Par Simon Sarazin
Au delà du combat contre la construction de l’aéroport, la “Zone à Défendre” (ZAD) de Notre Dame Des Landes est depuis plusieurs années un lieu d’expérimentation de modes de vie collaboratifs. Simon Sarazin y a séjourné quelques temps cet été et nous raconte les solutions sociales et écologiques.
Lorsque je suis passé à Notre Dame des Landes cet été, j’ai été interpellé par l’originalité des modes de faire ensemble dont le lieu foisonnait. Au point de me demander si finalement cette lutte démarrée en 1972 n’aurait pas permis de créer quelque chose d’inespéré : un espace de liberté, de créativité et d’expérimentation à même d’apporter de multiples solutions…
En tout cas, les habitants de cette zone y démontrent qu’un mode de vie collaboratif, solidaire, écologique et très peu marchand peut fonctionner à une échelle de plusieurs centaines d’hectares.
Production collaborative et partage de savoir-faire
Et cela commence par l’alimentation. Pour se nourrir, les occupants partagent des jardins cultivés sur différents sites, à l’image de la zone du Sabot, où plusieurs personnes travaillent de manière volontaire à cultiver la terre. S’ajoute à cela la cueillette des arbres fruitiers, champignons, et tous types d’aliments que l’on trouve dans la forêt. Poulaillers et élevages de chèvres permettent la mise à disposition pour tous de lait, d’oeufs et de fromage de chèvre. Il en est de même pour la production de bière qui était envisagée cette année, et où seule la consigne allait être payante. Une équipe récupère la nourriture jetée à la sortie des supermarchés, et répartit ensuite l’alimentation aux différents groupes qui vivent sur la zone.
[media-credit name= »Enna sous Creative Commons CC-BY-SA 2.0″ align= »alignright » width= »600″][/media-credit]Depuis la destruction de plusieurs sites par les CRS, la solidarité et l’intelligence collective se sont renforcées pour continuer à loger les personnes malgré les expulsions. Ainsi, plusieurs maisons ont été construites en 3 jours, à partir de gigantesques chaînes humaines pour transporter les planches… le tout en chantant :
Un auteur de la ZAD raconte :
« Dès l’arrivée de la manifestation, 5 bâtisses pré-construites ont commencé à s’édifier : un espace de réunion de 80m2, une cantine, 2 dortoirs, un bloc sanitaires et un atelier. Ce lundi encore les travaux continuent. Grâce à une somme d’ingéniosités, de savoir-faires communisés et de chaînes humaines interminables pour amener les tonnes de planches, poutres, tôles, et pailles nécessaires, les constructions ont été véloces. Le résultat coupe le souffle et laisse de grand sourires sur les visages. Pour fêter ça et inaugurer un peu, un apéro est proposé ce lundi à 17h sur place. »
Pour Enna, qui a participé à ces constructions collectives alors qu’elle n’avait jamais touché à la menuiserie, cette zone est le lieu de tous les possibles, où chacun peut apprendre des autres, et où les échanges de savoir-faire sont immenses. Lors de ma visite, j’avais aussi été étonné par des discussions entre jeunes sur le mildiou et la manière de le traiter pour éviter qu’il n’affecte les tomates. Chacun partageait ses déboires à faire pousser les tomates, et les solutions mises en place comme le traitement au purin d’ortie. Anecdotique ? Peut être, mais cela en dit long sur le savoir-faire et le savoir-vivre qui se développe ici. Des médias, comme une radio participative et un journal papier sont aussi utilisés pour partager les savoirs.
On peut aussi trouver sur le site une forge pour créer des pièces en métal, ainsi que des ateliers où les outils sont disponibles en libre-service. Lors de mon passage, une “fête de la forge” était prévue, durant laquelle chacun allait pouvoir expérimenter la fabrication d’objets à partir du métal.
L’économie du don, la récupération, la réparation…
Au niveau du transport, pas de vélib’ à carte, mais du “vrai libre service”. Les vélos sont mis à disposition sans cadenas sur les parkings des différents sites. S’il y a un problème, un lieu de réparation de vélo est ouvert à tous, avec toutes les pièces détachées possibles. Tant par sa taille, son outillage que son organisation, cet atelier est impressionnant.
Pour s’habiller, des “free shop” permettent à chacun de déposer des habits et d’en récupérer, avec parfois une caisse commune pour inciter les personnes à donner un peu de monnaie. C’est le même fonctionnement pour les soirées, lors desquelles le bar est gratuit, en échange de dons.
La culture n’est pas en reste. Un théâtre en bois a été réalisé à partir de la récupération de palettes de bois de la scierie d’à coté. Des scènes libres s’y déroulent, et tout spectateur peut devenir acteur : le bâtisseur de la journée devient chanteur le soir… De même pour la musique : de nombreuses chansons ont été composées sur la zone.
Des solutions respectueuses de l’environnement
Les occupants de Notre Dame des Landes mettent aussi un point d’honneur à construire des habitations qui ne nuisent pas à l’environnement. Par exemple, ils ont construit des maisons de 2 étages entre des arbres, ceci sans planter un seul clou dans le bois vivant. On y trouve aussi des logements en yourte (tentes dont la dépense énergétique est très faible), ou encore des maisons faites de terre, d’argile, ou de verre, selon les matériaux que l’on trouve sur place.
On trouve aussi des panneaux solaires ainsi que des foyers à bois fabriqués maison pour la cuisson ou pour l’eau chaude, réalisés à partir de récupération. La diversité de type d’habitations rend cette visite particulièrement enrichissante. Les toilettes sèches sont la solution sur tous les sites. Mon ami qui me fait découvrir ces lieux explique : “Les toilettes actuelles consomment beaucoup d’eau, et l’on pollue cette eau, alors qu’avec les toilettes sèches, cette pollution devient de l’engrais.”Un espace à connecter avec le monde des solutionneurs
Même si la confiance, la solidarité et l’accueil de la différence sont à la base des relations ici, la zone occupée est loin d’être un paradis sur Terre. Il faut beaucoup de courage pour accepter les conditions de vies dans la ZAD, surtout en période hivernale.
Dans un tel contexte, la simple connexion de ce lieu avec les communautés collaboratives comme OpenSourceEcology, un réseau mondial de fermiers et d’ingénieurs, peut changer la donne. Ces derniers développent le Global Village Construction Set, une plateforme technologique ouverte qui permet la production aisée des 50 machines industrielles nécessaires pour construire une petite civilisation avec tout le confort moderne ! Il en est de même pour la connexion avec les réseaux des fablabs, ces laboratoires locaux, qui rendent possible l’invention en ouvrant aux individus l’accès à des outils de fabrication numérique. Impression, réparation ou construction d’objets deviennent possibles…
Les gigantesques plateformes de partage sur le bricolage comme Instructables ou de plans d’objets (Thingiverse) vont être des ressources très utiles. L’arrivée de projets “libres” de production d’énergie (Solar Fire pour des panneaux solaires, Aeroseed pour des éoliennes), de machines à produire des objets à moindres prix (Imprimantes 3D, fraiseuses numériques), de maisons au code de fabrication disponible en ligne apporteront leur lot de solutions pour vivre plus convenablement. Tout cela en gardant une indépendance et une capacité d’appropriation forte, puisque l’accès aux savoir-faire de ces outils ne sont pas régis par la propriété intellectuelle, mais par des licences ouvertes.
L’opportunité d’un territoire préservé et approprié par des pionniers
Si l’on regarde le coté positif, il semblerait que ces 40 ans de combats ont abouti à la création d’un très bel espace d’expérimentation “in vivo” de l’innovation sociale. Un lieu dont nous devrions rêver en tant que citoyens, et que devrait supporter l’acteur public tant nous avons besoin de ces zones de créativité.
L’opportunité de profiter d’une telle superficie préservée de notre modèle agro-industriel intensif est trop belle. Le projet d’aéroport n’a pas seulement favorisé la mobilisation de centaines de personnes pour vivre autrement dans ce lieu, il a aussi permis la conservation de bocages, avec des haies patrimoniales qui offrent encore un réseau écologique local, un « habitat de substitution » pour les espèces des lisières et des clairières…
Visiter ces espaces, c’est déjà sortir avec beaucoup d’espoir et d’énergie sur les solutions possibles à nos problèmes actuels. Soutenir “ces conspirateurs positifs“, c’est certainement permettre l’éclosion d’alternatives dans une période où nous manquons de repères. Et l’avantage des réseaux mondiaux de “solutionneurs”, comme le réseau des fablabs, qui coopèrent dans le monde actuellement, c’est qu’ils n’ont pas impérativement besoin de vols internationaux pour s’organiser et construire ensemble. Ils apportent par ailleurs une richesse énorme pour la société et à un très faible coût public, si l’on regarde par exemple la valeur apportée par un projet comme Wikipédia ou Linux. Parfait non ?
Notre Dames Des Landes, ce n’est peut-être pas le Larzac, mais c’est sans doute l’opportunité d’une sorte de Silicon Valley du social et de l’écologie… Cette dernière est d’ailleurs née dans un lieu qui présentait à l’époque peu d’intérêt, mais où le faible coût de l’espace et la mobilisation de quelques personnes a contribué à en faire sa spécificité et sa renommée internationale.
Depuis quelques semaines, avec la destruction de plusieurs zones d’occupation, beaucoup de ce qui est raconté ici a disparu, mais l’énergie et la volonté sont là, comme le montrent les résultats impressionnants de l’opération Asterix, et les tonnes de dons qui ont été amenés dernièrement sur la zone, bien souvent par les locaux qui soutiennent les occupants…
Simon Sarazin Active contributor on Imaginationforpeople.org project, and on social innovation in Lille (coworking, fablab, collaborative economy)