein de tout ce que les vrais fans de hip hop désirent », explique le PDG de la société, Louis Okopi.
Dr. Flames, comme on a tendance à appeler Okopi par ici, fait remarquer que la société est fondée sur de bonnes intentions. « Nous cherchons à libérer le Nigérian moyen de l’emprise de l’ignorance, de la corruption, de la pauvreté et beaucoup d’autres tristes réalités », dit-il. « Et nous sommes motivés par l’amour. »