Par Catherine Masoda
Employé depuis 20 ans à la SNCF, d’abord comme ouvrier, puis comme agent de maîtrise, ce cheminot militant nous brosse un tableau contrasté des syndicats auxquels il a participé au cours des 10 dernières années.
Q : Comment évoluent les syndicats dans cette situation de crise généralisée ?
R : Ils vivent eux aussi une période de crise. Il y a de moins en moins de militants actifs mais aussi de plus en plus d’incompréhensions par rapport aux valeurs défendues traditionnellement par les syndicats. Il y a une perte de sens : ils ont oublié que le syndicat est un outil mis à disposition des travailleurs.
Q : Comment cela se manifeste ?
R : Beaucoup d’actions ne sont organisées qu’à titre publicitaire ou simplement pour une recherche de gloriole personnelle. La notion de solidarité se perd au profit de l’individualisme.
Q : C’était différent auparavant ou vous êtes simplement nostalgique ?
R : Oui, c’était vraiment différent. Lorsqu’un gars de l’équipe avait des problèmes, de changement d’équipe forcée par exemple, toute l’équipe « posait les clous ».
Q : C’est-à-dire ?
R : On posait les outils pour cesser le travail et on allait revendiquer auprès de l’encadrement. Ce n’était pas vraiment une grève, au sens propre, parce que ça ne durait pas.
Q : Et maintenant ?
R : Maintenant, on règle les choses au cas par cas. Ce n’est plus les affaires de l’équipe, ça devient des problèmes personnels. Plus personne ne se révolte pour la situation des autres.
Q : Comment expliquez-vous cela ?
R : Beaucoup de choses ont changé. D’abord, il y a l’individualisation du travail là où une équipe était responsable, qui pousse au « chacun pour soi ». Et puis surtout, il y a la notion de « rentabilité » qui remplace celle de « service public ». Cette valeur était un leitmotiv pour les gars. Avec ce changement de valeur, d’abord on nous a reproché de faire de la « sur-qualité ». Maintenant il s’agit de faire en sorte que les statistiques soient bonnes, quitte à bâcler le boulot.
Q : Concrètement, la « sur-qualité » qu’est ce que cela veut dire ? Vous travaillez trop bien ?
R : En quelque sorte. Pour faire soi-disant des économies, la direction prévoit deux fois moins de révision qu’auparavant. Plutôt que de faire de la maintenance préventive, on attend que la panne arrive. C’est-à-dire, pendant que les trains roulent ! Avant, on travaillait pour que les choses durent, pour qu’il y ait le moins de panne possible.
Q : Quelles sont les conséquences pour les cheminots ?
R : Cela produit beaucoup de démotivations et même du dégout. On travaille pour un salaire non plus pour une mission de service public qui donnait une forte cohésion aux équipes.
Q : Cela influe sur les syndicats ?
R : Le repli sur soi gagne du terrain, mais de toute façon, l’action syndicale ne permet pas vraiment de modifier les conditions de travail. Il y a trop d’enjeux avec le système actuel. Trop de syndicalistes profitent d’abord de la situation pour leur simple bénéfice personnel. Même parmi ceux qui, au début, voulaient vraiment mettre les valeurs du syndicat en pratique.
Q : Qu’est-ce que vous proposez ?
R : D’abord, il faudra au moins que les représentants élus rendent des comptes de leurs activités et qu’ils puissent être révoqués sans attendre les élections suivantes, 2 ou 3 ans après.
Q : Ça ne suffit pas les nouvelles élections pour sortir les brebis galeuses ?
R : Non, pas vraiment. Mais le vrai problème c’est que les gens ne croient pas en eux-mêmes, ils croient qu’ils ont besoin d’un leader, de quelqu’un pour parler à leur place. Les plus malins en profitent. Les gens ont l’habitude de ce type d’organisation : qu’on fasse les choses à leur place. Ils sont habitués à un système paternaliste. Il faudrait changer les mentalités.
Q : Comment peut-on faire cela ? Que faites-vous, personnellement ?
R : J’essaie de mettre davantage de communication, d’aider les collègues syndicalistes à sortir de leurs rôles habituels pour se rapprocher de quelque chose de plus humain. Au final, c’est la cohérence ou l’incohérence des actes et des affirmations de chacun qui est devenue plus évidente. Seuls les plus volontaires sont restés : la situation est un peu plus saine.