Par Soumaila T. Diarra
Des rencontres inspirées des traditions africaines et des rituels liés à l’excision amènent des grands-mères à arrêter d’exciser les jeunes filles dans le sud du Sénégal et à aller vers un abandon de la pratique des mutilations génitales féminines (MGF).
Des experts voient en cette expérience l’espoir de l’abandon définitif de l’excision en Afrique de l’ouest où l’argument culturel et religieux est le principal motif de la persistance des MGF.
Dans le village de Kael Bessel (sud du Sénégal), l’excision n’est plus un sujet tabou. Fatoumata Sabaly, 60 ans environ, parle des droits des filles et évoque sans gêne le sujet devant des amis. «Nous avons constaté qu’il est nécessaire d’abandonner l’excision et qu’il y a des avantages pour les femmes à l’abandonner», déclare-t-elle. «L’excision a des conséquences qui sont liées à l’hémorragie et elle peut même conduire à la mort», explique-t-elle à IPS.
Pourtant, au Sénégal comme dans d’autres pays d’Afrique de l’ouest, les grands-mères comme Sabaly sont généralement les premières personnes dans la famille à décider de l’excision des filles.
Mais, selon une étude menée en 2011 par ‘Grandmother Project’, une organisation non gouvernementale (ONG), à Vélingara (sud du Sénégal), 93 pour cent des grands-mères sont opposées à l’excision. En 2008, ce taux était seulement de 41 pour cent.
Dans une trentaine de villages autour de Vélingara, des rencontres inspirées des traditions locales, en particulier le koyan (le rite de passage lié à l’excision), permettent aux populations de discuter des questions relatives à leurs valeurs culturelles.
Des chefs religieux, chefs coutumiers, fonctionnaires, jeunes et personnes âgées participent à ces débats. «Grâce à ces rencontres, les jeunes sont mieux éduqués maintenant», affirme Doussou Kandé, une femme de 72 ans. «Avant, ils pouvaient m’adresser la parole en m’appelant Doussou, mais maintenant, ils m’appellent grand-mère», ajoute-elle à IPS.
Ces rencontres mettent en valeur le rôle éducatif des grands-mères dans les sociétés africaines. Mais au-delà, elles brisent le silence entourant les sujets tabous comme l’excision. «J’étais personnellement pour l’excision, comme beaucoup de gens, mais les discussions en public m’ont aidé à changer de position, à accepter que dans notre culture, il y a des valeurs à conserver et d’autres à abandonner», raconte à IPS, Abdoulaye Baldé, imam d’une mosquée à Vélingara.
Au cours des débats publics, les populations exposent les avantages et les inconvénients des valeurs culturelles. «Puisque l’excision a plus d’inconvénients que d’avantages, les gens ont peu à peu abandonné la pratique», affirme à IPS, Falilou Cissé, conseiller en développement communautaire au bureau de ‘Grandmother Project’ à Vélingara.
Aujourd’hui, les populations locales savent que l’islam ne fait pas de l’excision une obligation pour les croyants grâce aux interventions de l’imam Baldé lors des débats. L’implication des leaders d’opinion a eu un grand impact sur la nouvelle perception de l’excision par les grands-mères.
Interrogée par IPS, Fatoumata Baldé, la matrone du village de Kandia, près de Vélingara, estime que depuis 2010, elle n’a pas vu un cas d’excision dans la localité. «Avant, nous avions l’habitude de recevoir au dispensaire beaucoup de cas d’excision qui ont mal tourné parce que c’est fait sans assistance médicale», explique la matrone qui prend régulièrement part aux débats.
L’initiative des rencontres est venue de ‘Grandmother Project’, une ONG internationale basée en Italie, qui fait la promotion du dialogue communautaire autour de la culture. «Les populations ont arrêté l’excision d’elles-mêmes. Nous n’avons jamais demandé aux gens d’arrêter», souligne Cissé.
Boubacar Bocoum, un consultant malien ayant fait des enquêtes sur l’excision dans plusieurs pays, voit dans l’expérience de Vélingara un espoir pour l’abandon définitif de la pratique en Afrique de l’ouest.
«Les projets de lutte contre l’excision ciblent généralement les exciseuses, alors que c’est un problème communautaire. Si seulement une partie de la communauté abandonne, la pratique persiste car le reste de la population n’est pas engagé», indique Bocoum.
Selon une étude publiée par l’ONG ‘Plan International’ en 2006, l’excision existe dans l’ensemble de la sous-région. «En Guinée, en Sierra Leone et au Mali, pratiquement toutes les femmes sont excisées… Au Niger et au Ghana, la pratique est limitée à certaines zones géographiques et la prévalence nationale est de moins de 10 pour cent», indique l’étude.
A Vélingara, les grands-mères entendent perpétuer leur expérience qui les rapproche plus du reste de la société. «Avant, les gens ne voulaient pas que les enfants s’approchent de nous parce qu’ils pensaient que nous étions des sorcières», raconte Sabaly, émue, retenant ses larmes dans une salle de classe où elle était invitée à parler des valeurs traditionnelles aux enfants, en octobre dernier.
Source : www.ipsinternational.org/fr/