A l’organisation humaniste au sein de laquelle je travaille, Monde sans Guerres et sans Violence, il devient souvent nécessaire de prendre position sur une situation particulière qui a lieu dans le monde.
Aujourd’hui, bien sûr, il se passe rarement une semaine sans qu’un nouvel affrontement ait lieu dans une partie du monde, et il s’agit juste des guerres et conflits armés. Si nous devions inclure les atteintes économiques, morales, religieuses, sexuelles et psychologiques, il nous faudrait réagir à chaque seconde.
Les situations qui font l’actualité mondiale sont, de par leur nature même, les plus violentes car le monde des médias s’intéresse uniquement à présenter les choses négatives de la vie dans leurs extrêmes (et, bien sûr, raconter ce que font les célébrités aujourd’hui). Dans cette conjoncture, le fait de prendre position peut uniquement porter sur la dénonciation de la violence, l’appel au désarmement, l’encouragement à la réconciliation, l’appel à la justice sociale, etc. C’est ce que nous faisons dés que nous le pouvons. Cependant nous savons qu’il est déjà trop tard pour faire la différence dans cette situation particulière.
Prenons l’exemple le plus récent qui est apparu la semaine dernière. Nos amis au Mali font face à une situation terrible. Au Nord du pays se trouve une milice armée se battant soi-disant pour imposer la loi de la Charia au pays, et l’on trouve également des « rebelles » Touaregs cherchant prétendument à obtenir leur propre État indépendant. Tous ces mouvements lourdement armés semblent avoir pris naissance suite à la chute de Kadhafi en Libye. D’un autre côté se tient à Bamako un gouvernement qui s’efforce de ne pas perdre le contrôle du Nord du pays avec le soutien de la France, dont les intérêts en uranium seraient sérieusement menacés si le territoire devait tomber entre des mains ennemies. L’idée que des rebelles d’Al‑Qaida pourraient contrôler des réserves d’uranium et les transporter vers l’Iran ainsi que d’autres pays du Moyen-Orient provoque la crainte au pentagone.
Dans ce conflit, des gens sont en train de mourir et peu importe ce que nous disions ou faisions à Monde sans Guerres, car ces personnes vont continuer à mourir. C’est un terrible sentiment d’impuissance.
Nous ne pouvons soutenir la France ‑ même si elle a le pouvoir de vaincre leurs opposants et de stopper le massacre ‑ ou le gouvernement Malien car ils sont tous deux partiellement responsables de cette situation. Toute tentative de la France de se cacher derrière l’excuse de la « défense des droits humains », et d’effrayer la population avec le mot « Islamiste » ‑ lequel n’est évidemment rien d’autre qu’un remplacement du mot « Communiste » utilisé pour justifier les guerres du siècle dernier ‑ relève d’une scandaleuse hypocrisie puisque sinon ils auraient bombardé l’Arabie Saoudite avec leurs avions de chasse Mirage au lieu de les vendre à la famille Al-Saoud pour un somme juteuse.
Évidemment, nous ne pouvons soutenir les rebelles et les prétendus terroristes islamistes car personne n’a le droit prendre le pouvoir avec l’aide de forces armées.
Ainsi, où cela nous laisse t-il ?
Prenons une autre situation dans laquelle Monde sans Guerres a été formée afin de donner une position : Celle du désarmement nucléaire.
Notre position est claire, nous haïssons les armes nucléaires, nous souhaitons qu’elles soient toutes démantelées et voulons que l’uranium enrichi et le plutonium soit jetés dans des cuves de déchets nucléaires, et il est nécessaire que ces installations de déchets nucléaires soient gardées sous protection internationale jusqu’à ce que la science trouve un moyen de créer un matériel radioactif sûr.
A ce titre nous collaborons avec d’autres organisations recherchant un but similaire : l’abolition du nucléaire. Ce dont nous sommes incapables de convenir est pourtant de l’efficacité de nos méthodes. Il y en a certains qui pensent qu’il est naïf de mener une campagne pour un Traité sur les armes nucléaires afin de les éliminer, nous devrions donc procéder par petites étapes comme contrôler les essais de matériel nucléaire, ou bien diminuer la préparation des armes (des milliers peuvent être lancées dans un délai de 10 minutes après que les ordres aient été donnés— à peine suffisamment de temps pour prendre une décision qui détruira la planète). Il existe toujours une discussion dans le monde anti-nucléaire à propos des stratégies à envisager. Beaucoup d’activistes font ce qu’ils peuvent en fonction de ce qu’ils considèrent comme étant la politique la plus efficace et en partant des meilleures intentions.
Cela rend toutefois les choses compliquées pour nous car nous pensons que la vraie discussion n’est pas comment éliminer les armes nucléaires ; mais pourquoi les États-Unis insistent pour être les tyrans de ce monde. S’il y avait une réelle intention de désarmement de la part des États-Unis, il y a une incertitude quant au fait que le reste du monde les suive. La Russie, la Chine et maintenant la Corée du Nord gardent leurs armes comme police d’assurance contre les États-Unis. La France et le Royaume-Uni gardent les leurs car ils souhaitent se sentir toujours importants dans le monde après avoir plus ou moins digéré la perte de leurs empires. Pour l’Inde et le Pakistan la question est autre, mais avec assez de pression de la part des États-Unis, la Russie et de la Chine pourrait changer d’opinion. Sans les États-Unis, le financement des armes israéliennes n’existerait pas.
Ainsi, tant que nous ne serons pas capables d’avoir un débat sur ce qu’il faut faire du complexe militaro-bancaire-industriel-médiatique américain nous ressentirons un sentiment d’impuissance à répéter : Abolir les armes nucléaires maintenant !
Comment le monde va-t-il changer ?
Il changera lorsque les gens auront l’opportunité d’ouvrir les yeux. Jusqu’à récemment la plus grande majorité de la population mondiale a été dans l’une de ces deux conditions :
1) « Endormi » – Ils sortent du lit, vont au travail ou à l’école, s’appliquant à gagner de l’argent (pour leurs patrons), paient leurs dettes toujours plus élevées, mènent la vie que la société attend d’eux, partent en retraite et meurent, il n’y a pas de place pour la rébellion ; ou 2) « Survivant » – Ils n’ont aucun moyens d’existence, pas d’éducation, pas d’accès au système de santé, ils vivent dans une situation critique où la mort pourrait survenir à tout moment, ils font ce qu’ils ont à faire pour survivre, il n’y a pas de place pour la rébellion.
On trouve également une troisième mais très rare condition: 3) “Elite”– ils ont accès à l’argent et au pouvoir, leur intérêt n’est pas de changer quoi que se soit car le système fonctionne pour eux, ils le contrôlent de manière à ce qu’il y ait une proportion adéquate de personnes de conditions 1) et 2) afin que personne n’ait le temps pour une rébellion.
Cependant, ce que nous voyons augmenter aujourd’hui est l’émergence d’une nouvelle condition: 4) “Nouvelle sensibilité » – Elle représente la jeunesse éduquée et idéaliste qui n’a pas d’emploi, ni d’espoir d’en trouver un, mais qui possède une éducation et sait comment utiliser la technologie. Ils possèdent également une sensibilité qui valorise les vies humaines, l’environnement et la diversité sous toutes ses formes. Il s’agit du même groupe de personne qui s’est rebellé en Égypte et en Espagne, à Wall Street et à Syntagma Square, à Montréal et à Santiago.
Cela a un peu disparu avec le mouvement Occupy et les Indignés du 15 mai, mais les gens sont toujours là, car ils n’arrivent toujours pas à trouver un emploi, et sont en train d’attendre un signe.
Et, à un certain moment et dans un certain coin du globe un signal sera envoyé. Il sera un infime effet de manifestation de comment faire quelque chose différemment. Ceux en condition 4) sont déjà, par nécessité, en train de réaliser partout des milliers d’expériences afin de sortir de leur terrible situation : expériences économiques, formes d’organisation, formes d’éducation, nouvelles technologies, etc.
Et quelque part, à un moment donné, quelque chose de nouveau et de révolutionnaire fonctionnera ; et ce signal sera entendu partout dans le monde en dix minutes et la révolution se produira.
Les révolutions ne doivent pas nécessairement remplir les rues de sang. La moitié du monde a semblé s’effondrer lors de la fin de l’empire soviétique, mais les rues de l’Europe de l’Est et des républiques soviétiques n’étaient pas bordées de sang. Il n’y avait pas d’apocalypse.
Quelle est alors la réponse humaniste face à tant de violence?
En premier lieu, tenez compte du principe, « Ne t’oppose pas à une grande force, recule jusqu’à ce qu’elle s’affaiblisse et avance avec résolution. » Si votre vie est en danger, ne rien faire vous mettra encore plus en danger. Si vous devez fuir, fuyez. Prenez votre famille avec vous et partez. Si des hommes qui ne vous aimerons pas s’approchent de votre ville avec des armes, fichez le camp. Si vous ne pouvez le faire, obéissez formellement à tout ce qu’ils veulent que vous fassiez et ne leur donnez aucune raison de vous maltraiter.
Heureusement, pour l’instant ce conseil est uniquement nécessaire à ceux qui se trouvent dans les situations les plus extrêmes, et nous sommes de tout cœur avec tous ceux confrontés à des conflits armés dans le monde.
Deuxièmement, pour le reste d’entre nous, nous devons continuer à attendre le signal. Nous devons faire tout notre possible afin de rester éveillés, ou d’augmenter notre vigile, et par solidarité, nous devons aider les autres à s’éveiller également et à nous rejoindre dans notre nouvelle sensibilité. Nous devons nous raccrocher à ce en quoi nous croyons réellement : la valeur de la vie et l’obtention de la paix à travers une méthode active et non-violente.
Fort heureusement, les rangs de la condition 4) augmentent à mesure que le système économique s’écroule de plus en plus rapidement, tant et si bien qu’à un certain moment un nombre décisif de personnes vaincra les probabilités statistiques et le signal viendra. La seul crainte est de savoir si nous trouverons ou non ce signal avant que quelques fous furieux ne donnent le signal pour lancer une bombe atomique.
Notre tâche est urgente !
Traduction de l’anglais : Marlène Lepoittevin