Depuis que la question du mariage pour les homosexuels est d’actualité, toutes sortes de propos s’élèvent dans les médias, du plus raisonnable au plus haineux. Mais dans cette cacophonie plus ou moins orchestrée, la voix des principaux intéressé(e)s se fait peu entendre. Enseignante et homosexuelle, une jeune femme a accepté de témoigner.
Q : Comment vivez-vous ce moment particulier pour les minorités sexuelles ?
R : Vous parlez de l’ouverture du droit au mariage pour les homosexuels ? Je suis vraiment agacée d’entendre parler de « mariage homosexuel » ! Ce projet de loi est là pour rétablir l’égalité. Nous sommes une minorité simplement beaucoup moins visible que d’autres. On obtient juste les mêmes droits que les autres. Cela n’enlève rien à personne d’avoir les mêmes droits que les autres. Je ne sais même pas si j’ai envie de me marier, mais je trouve cela profondément violent de dire que je n’en ai pas le droit. C’est injuste comme situation : nous réclamons juste l’égalité.
Q : Qu’est-ce que ça va changer concrètement, parce que pour l’instant, il semble que ça n’empêche personne de s’aimer et de vivre en couple ?
R : C’est la reconnaissance d’un droit par l’Etat, cela ne peut être que positif. Cela permettra de faire reculer la discrimination, de faire avancer la société vers quelque chose de beau, de positif. Bien sûr, comme dans tous les mariages, un sur deux va se séparer. Mais c’est une victoire de l’amour : c’est beau, quoi !
Q : Vous vous sentez discriminée dans la vie quotidienne ?
R : Nous, les lesbiennes, sommes une minorité un peu particulière parce que nous sommes invisibles. Mais, il y a beaucoup de choses que nous nous refusons, et c’est triste, comme se tenir la main dans la rue, s’embrasser au moment de se quitter.
Q : C’est le fait de la pression sociale ?
R : C’est plus que cela. C’est la peur de l’agression verbale et même physique qui nous arrête. Mais, il est vrai que cela souligne aussi notre part dans le changement qui est en train de se produire. Si nous restons invisibles, qui saura que nous sommes des gens comme les autres, avec les mêmes difficultés, les mêmes aspirations ? Moi, je suis une enseignante comme une autre. Je suis même plutôt bien appréciée de mes élèves et je considère que je fais bien ce métier que j’aime. Et puis, les médias ont leur part, dans cette affaire.
Q : Comment jugez-vous le traitement de ce sujet par la presse ?
R : Comment dire ? On se prend des baffes tous les jours ! Je ne vois pas en quoi le fait que je me marie ouvre la voie à l’inceste : c’est profondément blessant. Si on avait tenu de tels propos au sujet des couples mixtes, du point de vue ethnique ou religieux, ça aurait été un tollé général. Je suis arrivée à la conclusion que notre société est profondément homophobe. Il n’y a pas de réactions à ce type de propos discriminants. Ni de la part des intellectuels, ni de celle des politiques. Du côté des journalistes, c’est la même chose.
Q : Il faut dire qu’il n’y a guère plus d’une génération que l’homosexualité n’est plus considérée comme un délit [[1]]
R : Le plus important pour moi, c’est que, peu à peu, le regard de la société change. Maintenant, avec l’ouverture du droit au mariage pour les homosexuels, les couples sont mis sur le même plan, l’homophobie se réduit. Il n’y a plus de couples « normaux » et « anormaux ». Cela ne va pas créer non plus d’homosexuel(le)s ! C’est une loi qui est juste, ça ne va rien bouleverser au niveau social. Est-ce que le fait qu’une catholique creusoise épouse un musulman cela bouleverse la société ? Non ! Cela a juste permis d’accepter que la société est plus bigarrée.
Propos recueillis par Catherine Masoda
[1] Depuis 1982, Avec l’abrogation de l’article 332-1 du code pénal. Elle sera retirée de la liste des maladies mentales de l’Organisation Mondiale de la Santé en 1991