Par : Ter Garcia
Depuis peu, certaines cliniques et hôpitaux espagnols ont commencé à offrir un nouveau genre de service public. Des milliers de médecins et leurs sympathisants ont décidé d’ajouter la désobéissance civile à leur pratique dans le but de défendre le système de santé en danger.
En avril dernier, le gouvernement espagnol a approuvé un Décret royal, une norme comparable à une loi mais qui n’est pas approuvée par le Parlement, qui a changé la politique de santé du pays. Auparavant, le système public de santé couvrait toutes les personnes sans exception dans le pays, mais la nouvelle norme retire la couverture des immigrés en situation illégale et des citoyens espagnols de plus de 26 ans qui n’ont rien versé au Système National de Santé (SNS), à savoir, les femmes au foyer, les étudiants et les autres personnes qui n’ont jamais travaillé sur contrat. En juin, le gouvernement a tout du moins accordé au deuxième groupe la chance d’avoir une carte d’assurance maladie. Cependant, depuis le 1er septembre, les immigrés clandestins en Espagne ont pu avoir accès au service public de santé seulement en cas d’urgences ou en devant payer très cher.
« Ce n’est pas une réduction, c’est un changement du système », affirme Marta, membre de « OUI pour les soins de santé universels » qui, tout comme de nombreux autres militants espagnols, demande à être identifiée seulement par son prénom. « C’est le début de la privatisation des soins de santé ». « OUI aux soins de santé universels » (YES to Universal Health Care) a vu le jour en avril suite à la mobilisation de personnes travaillant avec des immigrés. Cette association a deux objectifs clairs : rendre visible les conséquences de ce Décret royal et supprimer cette nouvelle norme grâce à la désobéissance civile.
La première étape de « OUI aux soins de santé universels » a été d’élaborer des manuels s’adressant aux travailleurs des soins de santé et aux patients expliquant comment éviter cette nouvelle norme à travers les failles de la bureaucratie. Ensuite, d’autres associations comme la Société espagnole des médecins de famille et communautaire et Médecins du Monde ont rejoint cette campagne, encourageant les travailleurs des soins de santé à se déclarer comme objecteurs de conscience de cette nouvelle norme. En quelques mois, plus de 2000 docteurs et autres travailleurs des soins de santé ont signé en tant qu’objecteurs du Décret royal et encore bien plus ont décidé de ne pas suivre la norme.
«Beaucoup de gens qui n’ont pas de carte d’assurance maladie sont traités par des médecins qui ne sont pas déclarés comme objecteurs mais qui évitent la loi » déclare Irène, elle aussi membre de « OUI aux soins de santé universels ».
Dans de nombreuses régions, le gouvernement a menacé les travailleurs des soins de santé de représailles juridiques s’ils ne respectaient pas la loi. Mais en juin dernier, le ministre de la Santé est revenu sur sa décision en déclarant que le gouvernement permettait aux médecins de faire « tout ce qu’ils jugeaient nécessaire avec chaque patient ». Ce fut la première victoire de la campagne mais les objectifs de « Oui aux soins de santé universels » sont beaucoup plus importants.
« Nous ne voulons pas créer un système de santé parallèle en recherchant les médecins qui sont des objecteurs de cette loi » nous explique Marta. « Nous voulons continuer comme si le Décret royal n’existait pas ».
Dans ce but, l’étape suivante de la campagne a été de promouvoir la création des groupes de soutien qui accompagnaient les personnes sans carte d’assurance maladie tout en expliquant aux médecins et au personnel hospitalier pourquoi et comment éviter la loi. Au cours du mois dernier, « Oui aux soins de santé universels » a tenu des ateliers dans plus d’une douzaine de quartiers de Madrid grâce à l’aide du mouvement 15-M (Indignés du 15 mai). « Oui aux soins de santé universels » a également soutenu des rassemblements à travers le pays afin qu’ils développent leurs propres ateliers et leurs propres groupes de soutien.
Karlos Royo, du mouvement 15-M dans le quartier Malasana à Madrid, est membre d’un de ces groupes de soutien. Il l’a lancé quand il a appris la situation d’une voisine souffrant d’une insuffisance rénale qui a été contrainte d’arrêter son traitement parce qu’elle était immigrée. « Il ne s’agit pas seulement d’aider les pauvres ou les immigrants, il s’agit de défendre notre système public de santé » a récemment affirmé Royo à une douzaine de participants lors d’un atelier organisé dans la « Chueca », autre quartier de la ville de Madrid.
Dans un premier temps, le travail de ces groupes de soutien a été de mesurer l’attitude des travailleurs dans un centre de santé tourné vers la nouvelle norme. Puis dans un second temps, l’objectif a été de répandre cette campagne de désobéissance en partageant l’information sur la façon dont les travailleurs des soins de santé peuvent soigner les personnes qui n’ont pas de carte d’assurance maladie. « La première personne avec qui le patient doit d’abord parler, c’est l’assistant administratif » nous explique Marta de « Oui aux soins de santé universels ». « S’il ne tient pas compte du patient, le groupe de soutien intervient ».
Plusieurs groupes de soutien à Madrid ont rencontré les directeurs de centres de santé dans leurs quartiers qui ont accepté de faire des compromis pour éviter le Décret royal. « Il est important d’insister et de montrer que nous savons de quoi nous parlons» nous explique Marta tout en nous faisant remarquer que, quand les patients demandent un rendez-vous avec un médecin pour débattre sur le problème, les employés des centres de santé sont généralement enthousiastes à propos de la résistance.
Chaque jour, de plus en plus de gens évitent le Décret royal, mais pour les militants, la prochaine étape est de le supprimer. Pour le moment, dans certaines régions comme l’Andalousie, les iles Canaries ou le Pays Basque, les gouvernements régionaux ont rejeté la nouvelle norme et ont cherché un moyen de conserver des soins de santé pour toutes les personnes. Mais cette volonté d’apporter un nouvel élan au système de santé universel dans son ensemble continue.
« Le mouvement commence à fonctionner » affirme Irène. « Mais nous pouvons forcer le gouvernement à retirer le Décret royal si nous imposons plus de pression dans la rue ».
Traduction de l’anglais : Marie Le Berrigo