Monsieur Peña Nieto,
Promis à assumer la charge de président fédéral du Mexique, le 1er décembre prochain, vous concluez votre tournée européenne par un séjour dans la capitale française. Vous serez notamment reçu, le 17 octobre, par le président de la République François Hollande, puis vous donnerez, le lendemain, une conférence à l’Organisation de coopération et de développement économique sur le thème : “Les changements au Mexique et leur rôle dans le panorama d’un changement global”.
Les changements que vous évoquerez incluront-ils le tragique bilan d’une décennie de violence extrême dans votre pays ? Ou s’agit-il des propositions que vous comptez soumettre, durant les six années à venir, à une société aussi meurtrie ?
Culminant avec l’offensive fédérale menée lors du mandat de votre prédécesseur, Felipe Calderón, la tragédie mexicaine s’est soldée par la mort de plus de 60 000 de vos concitoyens, pris dans le feu croisé des cartels et de pouvoirs publics trop souvent infiltrés par le crime organisé. Au nombre de ces victimes figurent désormais plus de cent journalistes assassinés ou disparus – 85 tués et 16 disparus – au cours de la dernière décennie. Les derniers en date se nomment Ramón Abel López Aguilar, 53 ans, photographe et directeur du site Tijuana Informativo, abattu dans la ville du même nom le 15 octobre ; et “Ruy Salgado” alias “El 5anto”, blogueur du District Fédéral mystérieusement disparu le 8 septembre dernier, en pleine controverse entourant le déroulement des élections fédérales du 1er juillet.
C’est ce pays, également marqué par la terrible répression à San Salvador Atenco en mai 2006 – époque où vous étiez gouverneur de l’État de Mexico -, que vous aurez donc à présider à compter du 1er décembre. Quelle justice sera rendue ? Quel système judiciaire pérenne permettra de restaurer un début d’État de droit ? Quelles garanties constitutionnelles seront enfin appliquées pour que les journalistes mais aussi les blogueurs, défenseurs des droits de l’homme, acteurs de la société civile, et depuis peu, les militants de la transparence électorale, puissent exercer leur liberté d’informer et d’interpeller le pouvoir sans craindre d’être réprimés ou tués ?
La tournure aussitôt prise par l’enquête sur l’assassinat, à Tijuana, de Ramón Abel López Aguilar ne nous rappelle que trop ces procédures, bouclées à la hâte ou noyées dans une bureaucratie infernale, qui ne font que trahir le règne de l’impunité. Le gendre du journaliste, également collaborateur de son site d’informations, est aujourd’hui suspecté et détenu, sur la base de quelques contradictions relevées dans sa déposition. Le mobile du crime reste, certes, à déterminer. Mais quels éléments devraient a priori exclure la piste professionnelle, alors que Tijuana Informativo venait de publier d’importantes informations sur le trafic de drogue et le crime organisé dans la région ?
Cette tendance au déni se retrouve dans tant d’autres affaires, comme l’assassinat de Regina Martínez, correspondante de la revue Proceso dans l’État de Veracruz, devenu l’un des dix lieux au monde les plus dangereux pour la profession. Trop souvent, le devoir de justice et de vérité aura été sacrifié au prix de calculs ou d’accointances politiques, au mépris des droits constitutionnels fondamentaux.
Quels sont vos engagements à ce sujet ? Comment comptez-vous les tenir ? Avec quelle participation d’une société civile écœurée par des institutions qui devraient la représenter et la protéger ? Ces questions constituent l’enjeu de votre sexennat à la tête de la fédération mexicaine. C’est en observateur vigilant et sans complaisance que Reporters sans frontières sollicitera vos réponses.
Respectueusement.