[media-credit name= »http://bit.ly/VnQVvX » align= »aligncenter » width= »300″][/media-credit]
Texte de l’image : idéaux, moral, honnêteté
Par Juan Emilio Drault
N’est-il pas vrai que lorsque nous pensons à des gens incorruptibles, ce qui nous vient à l’esprit sont des personnes ayant des valeurs nobles, des principes forts et une réputation irréprochable ? Des personnes que nous définirions comme de « bonnes gens » ?
Mais, pour être incorruptible, il faut être très cohérent. Il faut penser, sentir et agir dans la même direction. Et cette direction est caractérisée par des principes, des valeurs et des aspirations.
En y parvenant, les principes et les valeurs soutenus durablement par une personne auront pu être sauvegardés. Je parle d’un soutien durable, parce qu’une citation ludique de Groucho Marx me vient à l’esprit. Il disait : « Voici mes principes, s’ils ne vous plaisent pas, j’en ai d’autres ».
Mais alors, en toute logique, pour que la corruption s’empare d’une personne, il faut que cette personne ait des principes, des valeurs et des aspirations à corrompre.
Mais qu’en est-il des personnes qui n’ont d’autres valeurs, principes ou aspirations majeures que leur propre intérêt ?
Le monde des affaires et de la politique voit arriver de plus en plus de personnes de ce type. Ceux que je me plais à appeler les nouveaux incorruptibles.
Et ils sont littéralement incorruptibles parce qu’ils n’ont RIEN à corrompre. Ils courent dans tous les sens sans principes, sans valeurs, sans aucune sorte de responsabilité sociale, sans autre aspiration que de se tailler la plus belle part des affaires par tous les moyens, même si cela doit provoquer la mort ou l’appauvrissement des autres.
En outre, ces nouveaux incorruptibles jouissent très souvent d’une forte exposition publique, devenant ainsi des figures de référence pour un grand nombre de personnes qui les considèrent comme les nouveaux gagnants, comme ceux qui ont réussi à se hisser au sommet de la vie sociale en toute incorruptibilité et qui sont parvenus à ne faire « que ce qui leur plaît ».
Et ainsi, la corrosion interne gagne un grand nombre de personnes. Le doute n’apparaît plus que comme une petite tache de rouille interne. L’usure psychologique découlant d’un système économique qui réprime du matin au soir ne fait qu’amplifier cette tache. Et l’impact de la fragmentation et la déstructuration du monde a l’effet d’une vague qui brise les derniers garde-fous de la plage de la cohérence. Dès lors, il ne reste guère de temps avant que la terrible eau salée ne corrompe vingt-quatre heures sur 24 ce qui reste. La nouvelle incorruptibilité se vit presque comme une libération, la contradiction interne disparaît, le dialogue entre le bien et le mal est étouffé, et à l’instar d’une parodie de la chanson de Juan Manuel Serrat [auteur et compositeur espagnol, NdT], on pourrait déclamer : « Malchanceux sont ceux que se trouvent au fond du puits (interne), car désormais, les choses ne peuvent aller que de mal en pis » [traduction libre]. Et l’intégralité du potentiel se concentre dans une nouvelle forme de cohérence. Une cohérence du mal. Une cohérence dans laquelle on pense, on ressent et on agit à contre-courant de ce qui naît dans la pureté et les bonnes intentions.
Ceux qui suivent ce courant goûteront à l’adrénaline des eaux vives et des paysages sur leur chemin, mais un bruit interne leur rappellera constamment que cette rivière ne charrie rien de bon. Le temps passera et le bruit s’intensifiera sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, mais on essaiera de le faire taire à coups de pilules, de médicaments et de distractions. Pourtant, ce bruit est le bruit le plus incontournable de tous les bruits, c’est le bruit de l’abîme, c’est la chute d’eau tout au bout de la rivière. Sa force est immense, et rares seront ceux qui auront assez d’énergie et de lucidité pour sauter et tenter de rejoindre la rive à la nage, à la recherche d’une nouvelle opportunité pour remonter la rivière et faire de meilleurs choix, en réparant tant bien que mal les dégâts causés.
Les nouveaux incorruptibles sont, en même temps, les nouveaux mal adaptés. Bien qu’il nous semble qu’ils soient parfaitement intégrés au sein de ce nouveau monde du capitalisme sauvage, il n’est pourtant pas moins vrai qu’ils sont quasiment incapables de comprendre les autres et de ressentir ce qui naît, de pressentir où se trouvent les opportunités de croissance interne les plus précieuses. Ils forment une sorte d’espèce en voie d’extinction que quelque dinosaure féroce tuera ; cela entraînera de la souffrance, mais ils sont voués à disparaître, incapables qu’ils sont de s’adapter à ce monde nouveau et conquérant. À moins qu’ils réussissent, au cours d’une crise profonde, à reprendre des forces pour emprunter un chemin extrêmement long et semé d’embûches qui leur permettra de revenir au point de départ et de démarrer une nouvelle construction aux bases internes plus solides.
Dans un monde dont la structure part en lambeaux, il est difficile de conserver une structure interne intacte. Au quotidien, il ne fait aucun doute que nous rencontrons des exemples de situations de succès et d’échec. Mais le plus important est de ne pas perdre l’intention et l’aspiration mobilisatrice. Certaines valeurs seront corrompues ou entreront en crise lors d’évènements ou d’accidents particuliers. Mais l’intention et l’aspiration sont semblables à ces deux étoiles qui, une fois sorties de derrière les nuages, seront toujours là pour nous guider et nous donner de l’énergie pour que nous retrouvions notre chemin.
Il ne faut pas avoir peur de les mettre à rude épreuve, car l’utilité, la force et la légitimité de ces principes et de ces valeurs ne peuvent se mesurer qu’en les mettant en pratique.
Il ne faut pas non plus avoir peur de s’approcher des nouveaux incorruptibles, car ces personnes-là aussi méritent que nous leur témoignions notre empathie afin d’essayer de leur montrer qu’il existe des alternatives qu’ils sont actuellement incapables de voir. Ceux d’entre nous qui travaillent pour conserver la cohérence interne pour le bien et une meilleure évolution fonctionneront toujours comme nous décrivait ce cher Ramón Pascual Soler, comme des ordonnateurs humains. Dans ce monde qui tend vers le désordre, certains d’entre nous sont capables de remettre les éléments externes en ordre parce que notre système interne est en ordre. Nous avons travaillé de nombreuses années pour établir cet ordre interne dans le but d’en faire cadeau au monde. C’est de cette manière que cet important travail prend tout son sens.
Inciter les gens à la réflexion est un exercice d’agitation interne que seules les personnes qui se trouvent dans un état de déconnexion avec les valeurs essentielles de la vie peuvent encourager.
Inciter les gens à s’unir, à travailler ensemble, à travailler dans la solidarité, est la forme de cohésion dont tout corps vivant a besoin pour reconstruire ses tissus, pour panser ses plaies. C’est à cette cohésion, en tant qu’ordonnateurs, à laquelle nous devons aspirer.
Agiter/réveiller, souder/unir, mettre en ordre.
Mais l’un des plus grands défis auquel nous faisons face est celui qui consiste à réveiller en chacun le sens de la prise en main de sa propre vie, pour que nous réussissions à avancer et à croître sans dépendre de forces directrices extérieures. Oui à l’influence des êtres aimés, des personnes de confiance, des personnes desquelles il est bon d’apprendre et de tirer des leçons basées sur leur expérience. Mais non à ceux qui se rendent indispensables dans nos vies et sans lesquelles nous sommes incapables d’avancer. Dans ce dernier cas de figure, nous ne ferions que mettre la main sur leur travail, le ralentir et l’arrêter, tout en nous rendant dépendants et en trouvant une nouvelle excuse pour ne pas avancer.
Traduction de l’espagnol : Pauline Aschard